« Fusionner avec la CCI, pas question ! Mutualiser, oui à 100 % »
Interview # Artisanat

Louison Noël président de la chambre de métiers et de l’artisanat de Côtes-d'Armor et de Bretagne « Fusionner avec la CCI, pas question ! Mutualiser, oui à 100 % »

S'abonner

Projet de fusion avec la CCI, mutualisation renforcée à l’échelon régional, réorganisation des services en interne, réforme de l’apprentissage, etc. Le président de la chambre de métiers et de l’artisanat des Côtes-d’Armor, également à la tête de la chambre régionale, aborde sans langue de bois les sujets d’actualité qui fâchent mais surtout évoque les projets d’avenir pour développer la filière artisanale en Bretagne.

Photo : Julien Uguet / Journal des entreprises

Quel bilan tirez-vous de cette première année de votre second mandat à la tête de la chambre de métiers et de l’artisanat des Côtes-d’Armor, suite à votre réélection en novembre 2016 ?

Louison Noël : La chambre de métiers et de l’artisanat des Côtes-d’Armor se porte plutôt bien mais surtout elle va mieux qu’en début de mandat. Elle s’est notamment remise en ordre de marche avec l’embauche d’un chargé de mission en appui du secrétaire général, Dominique Cumin, actuellement en arrêt. J’ai également recruté une responsable des ressources humaines, en provenance de la CCI de Saint-Malo, un poste que la chambre n’avait jamais véritablement connu sous cette forme.

Ce besoin de structuration devenait vital ?

L.N. : Il était nécessaire de mieux structurer notre encadrement pour monter en compétences. C’est une volonté personnelle, partagée par les élus, car je constatais des défaillances. Le premier mandat 2010/2016 m’a permis de bien m’en rendre compte. Ce niveau d’organisation devenait une évidence pour une entreprise d’une taille aussi importante que la CMA, dotée d’un budget de 15 M€ pour 240 salariés. On peut dire que c’est un nouveau départ pour la chambre. J’ai confié cette mission à Christophe Lobert, ex-cadre du pôle MSI de Ploufragan, qui pallie l’absence du secrétaire général. Je suis satisfait de ce choix car il travaille en mode projet avec une vision sur le long terme.

Quels sont les principaux projets ?

L.N. : Nous allons débuter un travail de réorganisation en interne pour repositionner l’encadrement. L’idée est de redéfinir les postes et de rebattre les cartes afin de disposer d’une véritable stratégie d’entreprise. Je veux davantage de transversalité entre les services. Par exemple, actuellement le CFA n’échange pas assez avec le service économique qui a, par exemple, connaissance des sociétés à reprendre et qui pourraient intéresser certains de nos apprentis. Ce n’est pas un reproche car les équipes ont fait du bon travail mais il faut que les mentalités évoluent avec notre époque. Ce travail est essentiel dans un contexte incertain puisque l’État voudrait nous marier avec la chambre de commerce et d’industrie. Dans cette logique, on ne doit pas rester dans l’attente mais être prêt à négocier un virage qui pourrait se révéler brutal.

Cette idée d’une éventuelle fusion avec les CCI est partagée par le président ?

L.N. : Pas du tout ! J’ai toujours été clair sur cette question. Nous devons conserver notre identité. La CCI et la CMA n’ont pas les mêmes objectifs, la même philosophie, la même proximité, etc. Par contre, une chose est évidente. Nous devons aller vers plus de mutualisation. La fusion avec la CCI, pas question ! La mutualisation, oui à 100 %.

Sur quel type de périmètre d’intervention ?

L.N. : Nous avons déjà commencé dans les Côtes-d’Armor avec l’association Armor Synergie qui regroupe la CMA 22, la CCI 22 et la chambre d’agriculture. Certes, cette structure existe depuis longtemps, avec peu de résultats, mais elle va monter en puissance en 2018.

Un projet de centre de formation des apprentis, cogéré avec la CCI 22, est également en réflexion ?

L.N. : La chambre de métiers pilote déjà, pour la CCI 22, l’apprentissage dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Toutefois, j’avais eu une altercation, par journaux interposés, avec l’ex-président Lecomte sur la question du financement. L’arrivée de Thierry Troesch a permis de renouer le dialogue. J’apprécie son esprit d’ouverture. Reste toutefois à bien mesurer les modalités de la réforme annoncée de l’apprentissage pour aller plus loin dans ce projet de CFA cogéré.

« La gestion des CFA réalisée actuellement par le conseil régional de Bretagne est satisfaisante.»

Quel regard portez-vous sur ce projet ?

L.N. : Il semble que l’État veut enlever le pilotage de l’apprentissage aux régions pour le confier aux branches professionnelles. Les CFA bretons ne sont pas complètement d’accord avec cette orientation car la gestion réalisée actuellement par le conseil régional de Bretagne est satisfaisante. Il n’y a aucun parti-pris sur la carte des formations car les quatre chambres départementales et la chambre régionale sont écoutées. En donnant le pouvoir aux branches, la dynamique sera différente.

Au-delà de la question du financement, jugez-vous la réforme de l’apprentissage nécessaire pour toucher plus de jeunes ?

L.N. : Nous n’avons pas attendu l’État pour séduire les jeunes. Toutefois, il faut se rendre compte, et certains ne l’ont pas encore appréhendé, que les mentalités changent. Il serait intéressant d’avoir une formation dédiée pour les maîtres d’apprentissage pour qu’ils comprennent mieux les codes de la jeunesse actuelle. Par ailleurs, dans les écoles, il serait nécessaire de mieux informer les élèves sur les choix de vie qui s’offrent à eux. Les stages d’immersion de 3 jours proposés aux collégiens sont d’une totale incohérence. Ils devraient durer au minimum 6 semaines afin de leur donner l’envie de se lancer dans un métier artisanal.

Le souhait de certains de rebaptiser le CAP, le BEP, le bac pro, etc. serait une solution ?

L.N. : Cela ne changerait absolument rien. Pire, je pense que ça dévaloriserait une nouvelle fois les métiers manuels.

La mutualisation avec les CCI pourrait aller plus loin que la cogestion des CFA ?

L.N. : Plus loin, je ne pense pas. Mes collègues présidents des chambres de métiers du Finistère, du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine partagent pleinement ce point de vue.

Vous pratiquez d’ailleurs déjà la mutualisation au sein du réseau régional des chambres de métiers ?

L.N. : Effectivement. En conservant notre indépendance vis-à-vis de la chambre régionale, nous sommes obligés de faire preuve de concertation et de concession au niveau de la gestion. Il faut discuter car la chambre régionale a pour vocation à porter la mutualisation de ce qui est accepté par tous, et pas d’imposer les choses. C’est ainsi que chaque CMA départementale a conservé la gestion en direct de son CFA.

Existe-t-il encore des axes d’amélioration ?

L.N. : Actuellement, la chambre régionale mutualise la paie, les appels d’offres, la mutuelle des salariés, etc. Sur la communication, nous avons un point d’achoppement. Chaque CMA départementale veut conserver cette compétence en local. On pourrait sûrement aller plus loin mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment des salariés et contribue à l’étouffement des chambres de métiers qui ne disposeraient plus de ressources propres. Personne en Bretagne ne partage actuellement l’idée de fusionner les CMA départementales

La recherche de ressources complémentaires est, dans cette logique, stratégique ?

L.N. : Oui afin de conserver notre indépendance et pour montrer à nos partenaires que les CMA sont capables d’innover. Je prends l’exemple de la Cité du Goût et des Saveurs, née dans les Côtes-d’Armor. J’ai porté la commercialisation d’un concept unique est une vitrine du savoir-faire des artisans. Il est vendu entre 12 000 euros et 15 000 euros, suivi annuel inclus. Nous avons désormais le soutien de l’assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat pour déployer au national un véritable réseau. 12 départements y ont déjà adhéré et une dizaine supplémentaire devrait suivre en 2018.

Malgré ce contexte incertain, la chambre de métiers et d’artisanat des Côtes-d’Armor continue d’investir…

L.N. : Je dis souvent qu’il n’y a pas fumée sans feu mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer. Nous allons rénover le hall d’accueil du siège de Ploufragan afin de le remettre au goût du jour. L’investissement atteint 350 000 euros.

« Les grandes surfaces sont de belles vitrines pour toucher du monde et mettre en avant le savoir-faire des artisans. Profitons-en plutôt que de les combattre.»

Il y a un an, vous avez été élu sur la liste FFB « Fiers d’être artisans » alors qu’en 2010 vous représentiez l’UPA, devenue depuis l’U2P. Comment se passent les relations avec les élus de votre ancienne famille ?

L.N. : La défaite reste difficile à accepter pour certains mais elle est là et il faut travailler avec. Il ne faut pas oublier que nous sommes tous au service des artisans, pas de ses intérêts personnels.

Alain Griset, président national de l’U2P, a appelé à « combattre Louison Noël » lors de la création de la section des Côtes-d’Armor. Que lui répondez-vous ?

L.N. : Je trouve que c’est inadmissible de la part d’un responsable d’une organisation professionnelle nationale, l’U2P, qui devrait davantage s’occuper de faire sa promotion plutôt que de dénigrer ceux qui sont en place. J’ai fait le choix de quitter l’UPA en 2016 pour rejoindre la liste concurrente. Fort d’un bilan positif, j’ai gagné largement avec 20 sièges sur 25. Je n’ai pas plus de commentaires à apporter sur des propos aussi bas.

Vous avez également été critiqué par votre opposition au sein de la CMA 22 pour avoir signé des partenariats avec des enseignes de grande distribution. Que leur répondez-vous ?

L.N. : Tant que les artisans iront faire leurs courses dans les grandes surfaces, je n’ai aucun scrupule à travailler avec elles. Nous avons signé des partenariats pour mettre en avant le savoir-faire de nos ressortissants. Ce sont de belles vitrines pour toucher du monde. Profitons-en plutôt que de les combattre.

À l’échelon régional, que vous présidez également depuis 2016, le rapport de force est différent. Le bureau est composé de quatre représentants de votre famille et de douze membres de l’U2P. Comment se passe la gestion au quotidien ?

L.N. : Simplement. On se rend compte qu’en faisant confiance aux hommes et en réalisant certaines concessions, tout fonctionne dans l’intérêt du développement de l’artisanat en Bretagne.

# Artisanat