Côtes-d'Armor
Coronavirus - Art Rock : « L’annulation par l’État nous permet de rompre les contrats à l’amiable »
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Carol Meyer directrice du festival Art Rock à Saint-Brieuc Coronavirus - Art Rock : « L’annulation par l’État nous permet de rompre les contrats à l’amiable »

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Directrice du festival Art Rock, qui devait se dérouler les 29, 30 et 31 mai à Saint-Brieuc, Carol Meyer attendait l’annonce officielle de l'interdiction des rassemblements publics jusqu'à mi-juillet pour se projeter. Consciente d’être un des maillons de l’écosystème musical actuel, la manifestation culturelle, dont Le Journal des Entreprises est partenaire, entend faire preuve de solidarité, tout en ne se mettant pas en danger, dans les discussions en cours sur les contrats techniques ou artistiques signés.

— Photo : @GwendalLeFlem

Comment vivez-vous cette situation inédite d’avoir dû renoncer à l’édition 2020 du festival Art Rock ?

Carol Meyer : C’est dur à annoncer même si nous étions prêts à vivre cette perspective depuis plusieurs semaines. Dans l’histoire du festival, depuis plus de 30 ans, c’est la première fois que l’on renonce à une édition complète. Art Rock a vécu des annulations isolées, suite à des grèves de personnel dans les années 1980, mais ce n’était rien comparé à la situation actuelle. L’important, pour nous, était d’avoir une prise de position officielle de l’État sur l’annulation des grands festivals jusqu’à la mi-juillet.

Que change concrètement l’annonce de l'interdiction des rassemblements publics jusqu'à mi-juillet pour vous ?

Carol Meyer : Cette annonce nous protège par rapport aux prestations non honorées par le festival, comme les contrats d’artistes ou les devis prestataires, que des avances aient été versées ou pas. Si nous avions annulé de notre fait, nous aurions été redevables de la totalité des sommes inscrites dans les contrat. Avec cet arrêté ou ce décret, en cours d’écriture, nous pourrons rompre les contrats/devis à l’amiable et récupérer les avances versées le cas échéant. Sentant le vent tourner, nous avions toutefois anticipé en coupant toutes nos dépenses début mars. Seules les prestations déjà effectuées ne seront, bien entendu, pas recouvrables. Il s’agit de billets d’avion, de fabrication de supports de communication, de frais liés à la billetterie et au démarrage de certaines prestations techniques.

D’un point de vue financier, comment se porte Art Rock ?

Carol Meyer : Nous sommes en train de faire les comptes d’une édition qui n’aura finalement pas eu lieu. Concrètement, sur un budget de 2,8 millions d’euros, nos recettes se répartissent à 42 % en ventes directes (billetterie, buvette), 35 % en partenariats privés et mécénat et 23 % en subventions publiques. Avec cette annulation, les 42 % de recettes propres disparaissent. En 2020, les aides des collectivités locales, dont la plupart nous ont déjà assuré qu’elles ne remettaient pas en cause leur engagement cette année, seront notre seule ressource, avec une petite part de mécénat. En effet, une dizaine d’entreprises, peu impactées par la crise, a confirmé son soutien en tant que mécène. C’est une belle preuve de solidarité de la part de ces dirigeants qui le peuvent.

Le festival n’était-il pas assuré pour une annulation de ce type ?

Carol Meyer : Hors contrat courant, à l’année, pour le personnel, nos locaux et notre matériel, l'usage veut, dans notre secteur, qu’une manifestation comme Art Rock signe ses contrats d’assurance annulation deux à trois mois avant les dates des spectacles. Au début de l’année 2020, on a lancé les démarches avec la connaissance de la situation sanitaire en Italie. On a décidé d’attendre pour signer et donc pour engager des sommes importantes. S’ils incluent les risques connus comme les intempéries ou les actes terroristes par exemple, les contrats d’assurance annulation ne couvrent pas les risques sanitaires de type coronavirus. Bien nous en a pris, au final.

« Une dizaine d’entreprises a confirmé son soutien en tant que mécène. C’est une belle preuve de solidarité de la part de ces dirigeants qui le peuvent. »

Comment le processus de recouvrement des sommes déjà versées par le festival à ses prestataires, aux artistes, etc. va-t-il s’organiser ?

Carol Meyer : À l’heure actuelle, nous sommes en pleine discussion avec les artistes et les prestataires pour dresser un bilan. Nous devons faire le tri entre ce qui a été signé, ce qui a été engagé, ce qui a réellement été effectué et ce qui n’était pas encore signé mais qui relève parfois d’une tacite reconduction chaque année, par exemple avec des prestataires techniques historiques. Les discussions se font dans la bonne entente sans risque de procédures juridiques. Certains acceptent sans problème mais d'autres ne s’en sortent pas et nous demandent une participation financière. Dans l’économie actuelle de l’industrie musicale, Art Rock est un maillon de la chaîne. On ne veut pas reporter le fardeau sur quelqu’un d’encore plus fragiles que nous. Il est clair que l’impact ne sera pas le même pour un jeune artiste qui se lance en 2020 que pour une star confirmée. Et concernant les prestataires techniques, nous souhaitons qu’ils soient à nos côtés en 2021. Nous avons la volonté d'aider, autant que nous le pouvons, afin de participer au soutien de notre écosystème, mais sans pour autant nous mettre en danger.

Êtes-vous inquiète pour l’édition 2021 ?

Carol Meyer : Oui car si nous réussissons à sortir la tête de l’eau cette année, l’objectif est de se maintenir au-dessus de la ligne de flottaison en 2021, malgré les difficultés que l’on aperçoit. Il est évident que le soutien des entreprises privées va se réduire. Certaines n’auront pas besoin de défiscaliser. Art Rock ne sera plus une priorité pour eux, ce que l’on peut comprendre ou, tout simplement, ces fidèles partenaires auront disparu. Nous espérons aussi que le soutien des collectivités locales ne sera pas trop fortement impacté. Enfin, quel sera le surcoût sanitaire ? Faudra-t-il masquer tous les spectateurs ou limiter les jauges ? Honnêtement, je ne sais pas où l’on va et sous quelle forme se tiendra le festival ? Il faudra faire certainement des choix artistiques au regard du contexte économique.

À combien estimez-vous l’impact de l’annulation d’Art Rock sur l’économie locale ?

Carol Meyer : Art Rock, c’est 1,6 million d’euros de retombées économiques directes pour le centre-ville de Saint-Brieuc qui ne se réaliseront pas lors du week-end de la Pentecôte 2020. Pour beaucoup de bars, d’hôtels ou de restaurants, déjà bien impactés par la fermeture imposée, le festival représente le meilleur week-end de l’année.

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