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« Au lieu de taxer Google, créons nos propres champions »
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« Au lieu de taxer Google, créons nos propres champions »

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Elle a déniché Criteo, la pépite du web français. Marie Ekeland, co-fondatrice du lobby France Digitale qui regroupe start-up et capitaux-risqueurs, milite pour un traitement fiscal à part du numérique.

Photo : Christopher Gower - Unsplash

Quel est votre diagnostic en matière d'économie numérique ?

Marie Ekeland : Selon une étude de Google et différents cabinets de conseil dont McKinsey (NDLR : consultable ici), l'économie numérique en France devrait peser 7 % du PIB en 2015 contre 3,2 % actuellement. Alors que la Grande-Bretagne devrait atteindre les 15 % dès 2013. En France, notre économie numérique est déséquilibrée car tirée par les usages grand public. Ce sont eux qui ont engendré les grands succès de l'Internet ces dernières années avec Deezer, Meetic, Kelcoo ou Criteo. Le numérique est en revanche resté à la porte des entreprises. Et les succès b-to-b sont très rares. Pour en trouver un significatif, il faut remonter à celui de Business Object il y a vingt-cinq ans. Malheureusement pour nos start-up, les grands comptes prennent rarement le risque de devenir les premiers clients.

Comment jugez-vous les incitations françaises en matière d'économie numérique ? Le crédit impôt recherche et le statut de jeune entreprise innovante sont-ils adaptés ?

M.E. : Ces incitations ratent à moitié la cible numérique car l'équation « innovation = R & D » est fausse dans le secteur. La plupart des innovations des entreprises portent en effet sur un usage ou un service. Chez LinkedIn aux États-Unis, par exemple, la ligne R & D n'existe plus dans le compte de résultat. En France, Facebook n'aurait pas satisfait aux critères de jeune entreprise innovante. Et puis dans le numérique, les cycles de développement des entreprises sont extrêmement courts, quatre voire deux ans, contre 30 dans les ETI familiales. Les incitations à l'entrepreneuriat devraient en tenir compte !

Que pensez-vous du rapport Collin et Colin qui propose de taxer les géants du web qui refuseraient d'ouvrir gratuitement leurs données ?

M.E. : Je suis embêtée pour vous répondre précisément car je fais partie de la commission du Conseil national du numérique qui va étudier le rapport et donner ses conclusions au gouvernement. À titre personnel, je crois qu'au lieu de nous demander comment prendre de l'argent à Google et de déclarer la guerre à tous les grands Américains, on devrait plutôt s'interroger sur la manière de faire émerger des concurrents locaux de manière simple... Leur présence peut nous aider à développer notre écosystème local, je pense que c'est plutôt cette opportunité qu'il faut saisir. L'ambiance « épouvantail » rejaillit sur tous les entrepreneurs qui veulent créer leur business en France... Essayons plutôt de régler le problème de la taxation au plan international, même si c'est compliqué...

À votre avis, pourquoi n'a-t-on pas, en France, de champion mondial comme Google ?

M.E. : La question du financement est l'une des causes structurelles. L'introduction en bourse est compliquée. Nous manquons d'analystes boursiers en valeurs technologiques. Et nous disposons de très peu de comparables, c'est-à-dire de valeurs technologiques déjà cotées et de métriques de valorisation auxquelles se référer.

C'est aussi une question de culture du risque ?

M.E. : Oui, très peu d'acquéreurs européens sont capables de payer une valeur stratégique pour le rachat d'une entreprise et de prendre un pari sur un nouveau produit ou marché. Un Facebook qui rachète Instagram 1 milliard de dollars, je n'ai jamais vu ça... En général, les Européens achètent une entreprise sur un multiple du résultat net. Donc souvent, quand on vend des entreprises, on les vend à des Américains... On manque aussi d'investisseurs financiers en aval du capital-risque. Aux États-Unis, un tiers des sorties se font à travers de fonds de croissance. En Europe, nous n'en avons pas.

Le capital-risque est de plus en plus sous perfusion de fonds publics. Croyez-vous au crowdfunding (NDLR : financement participatif) pour l'amorçage des entreprises ?

M.E. : Aujourd'hui, sans les fonds publics qui investissent dans nos fonds, l'industrie du capital-risque serait décimée. Il y a quatre ans, 35 % des fonds étaient souscrits par le public, contre 65 % aujourd'hui. Le secteur va devoir se réinventer. Donc, en effet, de nouveaux modèles de financement de start-up vont sans doute éclore. Et on le voit déjà avec le succès d'AngelList aux États-Unis. On est à un carrefour en raison de l'inefficience moyenne des fonds de capital-risque et du succès de ce type de plateforme qui a démocratisé l'activité des business angels.

On vous a entendu cet automne vous exprimer, dans le cadre du mouvement des "pigeons", contre l'article 6 du projet de loi de finance 2013. Finalement, le gouvernement a mis de l'eau dans son vin en instaurant un prélèvement libératoire de 19 % pour les créateurs d'entreprise. Comment mesurez-vous les effets du nouveau dispositif sur les plus-values de cession ?

M.E. : Ce dispositif différencie les typologies d'associés. Et cela induit beaucoup d'effets néfastes car il est difficile de faire une délimitation précise. Donc on ajoute de la complexité. Au sein de France Digitale, nous avons mené une étude parmi les 25 plus gros succès de l'Internet français (Deezer, Criteo, etc.) Dans près d'un cas sur deux, les fondateurs de la même boîte ne sont pas taxés de façon identique ! Parmi ces PME du numérique et de croissance, on s'aperçoit que 11 % seulement rentrent dans les critères de créateur d'entreprise... En moyenne l'ensemble de ces entrepreneurs est taxé à 46 %. C'est donc 20 points de plus que la moyenne européenne, dans une économie où 40 % du chiffre d'affaires des entreprises est effectué à l'international ! Donc l'ensemble de ce dispositif est très nocif et pas seulement pour les business angels.

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