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« Ne pas se précipiter pour créer son entreprise, c'est crucial »
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Jean-François Létard président d'OliKrom « Ne pas se précipiter pour créer son entreprise, c'est crucial »

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Une usine à Pessac qui devrait entrer en production à la fin du premier semestre, une deuxième levée de fonds et l'arrivée de ses produits sur le marché... L'année 2018 s'annonce riche en défis pour le spécialiste bordelais des pigments intelligents OliKrom.

Photo : OliKrom/anaelb.com

Pendant près de 20 ans, vous avez été directeur de recherche au CNRS. Rien ne vous prédestinait à devenir chef d'entreprise... et pourtant !

Jean-François Létard : A la base, je suis un chercheur, j'ai fait une thèse en photochimie puis j'ai rapidement été recruté par le CNRS, en 1995. Je n'avais pas beaucoup d'entrepreneurs dans mon entourage. Et surtout, il y a 20 ans, au début du projet, la société n'était pas encore dans cette dynamique de création et d'accompagnement des start-up. Je me suis lancé malgré tout ! Et vous seriez étonnée de toutes les similtudes qui rapprochent les chercheurs et les entrepreneurs : ils manient tous les deux des données complexes sans savoir si cela aboutira, ils doivent aller chercher des financements... Finalement, les chercheurs sont sacrément armés pour devenir chefs d'entreprises (rires).

Vous êtes passé par une cellule de transfert, un dispositif spécifique à la région Nouvelle-Aquitaine. Qu'est-ce que cela vous a apporté ?

J-F.L. : Nous nous sommes adossés à l'Adera (une association qui aide les laboratoires académiques à transférer leurs technologies vers les entreprises privées, ndlr). Et concrètement, la région a financé une partie de ce transfert vers le monde industriel. Cela m'a permis de fonctionner comme une micro-entreprise et de mûrir le projet pendant 5 ans. Le tout en restant au CNRS car cela aurait été une prise de risque folle de quitter mon poste à ce stade. Quand j'ai créé Olikrom en 2014, nous avons été rentables immédiatement, justement parce qu'il y avait eu cette phase transitoire avec l'Adera durant laquelle nous avons pu nouer des contacts avec des clients et rentrer quelques contrats. Si l'entreprise avait été créée avant ces cinq années de maturation, je n'aurais fait que cramer du cash ! C'est crucial de ne pas se précipiter et de ne pas créer son entreprise trop vite.

Un produit utilisant votre technologie de pigments intelligents est-il déjà sur le marché ?

J-F. L. : Depuis le mois de décembre, oui. Mais vous ne saurez pas lequel ! Nous avons signé 50 contrats en trois ans et 95% d'entre eux sont confidentiels. Nous avons établi une relation de confiance avec nos clients industriels car nous sommes sur un créneau très sensible pour eux. Je peux toutefois vous dire que l'on a travaillé avec Airbus. Nous avons développé un revêtement thermosensible pour détecter une surchauffe, même très localisée, dans les zones moteurs. Cela leur permet d'identifier une fuite d'air chaud par exemple et d'anticiper une action de maintenance. Nous travaillons également Eiffage sur un marquage au sol qui s'illumine la nuit. Les premiers tests grandeur nature auront lieu à la fin du 1er semestre.

C'est important d'être conscient et fier des étapes franchies ! Et en même temps, de bien se rendre compte qu'on n'est qu'à mi-chemin.

Trois ans après, quelles sont les prochaines étapes du développement d'Olikrom ?

J-F.L. : D'abord, l'ouverture de notre usine - ou plutôt de notre unité pilote de production - à Pessac, à la fin du premier semestre. Nous avons investi 5 millions au total dans ce nouveau bâtiment mais c'était une étape indispensable. Nous espérons aussi boucler une deuxième levée de fonds, nous sommes à la recherche d'un à deux millions.

Et dans deux ou trois ans, nous aurons certainement un autre projet foncier afin d'ouvrir une usine dimensionnée pour des projets avec des plus gros volumes, comme celui de la route du futur avec notre partenaire Eiffage.

Quels freins rencontrent les "deep tech" comme vous aujourd'hui ?

J-F.L. : Il faut comprendre que les "deep tech", ces start-up à l'origine d'innovations de rupture, mettent plus de temps que les autres pour arriver sur le marché. Les besoins financiers ne sont pas les mêmes que pour une start-up qui développe un service numérique. Or les fonds d'investissement français n'ont pas encore compris ce mouvement qui arrive des Etats-Unis et ne sont pas forcément dimensionnés pour la "deep tech". Aujourd'hui, les fonds d'investissement étrangers ont vraiment pris en compte cette dynamique. Donc ce sont eux qui participent principalement aux levées de fonds.

Avez-vous déjà été approché pour un rachat ?

J-F.L. : Je n'ai pas fait tout ça pour ça. Nous voulons rester indépendants. Et en Nouvelle-Aquitaine !

Vous doutez parfois ?

J-F.L. : C'est important d'être conscient et fier des étapes franchies ! Et en même temps, de bien se rendre compte qu'on n'est qu'à mi-chemin.

Photo : OliKrom/anaelb.com
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