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Les drones de Reflet du Monde prêts à décoller 
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Les drones de Reflet du Monde prêts à décoller 

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Dans ce Grand Sud-Ouest français qui fait de sa filière aéronautique son fleuron économique et industriel, il est des acteurs discrets. Les dirigeants et drones de Reflet du Monde en sont et défendent un modèle économique hybride, alliant formation au télépilotage, prestations, R & D et vente de matériel. Un pari assumé qui peine à convaincre encore les investisseurs.

Patrice Rosier et Lilian Marolleau, créateurs et associés de Reflet du Monde à Saint-Aubin de Médoc. L'entreprise utilise des solutions de fabrication additive pour proposer à la vente ses produits "made in Médoc".
— Photo : © Anne Cesbron/JDE

Route de Lacanau, à l’écart des pistes des aérodromes, l’entreprise s’est posée en juin dernier à Saint-Aubin-de-Médoc. Créée en 2006, d’abord incubée par Bordeaux Technowest, Reflet du Monde fait de ses 450 mètres carrés flambant neufs sa nouvelle base. C’est d’ici que Lilian Marolleau et Patrice Rosier, cofondateur et associés, entendent démontrer que leur entreprise, forte de ses quatre domaines d’activité – de la conception à la vente en passant par la formation – dispose de tous les atouts pour décoller.

Un départ prématuré

Centre de formation professionnelle depuis 2013, Reflet du Monde délivre les modules théoriques et pratiques aux futurs opérateurs de drones, conformes à la réglementation de la Direction générale de l’aviation civile. Chaque année, une centaine d’élèves suivent ces formations pour se spécialiser dans l’imagerie infrarouge, les usages agricoles, les relevés photogrammétriques, les analyses de risques… Patrice Rosier qui nourrit son projet de création d’entreprise depuis les bancs de son lycée à Bourges, diplômé de l’Institut de maintenance aéronautique (IMA) à Mérignac, l’assure : « Voilà vingt ans que j’en rêve. Mais je suis peut-être parti un peu tôt, à une époque où la technologie drone n’était pas mûre et la réglementation pas en place ». Le jeune trentenaire venait de quitter son poste de responsable de campagnes de vols scientifiques sur l’A300-Zero-G pour retrouver la pesanteur et rejoindre la structure d’accompagnement de start-up Bordeaux Technowest. Son premier projet drone est incubé aux côtés des précurseurs de Fly-n-Sense, mais n’aboutit pas. La création d’entreprise viendra dans la foulée, de sa rencontre en 2012 avec Lilian Marolleau, ancien de chez Thales, spécialiste de l’imagerie aérienne en paramoteur. « Il lui manquait la dimension ingénierie drone, quant à moi j’étais intéressé par ses prestations et je n’avais pas l’aspect clientèle qu’il avait développé », se souvient Patrice Rosier. Le duo comprend que ses expertises réunies peuvent adresser le segment de la formation.

Sans étude de marché

En 2013, leurs offres publiées sur le site internet de Lilian Marolleau trouvent immédiatement preneurs. « Face à cette demande, nous nous sommes lancés le 1er juin 2014, il n’y a pas eu besoin de faire une étude de marché », se souvient le cofondateur. La première promo compte des techniciens de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et un sportif en reconversion. Ce seront ensuite des profils tout aussi différents qui viendront s’initier au pilotage de drone, venus des quatre coins de l’Hexagone et de multiples secteurs, depuis la gendarmerie, les douanes, et d’autres organismes publics et parapublics, tels que l’Ifremer – Institut français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer –, ou des grands groupes : ArcelorMittal, Eiffage, RTE, Enedis et Monsanto.

« On nous questionne souvent sur le bien-fondé de conserver l’activité de vente en ligne, moins innovante et moins rentable que les services »

Les clients désireux de s’équiper ont poussé le duo de Reflet du Monde à développer rapidement une deuxième activité : la vente de matériel. Un site commerçant est développé, puis un autre dédié à l’international. Celui-ci est aujourd’hui traduit en sept langues. « On nous questionne souvent sur le bien-fondé de conserver cette activité de vente en ligne, moins innovante et moins rentable que les services, en nous conseillant de nous focaliser sur le centre de formations. Pourtant, notre modèle qui repose aussi sur les prestations en BtoB, nous a permis de passer l’année difficile de 2020. C’est la vente en ligne et notre activité de bureau d’études qui nous ont sauvé la mise », se défend Patrice Rosier. Le BtoB constitue près de la moitié de l’activité de l’entreprise.

Un propos qui semble s’adresser aux organismes de prêts et de soutiens qui n’auraient pas encore cru bon d’accompagner la jeune pousse. Après cinq ans d’existence, Reflet du Monde affichait pourtant en 2019 un chiffre d’affaires de 760 000 euros, avec le cap du million d’euros en ligne de mire pour 2020. Après une baisse d’activité de 25 %, liée aux conséquences du Covid-19 l’année passée, l’objectif du million d’euros est de nouveau d’actualité à en croire les 200 000 euros de chiffre d’affaires réalisés ce premier trimestre.

Crash et vents mauvais

Forte de ses 10 collaborateurs, la société admet toutefois volontiers que les vents contraires sont puissants dans l’environnement des drones. L’accueil institutionnel frileux qui leur est fait s’expliquerait par les nombreux crashs qui ont secoué le secteur, notamment dans le Sud-Ouest. « Nous marchons dans l’ombre des entreprises locales qui ont manipulé de gros budgets et qui se sont crashées. Si nous n’avons pas réussi à obtenir des aides, c’est que nous avons fait les frais de cette atmosphère. Alors que nous, nous sommes toujours là », regrette le co-gérant qui ne dépose pas pour autant son bâton de pèlerin. En 2021, le quadragénaire souhaite plus que jamais convaincre des partenaires de s’engager à ses côtés dans le cadre d’une levée de fonds. La participation de l’entreprise au programme régional Up Grade 2020-2021 destiné à optimiser la croissance de start-up à fort potentiel et consolider leur ancrage régional pourrait lever des freins et engager des synergies, notamment auprès des autres Bordelais de la promo des dix récipiendaires. On note en effet la présence d’AéroSpline et ses robots collaboratifs pour les métiers de l’aéronautique et de Dronisos, spécialiste des spectacles de drones.

Ouvrir des avant-postes

« Avec Up Grade, nous avons le projet d’ouvrir des antennes commerciales pour nous rapprocher de nos clients à travers la France pour des prestations industrielles, agricole. Actuellement, 50 % d’entre eux sont dans le Grand Sud-ouest, ce qui montre le fort effet de localisation », précise le dirigeant. Ainsi Arcelor Mittal, Eiffage et RTE auraient signifié à l’entreprise girondine leur souhait de la voir présente à Aix, Lille ou encore à Grenoble.

« Nous nous démarquons parce que nous n’avons jamais voulu aller plus vite que le marché »

Dans le viseur de Reflet du Monde, les villes de Marseille et Paris sont les premières cibles pour y créer ces avant-postes. Un développement qui nécessiterait « une nouvelle force de frappe » : une levée de 500 000 euros constitue l’un des projets majeurs des codirigeants et qui les occupe depuis plus d’un an. Pour l’heure, les investisseurs se montrent encore circonspects. « C’est agaçant de constater que notre modèle n’est pas dans l’air du temps en France. Nous ne sommes pas une start-up qui projette d’être rachetée, de faire un gros coup. Cela nous différencie au sein de l’écosystème, mais cela nous fait également durer », souligne Lilian Marolleau. Pour défendre le modèle hybride de Reflet du Monde, Patrice Rosier l’assure : « On nous dit que 90 % des entreprises du drone sont constituées de deux salariés pour un chiffre d’affaires inférieur à 100 000 euros. Nous nous démarquons de ces structures. Notamment parce que nous n’avons jamais voulu aller plus vite que le marché ».

Cette croissance maîtrisée est actuellement portée par les développements du drone géant de Reflet du Monde sur les segments militaires et médicaux, comme "mule" de transport de matériel en zones difficiles. « La persévérance est une de nos forces, c’est indéniable. Mais avec la nouvelle réglementation en vigueur depuis ce 1er janvier, la concurrence devient européenne, il nous faut de l’aide extérieure pour accélérer », insiste Patrice Rosier. Depuis la base de Saint-Aubin, les drones et les dronistes sont prêts à s’envoler vers de nouveaux horizons.

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