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AT Internet se met au diapason avec Piano
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AT Internet se met au diapason avec Piano

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Créée aux balbutiements du web, la pépite girondine AT Internet est tombée dans l’escarcelle de l’entreprise américaine Piano. Une décision inattendue pour cette entreprise familiale qui avait jusque-là repoussé les propositions de fusion ? Pas tant que ça…

Mathieu Llorens, directeur général d’AT Internet — Photo : CAMY VERRIER

Tout est une histoire de rythme. Savoir battre la mesure pour une composition harmonieuse. C’est la partition qui s’est jouée, ces derniers mois, dans les bureaux de la direction d’AT Internet à Mérignac. Après 25 ans d’une indépendance farouchement couvée, la PME familiale, spécialiste de la mesure et l’analyse des données d’audience sur internet, a fait le choix de la fusion. Début mars, son directeur général Mathieu Llorens - fils d’Alain Llorens, le fondateur de l’entreprise – annonçait que l’entreprise américaine Piano avait racheté AT Internet. "Cela n’a pas été une décision facile évidemment, mais il faut savoir prendre ses responsabilités", commente-t-il. Au sein de cette nouvelle organisation, Mathieu Llorens reste à la tête de l’entité basée à Mérignac et devient actionnaire de la société Piano. La transaction comprend un échange d’espèces et d’actions, avec un financement d’Updata Partners, Rittenhouse Ventures et Sixth Street Partners, et se traduit par l’acquisition par Piano de 100 % des parts d’AT Internet.

Ne pas rester isolé

Selon le dirigeant de 44 ans, toutes les conditions étaient réunies pour réaliser cette opération. Le contexte était doublement favorable à l’entreprise girondine : le lancement d’une nouvelle version de sa plateforme et un environnement de marché propice avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) et les recommandations de la Cnil. "C’est à ce moment-là qu’il faut prendre ce genre de décisions. Pas lorsque l’entreprise ne va pas bien. C’était le moment idéal pour passer à l’étape d’après, afin de faire avancer notre entreprise et la carrière de nos collaborateurs", raconte Mathieu Llorens. Puis rester une proie isolée dans un océan de concurrents dans lequel nagent des prédateurs redoutables comme Google ou Adobe n’apparaissait pas judicieux.

Partant de ce constat, la direction d’AT Internet a examiné les différentes options, notamment pour étancher sa soif de développement à l’international. Passer par la case levée de fonds ? "Pour notre déploiement à l’étranger, il aurait fallu créer des équipes commerciales et marketing dédiées, on sait que cela peut s’avérer long, coûteux et risqué. Avec une levée de fonds, on aurait aussi perdu une certaine forme d’indépendance et de contrôle. Quitte à faire ce choix-là, nous avons préféré nous adosser à Piano qui nous offrait plus de garanties", détaille Mathieu Llorens. "Notre complémentarité en termes géographique et de produits est très forte. On savait que l’on bénéficierait d’une équipe prête rapidement".

Cap sur le Japon

Des expériences à l’international, le spécialiste de l’analyse des données en a mené plusieurs, avec des succès variables. Si la greffe a bien pris en Allemagne et en Grande-Bretagne (notamment en décrochant un contrat avec la prestigieuse BBC), l’expérience a été moins concluante au Brésil ou en Russie. "Le contexte géopolitique n’était pas bon, le jour où je signais les contrats pour notre filiale russe, les sanctions américaines étaient annoncées, je voyais le rouble chuter…", se souvient Mathieu Llorens.

Le prochain marché ciblé par AT Internet est le Japon, un pays où Piano est déjà bien implanté. Un argument de poids pour l’entreprise française qui a déjà mesuré à quel point un déploiement à l’étranger pouvait être gourmand en capital. "Nous proposons des solutions haut de gamme, donc ce sont plutôt les marchés matures qui vont opter pour nos produits, plutôt que pour une solution gratuite. C’est le cas du Japon. Et puis l’histoire de notre entreprise, familiale, qui s’inscrit dans la durée, parle beaucoup aux clients japonais", observe Mathieu Llorens.

En termes de produits également, chaque partie apportait une pièce manquante au puzzle de l’autre. La plateforme d’AT Internet permet aux acteurs numériques de mesurer et d’analyser efficacement les flux de visiteurs sur leurs différents supports digitaux, ainsi que leurs actions et leurs comportements ultérieurs. Les clients peuvent ensuite visualiser ces données dans des tableaux de bord, partager les rapports à l’ensemble de l’entreprise, mais aussi les intégrer à des dizaines d’autres applications du digital marketing. Par ailleurs, ces données aident les entreprises à atteindre un niveau élevé de conformité en matière de protection de la vie privée, notamment autour de règlements comme le RGPD.

Piano, de son côté, fournit à ses clients une large gamme de logiciels qui agissent sur l’ensemble du parcours client pour stimuler l’engagement, la conversion, la monétisation et la rétention des audiences. "Historiquement, les outils d’analytics et d’expérience client fonctionnaient séparément. L’offre intégrée de Piano et d’AT Internet sera donc l’occasion parfaite pour tous nos clients d’améliorer la compréhension de leurs audiences et de leur proposer des expériences personnalisées" commente Trevor Kaufman, le PDG de Piano. "Nos données vont rendre intelligents les outils développés par Piano. Sinon, ils étaient dépendants de boîtes qui étaient parfois leurs concurrents", précise Mathieu Llorens.

Les solutions des deux entreprises servent des centaines de grandes marques d’édition et de médias numériques, dont Deutsche Telekom, NBC Sports, The Wall Street Journal et The Weather Company (IBM). AT Internet propose également ses services à des clients d’autres secteurs, notamment le e-commerce, la finance, l’institutionnel et les transports. Ensemble, elles mesureront et personnaliseront plus de 145 milliards de pages web par mois, et proposeront des expériences au sein d’applications natives sur les plateformes mobiles, les smart TV, ou encore les enceintes connectées.

Des engagements sur l’emploi

L’expertise technique d’AT Internet avait déjà attiré les convoitises, des assauts jusque-là repoussés par la famille Llorens. "Des propositions de rapprochement avec des concurrents, on en a reçues. Mais vu la taille des concurrents, nous étions bien conscients qu’ils voulaient récupérer la technologie et les clients et ensuite nous séparer d’une partie des équipes". Alors que Piano s’est engagé à ce que les équipes actuelles restent en place et soient même renforcées. Les 400 salariés de Piano et les 200 d’AT Internet seront ainsi à pied d’œuvre pour développer des innovations pour la nouvelle entité. "Bordeaux sera désormais le pôle de recherche et développement le plus important pour le groupe", souligne Mathieu Lorens. La partie R & D de Piano est d’ores et déjà installée en Europe (entre l’Ukraine et la Norvège), tout comme 85 % de l’effectif total de l’entreprise dont le siège est basé près de New York. Si les chiffres d’affaires des deux entreprises ne sont pas communiqués, "nous sommes profitables", assène-t-il.

Pour les mois à venir, la feuille de route est déjà bien fournie. Le travail d’intégration et de rapprochement des deux sociétés demandera du temps. Un chantier a déjà été engagé sur l’interprétation automatique des données, via le "machine learning", pour les vidéos. "Notre roadmap est ambitieuse, c’est ce qui est passionnant", conclut Mathieu Llorens. Un duo qui se construira à petits pas. Évidemment. "Qui va piano"…

Encadré : Les stigmates du Covid

Si la PME mérignacaise fait partie du cercle restreint des entreprises épargnées par la crise du Covid-19, elle en aura tout de même ressenti les remous, via l’activité de ses clients. En effet, l’entreprise facture en fonction du volume d’audience : certains ont vu leur activité drastiquement baisser quand d’autres (notamment les médias télévisés) ont vu leur audience exploser. N’ayant pas été contraint d’arrêter sa production, AT Internet n’a pas eu recours au chômage partiel mais avait tout de même contracté un prêt garanti par l’État, par précaution. L’entreprise n’y a finalement pas touché et l’a déjà remboursé.

Et même sur les entreprises les moins touchées, la période laissera des traces visibles. "Ce dont on a le plus souffert, c’est de l’absence de liens sociaux", constate son directeur général. Concernant l’organisation du travail et des locaux, AT Internet sait déjà qu’il n’y aura pas de "retour à la normale". La pratique du télétravail était déjà bien ancrée dans l’ADN de l’entreprise, elle est désormais contractualisée, les avenants ont été signés pour l’ensemble des collaborateurs. L’entreprise avait investi en 2018 des locaux flambant neufs, proches de l’aéroport, ils seront repensés afin de les orienter pour les réunions. Des "zoom rooms" - salles dédiées à l’utilisation de la visioconférence – avec l’équipement vidéo et l’éclairage adéquats sont à l’étude afin de renforcer les liens avec les clients. Pour les collaborateurs, il s’agit de leur proposer des choses qu’ils n’auraient pas à disposition chez eux et de permettre d’être plus efficaces collectivement.

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