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Hôtels de luxe : Bordeaux a-t-elle la folie des grandeurs ?
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Hôtels de luxe : Bordeaux a-t-elle la folie des grandeurs ?

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Six millions de touristes et un taux d’occupation record : l’hôtellerie bordelaise est en pleine forme. Aujourd’hui, les projets d’hôtels haut de gamme se multiplient dans la métropole : près de 600 chambres supplémentaires devraient voir le jour sous cinq ans. Mais y aura-t-il de la place pour tout le monde ?

Photo : Grand Hôtel

C’est le prochain coup de Michel Ohayon. L’homme d’affaires de 55 ans, à la tête de Financière Immobilière Bordelaise, continuer à investir dans l’hôtellerie haut de gamme. Parti du commerce de vêtements dans le quartier de Mériadeck à Bordeaux pour arriver au foncier et à l’hôtellerie de luxe, l’autodidacte détient déjà le Grand Hôtel, place de la Comédie. Après le rachat en 2014 du Waldorf Astoria Trianon Palace à Versailles, ce sont les murs de l’ex-Virgin Mégastore qu’il achète au groupe Generali Real Estate, place Gambetta, à Bordeaux. Un hôtel 5 étoiles va y voir le jour, avec, il se murmure, des infrastructures "très" haut de gamme. En attendant, le très discret homme d’affaires a fait sa première acquisition dans le vignoble en reprenant le Château Trianon à Saint-Emilion. Objectif : créer le premier resort de luxe au milieu du vignoble bordelais…
Un autre dirigeant préparerait une offensive dans le luxe : Patrice Pichet. Depuis 30 ans, l’homme a développé son empire dans le secteur de l’immobilier. Tour à tour promoteur, administrateur de biens dans l’activité foncière patrimoniale et viticole (propriétaire des Carmes Haut-Brion) ou encore exploitant des hôtels All Suites (3 étoiles). Aujourd’hui, Patrice Pichet voudrait se positionner dans l’hôtellerie haut de gamme. Après Dunkerque et son "4 étoiles plus", c’est sur ses terres qu’il aurait obtenu le permis de construire pour ériger, selon L’Expansion, "un 5 étoiles au cœur des Chartrons, dans d’anciens chais monumentaux, avec une centaine de chambres".

L’offre haut de gamme va doubler

Dans le même temps, les projets d’hôtels 4 étoiles se multiplient. En 2018, les ouvertures vont se succéder : le Radisson Blu va s’implanter dans les Bassins à flot et frappe fort avec un bâtiment atypique au squelette en métal, 125 chambres et un complexe sportif sur le toit. Le groupe Hilton, lui, ouvrira un établissement au sein de la halle Boca, quai de Paludate. L’Institut de Zoologie cours de la Marne cédera sa place à un 4 étoiles de 40 chambres, équipé d’un spa, d’un jardin intérieur et d’un restaurant. Même la place de la Victoire va s’embourgeoiser : le groupe Angélys compte y installer « l’Hôtel Victoire » avec ses 38 chambres, un spa, une piscine intérieure et une brasserie. Au total, au sein de la métropole, 579 chambres supplémentaires devraient voir le jour dans les cinq ans dans des hôtels haut de gamme et de luxe. De quoi doubler le parc hôtelier de ce segment de marché, qui compte aujourd’hui 603 chambres. Pourquoi les hôtels haut de gamme ont-ils aujourd’hui le vent en poupe à Bordeaux ? Parce que la ville surfe sur une conjoncture extrêmement favorable. "Nous sommes dans un cycle très positif pour l’hôtellerie bordelaise", observe ainsi Laurent Putz responsable du pôle étude de la CCI de Bordeaux.

En 2016, le marché de l’hôtellerie, toutes catégories confondues, se porte bien à Bordeaux. Beaucoup mieux qu’à Paris, qu’à Nice ou plus généralement qu’en France où les attentats et le géant de l’hébergement collaboratif Airbnb ont eu un impact considérable. Et cela est également vrai pour le luxe. Selon une étude Deloitte InExtenso, l’hôtellerie haut de gamme française a été globalement à la peine avec un revenu moyen par chambre (RevPAR) en baisse. Mais, à Bordeaux, cet indice progresse de 9% sur un an, grâce à un taux d’occupation en forme olympique. En août 2017, ce dernier était ainsi de 83%. Une performance qui place Bordeaux devant les grandes agglomérations françaises telles que Lille, Lyon ou Marseille.

De 3 à 6 millions de touristes en 4 ans

Ce qui explique que les hôtels de la ville ne désemplissent pas ? "Il y a dix ans, Bordeaux était la dernière de la classe. Aujourd’hui, la ville se positionne sur le haut du podium grâce à un travail d’urbanisme et de valorisation touristique qui a relancé la destination. Elle a su générer une dynamique, créer une demande", explique Olivier Petit, associé du cabinet In Extenso.

La distinction Patrimoine Mondial de l’Unesco, le classement du Lonely Planet en 2016 (Bordeaux sacrée n°1 des villes à visiter), l’arrivée de la LGV en 2017 et de nouvelles connexions aériennes ont contribué à l’image de marque de Bordeaux, ville devenue à la mode. Les touristes affluent aujourd’hui. Six millions sont venus en 2016. C’est deux fois plus qu’en 2012. Et, pour 2017, on devrait atteindre la barre des 7 millions de visiteurs…

Toutefois "notre modèle n’est ni Venise, ni Barcelone. La transformation urbaine n’a pas été faite pour les touristes. L’important est de répartir les flux touristiques", tempère Nicolas Martin, directeur de l’Office de Tourisme de Bordeaux. Preuve de la bonne santé du marché touristique bordelais, la diversité de la clientèle : "52% des nuitées émanent du tourisme d’affaires et 48% du loisir", ajoute-t-il. Cet équilibre entre tourisme d’affaires et d’agrément permet à des projets haut de gamme de se développer. C’est par exemple le cas du Grand Hôtel.

Après des années de travaux, l’établissement a rouvert ses portes en 2007. À la manoeuvre, Michel Ohayon. Il est le premier à parier sur le haut de gamme dans l’hôtellerie bordelaise. Si les débuts ont été difficiles, l’hôtel est devenu une institution et va même bénéficier d’une belle extension. Il attire célébrités et touristes du monde entier. Outre ses 130 chambres, son spa de 1 000 m², son rooftop avec vue sur le grand Théâtre et la place de la Comédie, il a un petit plus: un restaurant gastronomique tenu par le chef étoilé Gordon Ramsay. En dépit de l’arrivée de la concurrence et des fluctuations touristiques saisonnières, son taux d’occupation est toujours en progression.

"On peut toujours mieux faire, explique Thomas Bourdois, directeur de l’hôtel. Mais nous sommes bien positionnés avec une offre cohérente". A deux pas du Jardin Public dans le triangle d’or, l’Hôtel des Quinconces est depuis septembre dernier, et après deux années de rénovation, le quatrième arrivant du cercle fermé des 5 étoiles bordelais. Jing Wang, la propriétaire chinoise vivant à Bordeaux depuis 12 ans, a eu le coup de foudre pour le bâtiment datant de 1840 et en a fait un hôtel raffiné de neuf chambres, avec une dominante zen. L’hôtel a réussi à trouver son rythme avec un taux d’occupation de 65 % et ne craint pas un trop plein de projets d’hôtels de luxe. « C’est l’offre qui crée la demande. Plus on propose d’hôtels, plus on va attirer la clientèle. Il faut juste respecter une certaine proportionnalité dans le développement de la ville, ne pas la dénaturer », explique Philippe Dos Santos, le directeur de l’établissement.

Bernard Magrez : « La clientèle n’est pas là »

Tous les acteurs du haut de gamme ne partagent pourtant pas cet avis. Bernard Magrez garde encore un goût amer de son experience du 5 étoiles à Bordeaux. Des projets à venir dans le luxe ? "Non, j’ai compris que la clientèle n’est pas là". Le patron aux quarante vignobles à travers le monde a retenu la leçon de son 5 étoiles La Grande Maison et sa table Terre de vins lancée début 2015 pour laquelle il visait trois étoiles au Guide Michelin avec Joël Robuchon. Depuis, le restaurant gastronomique a rebondi, l’hôtel fonctionne bien, mais le flair de Bernard Magrez l’incite à ne pas enfoncer le clou dans l’hébergement de luxe. "Le low-cost a complètement changé l’approche touristique, à tous les âges, estime-t-il. Les attentes du consommateur ne sont pas les mêmes. Je n’ai pas honte d’aller dans ce secteur, je vais chercher là où est le consommateur". Ce qui intéresse maintenant le dirigeant ? "Ce sont les deux et trois étoiles. Je viens d’en acheter un [l’hôtel Acanthe, rue Saint-Rémi, NDLR], je suis en passe d’en signer un deuxième et j’en cherche d’autres."

Si on s’en réfère au flair des professionnels du secteur, difficile donc d’avoir un avis tranché sur le potentiel bordelais en matière d’hôtellerie de luxe. C’est ce que confirme un bon observateur du marché. "L’hôtellerie est un service qui accompagne la croissance touristique et non pas l’inverse. Elle est toujours en déséquilibre : il y a soit trop de chambres, soit pas assez. C’est une activité cyclique", prévient Olivier Petit, associé du département conseil tourisme, hôtellerie et restauration chez In Extenso. Pour ce spécialiste de l’hôtellerie, l’arrivée de 600 chambres haut de gamme ne sera pas sans impact. "Ce que l’on peut anticiper, lors de la sortie de ces chambres, c’est un risque de tassement des performances", assure-t-il. Une position partagée par Thierry Gaillac, président délégué de la branche hôtellerie de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie de la Gironde. Tout est une question de rythme : "Il ne faut pas que tous les projets hôteliers arrivent en même temps". En attendant, la métropole tente de veiller au grain. Elle a créée un groupe de travail sur l’observation de tous les projets hôteliers. Une manière d’éviter toute déstabilisation d’un marché dans lequel tous les voyants sont aujourd’hui au vert.

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