Gironde
En Gironde, les professionnels en ordre de marche face au mur des défaillances
Enquête Gironde # Finance # Juridique

En Gironde, les professionnels en ordre de marche face au mur des défaillances

S'abonner

Prédite depuis plusieurs mois, une vague de défaillances d’entreprises semble inéluctable, conséquence de la crise du Covid-19. Pourtant, en Gironde, nombre de professionnels du conseil aux entreprises l’assurent, il est possible d’amortir le choc. Ils se mettent en condition pour dégainer des outils salvateurs pour les entreprises.

Juges au tribunal de commerce, administrateurs, commissaires aux comptes, avocats, se mobilisent pour prévenir les difficultés que pourraient rencontrer les PME dans les mois à venir, notamment lorsqu'elles commenceront à rembourser leur PGE. — Photo : David - stock.adobe.com

Il était attendu pour la rentrée, puis pour la fin d’année, il paraît désormais acté qu’il n’arrivera pas avant les prochaines élections présidentielles en France. Le "mur" des défaillances d’entreprises, conséquence indirecte de la pandémie de Covid-19, fait couler autant d’encre qu’il tourmente. Et pour cause : selon une étude du Conseil d’analyse économique (CAE), en août 2021, 15 à 25 % des entreprises ayant contracté un prêt garanti par l’État (PGE) seraient dans l’incapacité de rembourser une annuité de 20 % de leur PGE. "La question sera de savoir si ces entreprises vont par la suite générer des revenus suffisants pour pouvoir payer les annuités suivantes alors même que les aides s’éteignent", interroge cette instance réunissant des économistes pour conseiller le Premier ministre.

-40 % de défaillances

En attendant, en Gironde, c’est le calme plat avant la tempête. Le nombre de procédures de défaillance a chuté de 40 % en 2021 par rapport à 2019 au tribunal de commerce de Bordeaux. "On le sait, dès que l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) va recommencer à assigner les entreprises qui lui doivent de l’argent, ça va cogner sévère", alerte Alexandra Blanch, administratrice judiciaire. Ce ne sera pas faute d’avoir prévenu. Depuis des mois, la Bordelaise arpente les couloirs de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC), jusqu’à ceux du réseau CCI France, en passant par l’ordre des avocats, les organisations patronales, les pépinières d’entreprises, pour faire passer un message : des mesures de prévention adaptées permettront d’amortir le choc et d’éviter pour certains d’en arriver aux mesures curatives que sont le redressement, la sauvegarde ou la liquidation.

"Recourir à des mesures préventives, ce n’était déjà pas dans les habitudes avant les confinements, cela ne va pas rentrer dans la culture des entrepreneurs du jour au lendemain", déplore Olivier Bouru, avocat spécialiste en droit commercial et des affaires au Barreau de Bordeaux.

"Il fallait réagir vite"

Pourtant ces mesures, mandats ad hoc et conciliations, peuvent être salvatrices pour certaines entreprises en difficulté. Didier Oudin, président du groupe traiteur Arom, basé à Eysines, et touché de plein fouet par la crise sanitaire, en témoigne. "En mars 2020, lorsqu’est annoncé le premier confinement, on se pose beaucoup de questions. Nous venions de boucler une année 2019 en demi-teinte, l’équilibre financier était tendu. J’ai compris qu’il fallait réagir vite". Un de ses amis, juge au tribunal de commerce, lui parle alors du mandat ad hoc : le chef d’entreprise confie à un tiers neutre (un administrateur judiciaire, un expert-comptable, un avocat…), désigné par le tribunal, une mission précise. "Il peut s’agir de négocier avec des créanciers, de gérer un conflit social au sein de l’entreprise, ou de régler un différend entre deux dirigeants", détaille Alexandra Blanch qui a justement accompagné la PME girondine Arom. "Elle a négocié avec l’ensemble de nos fournisseurs, 250 créanciers, pour étaler la dette ou obtenir des abandons de créance. Le bilan était un peu plus équilibré et nous avons pu obtenir un PGE ", détaille Didier Oudin. "Nous sommes entrés dans une politique de restriction des coûts. Nous avons perdu 35 % de notre effectif mais cela nous a permis de sauver les 40 emplois restants ", confie Didier Oudin. "Bien évidemment, cela nous a obligés à établir un business plan très serré pour les cinq prochaines années".

Dans 75 % des cas, ces mesures de prévention obtiennent une issue positive, si le problème est pris en charge à temps. "Pour bénéficier du mandat ad hoc il ne fallait pas être en cessation de paiements, or cela serait arrivé rapidement. On peut très vite basculer d’un côté ou de l’autre", insiste le dirigeant.

Se former aux mesures préventives

C’est la raison pour laquelle, depuis quelques mois en Gironde, les professionnels qui gravitent autour des chefs d’entreprise se sont mis en ordre de marche. Rue Ferrère, dans l’immeuble qui abrite l’Ordre des experts-comptables et la Compagnie des commissaires aux comptes Grande Aquitaine, la prise de conscience a été rapide. D’octobre à décembre, Alexandra Blanch dispensera quatre modules de formation autour de la prévention des difficultés, de l’utilisation des procédures amiables et des procédures collectives.

"On espère ainsi former 20 % des professionnels de notre territoire, au minimum 400 personnes", précise Gwladys Tohier, présidente de la CRCC Grande Aquitaine. Idem du côté de l’Institut du droit des Affaires, dépendant du Barreau de Bordeaux, qui rapidement a mis en place des formations pour les avocats. "Je ne veux plus entendre en 2022 un chef d’entreprise qui me dise que s’il avait su il serait venu plus tôt", tempête Alexandra Blanch.

Strictement confidentielles

"Les leviers de ces procédures sont monstrueux. Tout est négocié de manière entièrement confidentielle, l’image de la boîte est préservée, et le chiffre d’affaires aussi", continue-t-elle. Un argument de poids pour des chefs d’entreprise déjà effrayés à l’idée de passer la porte du tribunal. Et c’est ce qui a convaincu ce chef d’entreprise du secteur de l’hôtellerie-restauration (24 salariés, 3 millions d’euros de chiffre d’affaires), à Mérignac, souhaitant rester anonyme.

"Du jour au lendemain, on n’a plus fait de chiffre, nous n’avons pas touché d’aide jusqu’en novembre 2020", décrit-il. Et dans le même temps il fallait continuer à payer ses créances : 70 000 euros chaque mois pour la location de matériel, 15 000 euros pour le loyer. "Le propriétaire ne voulait rien entendre mais dès que nous avons fait intervenir l’administratrice judiciaire dans le cadre de la conciliation, tout le monde a été plus souple. Nous avons obtenu un étalement des dettes sur 18 mois, c’est ce qui nous a permis de passer le cap".

"Il est de l’intérêt de tout le monde que l’entreprise vive. Si elle part en procédure collective peut-être qu’à la sortie, il ne restera plus grand-chose pour indemniser les créanciers", pointe Jean-Marie Picot, président du tribunal de commerce de Bordeaux.

Renégocier les PGE

Et c’est bien la partition qui va se jouer dans les mois à venir alors que le remboursement d’une grande partie des PGE commencera au mois d’avril. "Les PGE ont été consommés, parfois cet argent a été mal utilisé, pour payer des dettes qui auraient pu être échelonnées. Ce qui nous inquiète, c’est que beaucoup de chefs d’entreprise attendent mais on ne sait pas quoi", prévient Alexandra Blanch, administratrice judiciaire.

"Actuellement, je traite une dizaine de mandats ad hoc. Et parmi mes clients, il y a pas mal de renégociations du PGE pour les amortir sur un temps plus long que celui prévu initialement", constate Olivier Bouru, avocat spécialiste en droit commercial et des affaires au Barreau de Bordeaux. Selon lui, le mur de défaillances arrivera entre juin et septembre 2022. D’ici là, toutes ces professions de conseil aux dirigeants vont prêcher la bonne parole. "Il faut dédramatiser nos fonctions et ces procédures qui sont juste des procédures de gestion", conclut Alexandra Blanch.

Gironde # Finance # Services aux entreprises # Juridique # Gestion