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Coronavirus : « Tout un tissu de petites entreprises du tourisme risque de disparaître »
Interview Gironde # Tourisme # Conjoncture

Didier Arino directeur général du cabinet de conseil Protourisme Coronavirus : « Tout un tissu de petites entreprises du tourisme risque de disparaître »

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Selon le groupe de conseil en ingénierie touristique Protourisme, la catastrophe d'une saison blanche peut être évitée pour le secteur du tourisme. Pour cela, Didier Arino, directeur général associé du groupe et à la tête de l’agence bordelaise, demande un calendrier de reprise de l'activité pour les entreprises concernées et leurs 25 000 salariés. « Or pour l’heure il n’y a ni stratégie, ni début de solutions », dénonce le spécialiste.

Selon Didier Arino, directeur général associé du cabinet de conseil Protourisme, "on est en train de tirer une balle dans le pied du secteur touristique" — Photo : DR

Le Journal des Entreprises : Selon les territoires, l’industrie touristique en Gironde ne sera impactée de la même manière par la crise actuelle. Qu’est-ce qui explique ces différences ?

Didier Arino : Depuis plusieurs années maintenant, Bordeaux bénéficie à plein d’un tourisme d’affaires qui fait travailler les acteurs toute la semaine, toute l’année, et non plus seulement le week-end comme le tourisme d’agrément et de loisirs. La moitié de la dépense touristique se fait d’ailleurs dans l’agglomération bordelaise. Selon une étude de notre cabinet de 2017, la Métropole représente à elle seule 1,3 milliard d’euros de consommation touristique annuelle sur les 2 milliards du département de la Gironde. Liée à un tourisme de l’année, la Métropole pourra se remettre d’un mauvais printemps. En revanche, le territoire littoral est plus dépendant des beaux jours. Cela va être beaucoup plus compliqué pour les campings, les villages de vacances et hôtels situés près des plages. 78 % des lits sont sur le littoral ; nous estimons que 7 millions de nuitées vont ainsi manquer à l’appel.

L’activité a souffert de l’annulation des vacances de Pâques. Les pertes d’exploitations sont-elles déjà significatives ?

Didier Arino : C’est certain. Entre 12 et 15 % des chiffres d’affaires n’a pas été réalisé ce printemps. Les mois de mai et de juin représentent quant à eux habituellement environ 35 % des chiffres d’affaires. On voit donc que plus d’un tiers des résultats est déjà perdu. Pour réaliser au moins 30 ou 40 % des résultats 2019, il faudra également compter sur une jolie arrière-saison. Un camping qui réalisera 40 % de son chiffre pourra déjà considérer cela comme excellent.

Mais vous craignez même que cette part ne puisse être atteinte. Pourquoi ?

Didier Arino : Nous pouvons saluer la mobilisation exceptionnelle du ministre de l’Économie et de la Bpifrance. De gros risques sont actuellement pris. Mais un tissu de petites entreprises risque tout simplement de disparaître. Je pense notamment au tourisme de l’intérieur du département, très diffus, très fragilisé. Nous sommes loin de la force de certains territoires intérieurs comme celui du Périgord noir (en Dordogne) par exemple !

Les impacts sur le tourisme ne concernent donc pas que les territoires côtiers ?

Didier Arino : Ce qui fait la force de la région, c’est à la fois ses patrimoines culturels et naturels, mais également ses filières. Je pense en premier lieu à l’œnotourisme, car nous sommes une des premières destinations mondiales viti-vini. Je pense aussi à l’agriculture, à l’artisanat, à la filière ostréicole, dont les produits souffriront de l’absence de débouchés touristiques.

Craignez-vous une désaffection de la clientèle étrangère ?

Didier Arino : Je sais surtout qu’elle ne pourra pas voyager en France. À Bordeaux, l’aéroport restera fermé. La clientèle étrangère représente 6 des 35 millions de nuitées sur le département (dont 1 million en campings). On peut faire une croix sur cette clientèle par ailleurs extrêmement rémunératrice. Les Allemands et les Anglais ne viendront pas. Pour les Espagnols, se sera encore plus compliqué. Peut-être pouvons-nous compter sur la présence des habitants du Benelux.

Ce sont donc les Français qui seront particulièrement attendus en Gironde cet été ?

Didier Arino : La bonne nouvelle est que la Gironde est le quatrième département le plus visité par les Français. Cela signifie qu’il est moins dépendant d’une clientèle étrangère éloignée que le sont Paris et la Côte d’Azur.

Que demandent les professionnels du tourisme pour sauver leur saison estivale 2020 ?

Didier Arino : Ils demandent avant tout de rouvrir, de pouvoir faire leur métier. Comment peuvent-ils comprendre qu’il est moins dangereux d’envoyer les enfants à l’école que d’ouvrir leurs restaurants ? En Suède, ceux qui peuvent mettre en place les mesures barrières démontrent qu’il est possible de travailler. Il faut les entendre, ils proposent des solutions. Pour n’en citer qu’une : que sous dérogation soit possible l’agrandissement des terrasses pendant la période estivale afin de respecter la distanciation. Il faut aussi qu’un calendrier leur soit présenté. Actuellement on a l’impression que ce sont les médecins qui décident. Souvenons-nous qu’en matière de tourisme, il est question de développement économique, d’aménagement du territoire.

Vous trouvez que les annonces actuelles ne sont pas suffisamment précises ?

Didier Arino : Les aides ne suffiront pas. Beaucoup ne vont pas tenir le choc. C’est l’incompréhension. On sait que dans le métro, les gens circulent les uns sur les autres et l’on nous dit qu’il sera impossible de louer un mobile home ou de se promener sur les plages ! Chaque jour déverse son lot de messages anxiogènes. On est en train de tirer une balle dans le pied du secteur touristique. Les professionnels doivent préparer la reprise. Le temps passe, certains finiront par considérer qu’il ne sera même plus rentable de relancer leur activité. Il faut qu’ils sachent.

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