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Commissaires aux comptes : « L'Etat veut enlever l’arbitre en gardant les mêmes règles du jeu »
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Laurence Versaille présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Bordeaux Commissaires aux comptes : « L'Etat veut enlever l’arbitre en gardant les mêmes règles du jeu »

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La Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Bordeaux s’oppose, comme l’ensemble de sa profession, à une disposition du projet de loi Pacte : elle prévoit de relever le seuil au-dessus duquel l’intervention d’un commissaire aux comptes est obligatoire pour une entreprise.

— Photo : CRCC

Le Journal des Entreprises : Quels problèmes le projet de loi Pacte pose-t-il pour la profession de commissaires aux comptes selon vous ?

Laurence Versaille : Nous comprenons la volonté du gouvernement d’alléger les charges et de tendre vers une harmonisation des pratiques européennes. Mais sur le premier point, nous estimons qu’un commissaire aux comptes coûte en moyenne 5 000 euros par an à une entreprise. Ce n’est pas ce qui menace sa rentabilité, a fortiori lorsqu’elle est au-dessus du seuil actuel (2 M€ de chiffre d’affaires HT pour une SAS ou 3,1 M€ pour une SARL, une SNC ou une SCS, NDLR).

Quant à l’harmonisation, les seuils donnés par l’Europe sont purement indicatifs, pas obligatoires. La directive indique que chaque État doit s’adapter selon son propre tissu économique. En Allemagne ou en Italie, par exemple, il y a beaucoup plus d’ETI, alors le seuil de 8 M€ peut paraître pertinent. Mais en France, 98 % des entreprises sont des TPE ou des PME. Donc, on va laisser toute une partie de ces entreprises sans contrôle d’un commissaire aux comptes.

Quels risques cela leur fait-il courir ?

L.V. : Nous avons une mission légale, celle de certifier des comptes pour l’entreprise mais aussi pour ses actionnaires et l’ensemble des tiers. C’est pour cela que l’on parle d’une mission d’intérêt général, qui sert toutes les parties prenantes. Car notre travail est non seulement de certifier, donc d’engager notre responsabilité sur la qualité des comptes, mais aussi de prévenir des difficultés d’une entreprise. Voire d’alerter, si l’on pense qu’une situation est compromise, le chef d’entreprise ou le conseil d’administration, pour demander la mise en place de mesures.

« En Suède, non seulement la rentabilité des entreprises n’a pas été améliorée mais la base fiscale s’est réduite. »

En Nouvelle-Aquitaine, les commissaires aux comptes suivent 15 000 sociétés commerciales. Si, demain, le seuil est remonté à 8 M€ de chiffre d’affaires, nous cesserons d’appuyer 11 800 d’entre elles. Autant d’entreprises à qui l’on va dire de continuer à suivre les règles du jeu, mais sans arbitre pour les faire respecter. C’est une hérésie économique, comme l’ont constaté le Danemark, l’Italie et la Suède, qui sont récemment revenus sur cette hausse des seuils. En Suède, elle avait été actée en 2010, et le recul permet de dire que non seulement la rentabilité des entreprises n’a pas été améliorée, mais qu’en plus la base fiscale s’est réduite.

Avez-vous des contre-propositions à formuler ?

L.V. : En gardant l’équilibre entre l’intérêt général et celui des entreprises, nous avons des propositions à faire : d’abord, entre 3,5 M€ et 8 M€, continuer de certifier les comptes, mais de manière adaptée. C’est-à-dire sans forcément conserver autant de points de contrôle, qui sont parfois des normes assez lourdes, enchérissant le coût de notre intervention.

Ensuite, nous aimerions jouer davantage notre rôle d’acteurs de la croissance. Il y a aujourd’hui nombre d’entreprises qui veulent être identifiées comme vertueuses et aiment communiquer, par exemple, sur leur approche RH, prévention des risques, etc. Nous voudrions leur offrir la possibilité, dans le cadre d’une mission optionnelle, de pouvoir s’appuyer sur un diagnostic légal de croissance. Cela irait totalement dans le sens du rapport Notat-Sénard, remis cet hiver, et qui rappelait que l’entreprise doit avoir une forme d’exemplarité citoyenne et être actrice dans la diffusion des bonnes pratiques.

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