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Comment les entreprises du reconditionné ont été stimulées par la crise sanitaire
Enquête Gironde # Industrie # Innovation

Comment les entreprises du reconditionné ont été stimulées par la crise sanitaire

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La vague de l'économie circulaire, la baisse du pouvoir d'achat et le souci de préserver l'environnement infusent dans les mentalités des consommateurs. Face à une demande croissante, les acteurs du marché des produits reconditionnés se structurent, s'allient avec des poids lourds du e-commerce pour gagner en visibilité.

La start-up Back Market, qui prévoit de doubler ses effectifs d'ici deux ans, doit déménager au second semestre 2021. — Photo : D.R.

Une poignée de techniciens réparateurs, arborant une veste bleu marine aux couleurs de leur enseigne Murfy, interviennent tournevis à la main depuis plus d’un an au domicile de leurs clients bordelais pour réparer des appareils électroménagers. Créée en 2017, cette start-up fondée par cinq amis rencontrés en prépa et en stage de fin d’études, s’est donné pour mission de venir à bout de la surconsommation d’électroménager, via l’économie circulaire. "Nous nous concentrons sur les gros appareils de la maison, les lave-linge, sèche-linge, fours, réfrigérateurs. Ce sont des produits encombrants qui nécessitent une réparation à domicile", explique Guy Pezaku, président et co-fondateur de Murfy.

Initialement implantée à Paris, cette jeune entreprise a débarqué à Bordeaux en février 2020, juste avant le confinement de mars 2020 imposé par le gouvernement. Depuis l’automne, son activité explose. Aujourd’hui, les trois réparateurs girondins assurent 300 interventions par mois, essentiellement autour de la Métropole, et les carnets de rendez-vous explosent. "Nous avons décidé d’ouvrir un atelier de reconditionnement au second semestre 2021. Il y a une forte demande sur Bordeaux et ses environs. Nous le mesurons via le trafic sur notre site et l’influence sur les réseaux sociaux. La vision écologique se développe beaucoup et c’est une ville qui manque de techniciens", avance Guy Pézaku, l’un des fondateurs. La start-up cherche à recruter et à former une trentaine de réparateurs en CDI pour pouvoir couvrir toute la Gironde. En un an, Murfy a multiplié son chiffre d’affaires par trois pour atteindre 3,5 millions d’euros en 2020. Elle espère réaliser entre 10 et 12 millions d’euros cette année. "En 2022, Bordeaux devrait représenter 4 millions d’euros de chiffre d’affaires tant les besoins sont importants", confie Guy Pezaku.

Les premiers de cordée

Cette tendance écologique, Nicolas Pellissier, directeur du service client et qualité de Back Market, start-up spécialisée dans la vente de produits électriques et électroniques reconditionnés et garantis, la ressent aussi. Créée fin 2014 à Paris, cette place de marché qui met en relation les consommateurs avec les acteurs du reconditionnement, s’est installée dans les locaux de Darwin en mars 2018, puis en 2019 dans des locaux plus grands de 900 m2 dans le quartier des Bassins à Flots pour répondre à la demande et héberger ses 150 collaborateurs. Nicolas Pellissier anticipe déjà une croissance plus importante et prévoit un nouveau déménagement au second semestre 2021 dans des locaux de 5 000 m2 rue Lucien Faure. "Nous prévoyons de recruter 100 salariés supplémentaires d’ici un an, et de doubler nos effectifs d’ici deux ans. Bordeaux sera l’un des bureaux les plus importants. Nous constatons un véritable attrait pour les produits reconditionnés depuis le confinement. Les clients ne ressentent plus le besoin de mettre 1 000 euros dans un téléphone neuf, mais sont intéressés par le prix et le sens qu’ils donnent à leur achat", observe le directeur du service client et qualité de Back Market.

D’autres acteurs, plus gros encore, se positionnent sur ce juteux business. Depuis 2008, Cdiscount a noué un partenariat avec Envie, acteur de l’économie sociale et solidaire, afin de leur confier les produits qui ne peuvent être revendus sur Cdiscount mais qui seront réparés et revendus dans leur boutique solidaire. "Depuis trois ans, nous menons sur notre site un gros travail de simplification des offres pour le reconditionné et l’occasion, car nous sentons très clairement une appétence des clients et une forte accélération de la demande pour allonger la durée de vie des produits, confie Caroline Bordet-Le Lann, directrice adjointe RSE de Cdiscount. Avec les tensions économiques et la baisse du pouvoir d’achat depuis le début de la crise sanitaire, la motivation première reste économique. D’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. L’achat responsable et la considération écologique infusent dans les mentalités". Un changement de mode de consommation qui a poussé l’acteur du e-commerce à nouer d’autres partenariats. Avec Spareka, par exemple, fin 2020, spécialiste de la vente en ligne de pièces détachées pour l’électroménager, pour accompagner les clients dans l’auto-réparation grâce à du diagnostic de panne, la vente de pièces détachées et des tutoriels en ligne. Mais aussi avec PIVR pour offrir un accompagnement des consommateurs et une aide à l’auto-réparation de leurs produits ménagers en les mettant en relation avec un expert en visio. Ou encore avec Cdiscount Occasion pour la vente de produits d’occasion entre particuliers. Depuis le lancement de la plateforme fin 2020, 45 000 offres ont été postées. "Nous avons créé un hub dédié à la seconde vie des produits pour regrouper toute l’offre et tous nos services afin de permettre aux consommateurs d’avoir en un clin d’œil une vue d’ensemble des solutions proposées", ajoute Caroline Bordet-Le Lann.

Une filière en pleine structuration

Un mouvement de fond qui ne concerne pas que les appareils électroménagers et les smartphones. "Le territoire de la Gironde a été précurseur dans plusieurs domaines. Nous avons participé au développement depuis 2016 d’une filière du réemploi des aides techniques et du matériel médical, en partenariat avec la Région Nouvelle-Aquitaine, mais aussi d’une filière de récupération des matériaux de construction. Cinq ans après le lancement de cette dernière, le bilan est plutôt positif. En 2018, 31 tonnes de matériaux ont été collectées et 10,5 tonnes ont été réemployées", explique Véronique Bernard, référente régionale économie sociale et solidaire au sein de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui constate depuis cinq ans un élan pour le réemploi et le sujet de la réparabilité.

"La crise économique a renforcé le désir des Français de se tourner vers des solutions alternatives pour consommer à moindre coût", glisse Hakim Baka, cofondateur avec Florian Blanc de Geev, entreprise qui a créé une application pour favoriser le don d’objets et de nourriture entre particuliers et qui est implantée dans les 50 premières grandes villes de France. "Les restrictions sanitaires ont eu pour conséquence la diminution d’achats plaisirs et dans le même temps ont fait naître l’envie de consommer de manière plus durable et raisonnée. La tendance est nationale, mais en Gironde, l’élan est particulièrement important. Historiquement, la communauté girondine a été l’une des premières à s’engager dans cette démarche. Le département a toujours été central et moteur", renchérit Hakim Baka, qui a fondé l’entreprise à Bordeaux en 2016. L’application recense plus de 2,5 millions d’utilisateurs inscrits et a permis depuis sa création le don de 123 tonnes de denrées alimentaires et 16 200 tonnes d’objets. "Notre activité ne fait qu’accélérer. Elle est d’autant plus forte depuis mai 2020. Nous enregistrons une croissance mensuelle à deux chiffres. 550 000 annonces sont ajoutées chaque mois sur la plateforme, alors qu’en janvier 2020, nous en avions 270 000", poursuit le dirigeant de l’entreprise, qui compte 15 salariés et a enregistré 600 000 euros de chiffre d’affaires en 2020.

Preuve que la filière se structure : Geev a lancé fin 2019 une offre avec Cdiscount. Ce partenariat repose sur une idée simple : lorsque l’internaute commande un nouvel article sur Cdiscount, il se voit proposer de donner le produit qu’il remplace par l’entremise de Geev. "Les clients veulent de plus en plus offrir une seconde vie aux objets dont ils n’ont plus besoin, mais les e-commerçants proposaient peu de solutions de reprise, souvent parce que c’était compliqué et coûteux. Avec ce partenariat, tout le monde est gagnant : Cdiscount complète son offre de service, ce qui lui permet d’être en phase avec les attentes des clients, de plus en plus regardants sur les responsabilités des acteurs de la grande distribution et de l’e-commerce. De notre côté, cela nous permet d’être au bon endroit, au bon moment, de gagner en visibilité et en notoriété", estime Hakim Baka

Accompagner l’effort de transition

Pour amplifier la place de l’économie sociale et solidaire en Gironde et aider les acteurs économiques à s’inscrire sur le long terme dans une démarche éco-responsable, l’Ademe et la Région Nouvelle-Aquitaine ont mis en place en 2020 un appel à projets 3R pour soutenir le secteur du "réemploi, réparation, réutilisation" et développer ou moderniser des recycleries sur le territoire. 62 projets ont été déposés. 49 ont été retenus pour une enveloppe de 2,3 millions d’aides accordées dont 892 793 € de la Région. "La troisième édition de cet appel à projets a été lancée le 15 mars. Une quatrième est prévue d’ici la fin de l’année. L’objectif étant de soutenir encore plus d’acteurs économiques, et de sortir du monde du gaspillage. Cette économie de la réparation, du recyclage et du réemploi concerne les appareils électroménagers, high-tech, les livres, le textile, mais elle se développe aussi dans les structures qui s’occupent du traitement des déchets. Le modèle avance et se perfectionne", remarque Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine.

Au total, le budget du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine dédié à la politique ESS s’élève à environ 9,7 millions d’euros par an. La Gironde représente environ 30 % des aides aux projets, soit 11,4 millions d’euros sur la période 2017-2020 (pour 34 M€ d’aides directes attribuées à des structures de l’ESS). Les projets de réemplois, cumulés depuis le vote en 2019 de la feuille de route Néo Terra dédiée à la transition énergétique et écologique, s’élèvent à 1,1 million d’euros pour tout le territoire régional dont 134 000 euros pour la Gironde. Une feuille de route et un texte fondateur qui permettent désormais à la Région d’accompagner l’effort de transition en termes énergétique, écologique à l’horizon 2030 et de tracer les données pour observer les évolutions du secteur.

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