Des œuvres d’art égayent les murs du siège social de la vénérable maison de négoce créée en 1932 à Bordeaux, et installée au cœur du vignoble à Ludon-Médoc depuis 1990. Là, un mobile de Calder, ici un carré de Rothko. Mais c’est cette installation composée de poissons métalliques venant de Grèce, en bancs, que le directeur souhaite présenter, telle une allégorie du management de l’entreprise. « Devant, on trouve les petits, les jeunes et leur fougue, suivis par les plus anciens, attentifs. Ce qui est important, c’est que tous vont dans le même sens », décrit Laurent Ehrmann. Cet Américain, débarqué de New York en 1989, le martèle à ses trente collaborateurs : « Cette maison est la leur, à eux de s’en accaparer, d’en tirer le meilleur pour, in fine, transmettre ces richesses aux clients ». C’est ainsi qu’en trois décennies, Barrière Frères a connu une croissance moyenne de 9 % par an. « Nous n’avons rien révolutionné. Nous avons su garder le recul nécessaire pour affronter nos marchés cycliques ».
Taxe US : une position nuancée
Le 11 septembre 2001 est encore dans les esprits, ainsi que la crise consécutive à la faillite de Lehmann Brothers en 2008 ou, actuellement, les événements qui secouent Hong Kong, « une des trois plateformes de l’économie mondiale, jusqu’alors un modèle de territoire pacifié et tolérant ». Même position tempérée au sujet des taxes douanières de 25 % exigée par Washington. « J’expliquais à mes collaborateurs que cette taxe, rapportée au cours de l’euro actuel, correspond au taux de change que nous connaissions voilà cinq ans. Cet épisode n’est finalement qu’une virgule dans l’histoire de nos relations avec les États-Unis », préfère envisager le directeur, qui rappelle que les marchés sont aussi susceptibles de connaître des évolutions positives inattendues. Ainsi que l’a démontré l’attrait de Taiwan pour les vins fins bordelais, exprimé sous le concept de « French paradoxe », qui concilie bien boire, bien manger et santé.
Du Pérou à l'Islande
Autre clé, la confiance accordée par les deux actionnaires. « Les familles Suntory et Castel nous donnent les moyens nécessaires à notre stratégie ». C’est ainsi qu’un stock valorisé à près de 60 millions d’euros, a été constitué au fil des ans, soit plus de 3 millions de bouteilles entreposées dans les 8 500 mètres carrés de bâtiment. Ces vins des châteaux les plus prestigieux de Bordeaux rejoignent des collectionneurs, restaurateurs et détaillants, à 95 % à l’export. « Les attentes sont toutes différentes, du Pérou à l’Islande, en passant par les cinquante États américains. Notre valeur ajoutée est de répondre à toutes les problématiques, qu’elles soient d’ordre géographique, de trésorerie ou géopolitique ». Ainsi, Barrière Frères vient de convier un importateur texan à l’un de ses 35 événements organisés chaque année, en présence de représentants des châteaux bordelais. « Nous lui avons offert un écrin nouveau, pour le faire briller auprès de ses clients, au-delà de son action commerciale ». À la manière d’un galeriste qui expose les plus belles toiles pour les proposer aux amateurs experts, Barrière Frères assume son rôle en toute discrétion, voire anonymat. « Trente ans que nous posons nos jalons pour désormais faire partie des happy few. Nous en sommes très fiers », confie Laurent Ehrmann avec, en ligne de mire, les objectifs d’une stratégie à 10 ans et un chiffre d’affaires à 70 millions d’euros