Une sombre rentrée 2020 se profile pour l'économie en Auvergne-Rhône-Alpes
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Une sombre rentrée 2020 se profile pour l'économie en Auvergne-Rhône-Alpes

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De Vénissieux au chic quartier de Confluence à Lyon en passant par La Plagne ou la Vallée de l’Arve en Haute-Savoie, la région Auvergne-Rhône-Alpes va-t-elle, après la crise sanitaire du printemps, affronter une gigantesque crise économique et sociale cet automne ? Les observateurs de la vie économique locale ne sont guère optimistes.

— Photo : Michel Pérès Région Auvergne-Rhône-Alpes

De mars à mai 2020, les données macroéconomiques se sont affolées. Selon Pôle Emploi, un salarié sur deux a pointé au chômage partiel, tandis que l’Insee faisait part d’une chute brutale des transactions par carte bancaire (- 60 % en semaine 13) et d’une dégringolade de l’activité économique sans précédent (- 34 %, plus forte baisse juste après l’île de France). À l’échelle « microéconomique », le paysage printanier n’était pas plus rassurant : plan de sauvegarde du géant de l’électroménager discount MDA, l’usine de fabrication de médicament Famar au bord de la faillite…

« La sortie de crise sanitaire n’est pas facile » euphémise Christian-Jacques Berret, directeur de la Banque de France régionale. Et la répartition de l’activité économique n’est pas de nature à la préserver de la crise tant redoutée. Deuxième région française par son PIB par habitant (33 000 euros par an selon Eurostat 2017), l’industrie pèse 18 % de l’activité économique, le BTP 6 % et les commerces près de 10 % dont 41 500 (sur 123 000) établissements de 1 à 9 salariés (Insee). Surtout, AURA est la deuxième région touristique de France avec 21,2 milliards d’euros de revenus par an (Auvergne Rhône Alpes Tourisme), un secteur touché au cœur par la Covid-19.

Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième région touristique de France avec 21,2 Mds€ de revenus par an ( ici les gorges de l'Ardèche) — Photo : Michel Pérès /Région Auvergne-Rhône-Alpes


Alors quelles perspectives pour 2020 ? « Nous étions sur une tendance haussière 1,3 % de croissance avant la crise, rapporte Christian-Jacques Berret, avec prévisions d’investissement de 2 à 5 % selon les secteurs. Désormais, nous raisonnons en chiffres négatifs », déplore-t-il.
Alors que la région pèse pour 13 % des PGE souscrits au niveau national, soit un peu plus que son poids économique, le représentant de la Banque de France s’inquiète. « On ne peut pas mettre tout le monde sous perfusion. Il faut aussi s’interroger sur le mur de la dette qui va nous tomber dessus. »

« On risque de connaître un pic de dépôts de bilan à l’automne puis un plateau de plusieurs mois »

Une préoccupation également soulevée par Thierry Gardon, président du Tribunal de Commerce de Lyon. « On risque de connaître un pic de dépôts de bilan à l’automne puis un plateau de plusieurs mois. Certaines TPE ont peur de reprendre et préfèrent déposer plutôt que de perdre de l’argent ». Selon ce chef d’entreprise élu en janvier dernier, les premiers effets malheureux du Covid pourraient bien intervenir avant. « Les entreprises qui n’ont pas pu obtenir de PGE viendront au Tribunal en juin ou juillet », avance-t-il, songeant aux 5 000 cafés-restaurants de la métropole lyonnaise, dont 30 à 40 % pourraient mettre la clé sous la porte avant septembre selon une étude de l’agence lyonnaise Food Service Vision.

Un plan de relance régional est prévu durant l'été — Photo : Michel Pérès /Région Auvergne-Rhône-Alpes

Durant le confinement, et bien au-delà, les appels au secours ont explosé auprès de l’agence économique Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises qui avait mis en place un numéro vert. Plus de 19 000 entreprises ont composé le numéro vert, la plupart étant des dirigeants de TPE et PME qui ressentent « une grande angoisse devant les échéances », décrit Annabel André-Laurent, vice-présidente à la région en charge des entreprises. Que se passera-t-il pour elles demain ? Difficile à dire.
Le président de l’exécutif, Laurent Wauquiez, se refuse à « lire dans une boule de cristal » pour établir une prévision sur la santé économique des entreprises. L’objectif est de proposer des réponses, sur le bâtiment comme sur les autres secteurs fragilisés à travers un plan de relance voté fin juin. « On ne se projette pas sur une rentrée catastrophique car on essaye de corriger les problèmes avant qu’ils ne s’installent durablement », précise-t-il.

Difficultés financières massives

Pourtant, la casse est presque inéluctable dans le secteur du BTP. Président de la fédération du BTP du Rhône, Samuel Minot constate que 75 % des entreprises du BTP ont souscrit un PGE. « Or, certaines sont déjà en insolvabilité alors même qu’elles ont de l’argent sur leur compte car l’exploitation des entreprises - qui n’ont pas produit pendant 60 ou 80 jours - est catastrophique. Si l’on ajoute les reports de charges qui vont s’arrêter, elles seront confrontées au mur de la dette. Ça va arriver massivement et brutalement ». Début juin, le dirigeant assurait que peu d’entreprises du BTP s’étaient déclarées en cessation de paiements ou en difficulté financière. « Mais on redoute de voir arriver dès l’été - et pire à l’automne- des difficultés financières massives ».

Pour Thierry Gardon, le « mur » pourrait intervenir un peu plus tard « janvier 2021 ». « Je pense cependant qu’avec les ordonnances gouvernementales, les délais et le traitement des difficultés pourraient s’étaler sur au moins deux ans. »

Autres secteurs lourdement impactés, l’aéronautique et la sous-traitance automobile. Aerospace Cluster qui, en Auvergne Rhône-Alpes, représente la quasi-totalité des entreprises de sous-traitance aéronautique (360 entreprises, 300 000 salariés et 3,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires) accuse le coup de la fermeture des aéroports, et de l’arrêt des commandes d’avions. La filière des véhicules, notamment industriels, marque le pas également. Sur les 4 000 entreprises de la filière française, 900 sont situées en Auvergne-Rhône-Alpes selon le pôle de compétitivité le CARA. L’un des géants locaux, Renault Trucks, maintenait encore en juin une partie de ses équipes en chômage partiel. Et le projet immobilier Babel, destiné à abriter les professions tertiaires et de recherche du groupe, serait à l’arrêt.

« Baisse de 30 à 40 % des flux d’implantations d’entreprises »

Ce marasme ambiant pourrait-il freiner l’attractivité de la place régionale, voire lyonnaise. Selon le baromètre de l’attractivité de la France publié par EY fin mai, 81 % des investissements 2020 sont réduits ou reportés, mais peu sont annulés. Auvergne-Rhône-Alpes ne fait pas mentir cette étude. Jean-Charles Foddis, le patron de l’Aderly, (Agence pour le Développement Économique de la Région Lyonnaise) chargée de repérer et d’attirer des projets internationaux sur le territoire relève une baisse importante des flux d’implantation, « de l’ordre de 30 à 40 % », et des projets retardés, avec des « atterrissages » attendus en 2021/2023.
Alors que les équipes de l’agence reprenaient le chemin des bureaux début juin, cet ancien cadre de l’industrie pharmaceutique confirme un changement d’époque. « Nous allons travailler sur l’actualisation des entreprises cibles, des sous-secteurs et domaines d’application. Il faut adapter nos pratiques, réfléchir vers qui et vers quoi nous avons besoin de viser ».

Des raisons d’y croire ?

Y a-t-il cependant des raisons de croire à un rebond, le fameux « V » tant espéré ? Dans l’événementiel, on y croit. « Touché mais pas coulé », a rassuré le puissant patron de GL events, Olivier Ginon, annonçant la tenue du salon de la restauration responsable, le Sirha Green, à La Sucrière, dans le quartier Confluence de Lyon du 6 au 8 septembre. « Nous attendons 6 000 visiteurs » assure Marie-Odile Fondeur, directrice générale des salons, qui se projette aussi sur la tenue du très médiatique Sirha et ses Bocuse d’or en janvier 2021 à Eurexpo, où sont attendus exposants et visiteurs venant des quatre coins du globe.

Localement, l’emploi pourrait aussi être boosté cet automne par la croissance de Symbio, cette coentreprise dans laquelle Michelin et Fauricia ont 140 millions d’euros pour devenir la plus grande usine de piles à hydrogène d’Europe. Pilotée par Fabio Ferrari, elle a installé ses équipes à Vénissieux, en attendant d’emménager sur un site à Saint-Fons. Des 200 salariés, l’entreprise pourrait bien en accueillir « plusieurs centaines de plus d’ici 2025 en faisant du site de Saint-Fons bien plus qu’une simple usine. « Nous en dirons plus lors de la pose de la première pierre, entre le 16 et le 22 novembre prochain », glisse une porte-parole.

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