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Pourquoi Saira Seats risque la liquidation
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Pourquoi Saira Seats risque la liquidation

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À Andrézieux-Bouthéon, le fabricant de sièges pour le ferroviaire, Saira Seats (ex-Antolin), est en position délicate depuis que son actionnaire italien, Tosoni, est sous le coup d’une procédure d’insolvabilité. Situation intolérable selon la direction ligérienne, soutenue par le comité d’entreprise, qui met en avant sa rentabilité, son carnet de commandes prometteur et son autonomie financière vis-à-vis de sa maison mère. Décryptage.

— Photo : Le Journal des Entreprises

L’histoire semble incroyable. Depuis un an, salariés et direction locale de Saira Seats à Andrézieux-Bouthéon, travaillent main dans la main, et dans l’ombre, pour sortir d’une situation inextricable. Accompagnés par une médiatrice du cabinet d’affaires lyonnais Delsol, Camille Rousset, ils ont décidé de sortir de l’ombre en rendant public leur combat. Objectif avoué : s’attirer les feux de la rampe médiatique pour, donc, retenir l’attention des pouvoirs publics. Car l’urgence est grande semble-t-il. Le compte à rebours morbide est enclenché et le fantôme de la cessation de paiement se rapproche semaine après semaine.

Déclarée à tort en insolvabilité

Filiale à 100 % du groupe italien Tosoni, Saira Seats (chiffre d'affaires 2016 : 32 millions d’euros contre 20 millions d’euros en 2012 ; 130 salariés), est impactée par la procédure collective italienne « d’administration extraordinaire » ouverte à l’encontre de son actionnaire. Cette procédure judiciaire et administrative est réservée aux grandes entreprises en difficulté. Elle nécessite l’intervention du ministre italien du développement économique et la nomination de " commissaires ", administrateurs provisoires de ces entreprises. Saira Seats a été incluse dans le périmètre de cette procédure italienne et été ainsi déclarée en insolvabilité en mai 2016.

Pourtant, selon Camille Rousset, la médiatrice mandatée par le CE, « d’une part, la bonne santé comptable et commerciale de l’entreprise a été incontestablement prouvée par de nombreux rapports d’expertise indépendants et d’autre part, Saira Seats ne remplit pas les critères définis par les règlements européens permettant une intégration à la procédure italienne, à savoir principalement l’absence d’autonomie économique par rapport au siège et une situation supposée d’insolvabilité latente ».

Pour preuve de cette bonne santé économique, la direction ligérienne de Saira Seats rappelle les participations versées aux salariés en 2015 (RN 2014 : 530.000 euros). Une démarche a été entreprise auprès du Tribunal de Verone pour que Saira Seats soit exclue de la procédure italienne. « Tosoni a intégré Saira Seats afin d’atteindre le seuil des 500 salariés nécessaires pour bénéficier de cette procédure d’administration extraordinaire. Celle-ci limite la mise en cause des dirigeants de l’entreprise concernée sur leur patrimoine propre », poursuit Camille Rousset. Selon une circulaire européenne, "l’administration extraordinaire" permet en effet « à l’entreprise de bénéficier d’un ou plusieurs avantages, tels qu’une garantie d’État, un taux réduit d’impôt, une exonération de l’obligation de paiement d’amendes et autres sanctions pécuniaires ou un renoncement effectif, total ou partiel, aux créances publiques ».

Immobilisme des commissaires italiens

« Pour une raison incompréhensible mais probablement pécuniaire, en revanche, les trois commissaires (nommés par le Ministre italien du développement économique NDLR) tardent à mettre en œuvre notre requête et ne cherchent pas à vendre Saira Seats, comme ils devraient le faire, ni à favoriser la poursuite de son activité. Pour faire mon travail de médiatrice, j’ai besoin de la bonne volonté de toutes les parties. Je ne sens pas cette bienveillance du côté italien », s’insurge la médiatrice.

Du côté de la direction de Saira Seats, même incompréhension à propos de l’immobilisme des administrateurs provisoires du groupe Tosoni : « Saira est la pépite du groupe, la seule avec cette rentabilité, un carnet de commandes si prometteur. Les commissaires auraient intérêt à nous vendre rapidement pour faire rentrer du cash dans le groupe. Pourtant, ils ne bougent pas… » Ce silence italien a poussé la direction ligérienne à faire appel au Tribunal de commerce de Saint-Étienne. « Le président et le vice-président de Tosoni n’étaient plus aux manettes et les commissaires injoignables. Nous avions besoin d’un représentant légal. » Le tribunal stéphanois a donc nommé un administrateur provisoire, Maître Éric Beauland.

Petite avancée néanmoins le mois dernier, le ministre italien de l’Economie a reconnu, que Saira Seats n’était effectivement pas en situation d’insolvabilité au moment de l’ouverture de la procédure en mai dernier mais s’est déclaré incompétent pour sortir l’entreprise française de cette démarche et a renvoyé vers le Tribunal de Verone. Une audience de celui-ci est programmée le mois prochain mais il pourrait ne rendre sa décision définitive que d’ici trois ans. Un délai insurmontable pour Saira Seats pour qui cette mention "insolvable" sur son Kbis est incompatible avec la signature de nouveaux contrats avec de grands donneurs d’ordre internationaux.

Perte de 70 % des commandes en un an

« Nous avions un carnet de commandes bien rempli, avec une visibilité à cinq ans. Mais depuis qu’on nous a déclarés insolvables, les clients ont peur et nous retirent les marchés », regrette Hervé Michalon. Il est secrétaire du CE de Saira Seats et délégué syndical de la CGT. C’est lui notamment qui a demandé au cabinet Delsol d’intervenir afin que le combat des salariés ne soit pas entravé par des préoccupations politiques liées au syndicat. « Nous avons perdu près de 50 millions d’euros de contrats, soit 70 % de nos commandes. »

Parmi ces contrats, celui par exemple des rames de TGV commandées par l’Américain Amtrak. « Nous avions remporté le marché techniquement mais devant notre situation incertaine, le client a préféré finalement le confier à notre concurrent. Nous demandons aux Italiens de nous sortir de cette procédure et de nous vendre rapidement. » Camille Rousset renchérit : « Cette situation commence à provoquer des tensions au sein de l’entreprise, avec le départ de plusieurs hommes clés tentés par les propositions de chasseurs de tête. Saira Seat est clairement sur une pente déclinante. Cela fait 20 ans que je suis avocate d’affaires, c’est la première fois que je suis confrontée à une telle situation. » La direction complète : « Les salariés tiennent le coup mais dès septembre, nous serons en sous-activité. Pour l’instant, nous produisons encore les commandes signées avant les difficultés. Le chiffre d’affaires sera en chute de plus de 25% cette année. »

Soutien inefficace de l’État français

L’administration française, de son côté, reconnaît que ce placement en insolvabilité est anormal et demande à Saira Seats de continuer à régler ses factures normalement. Tout en ne lui versant pas le million et demi de CICE que l’industriel ligérien réclame, sous prétexte selon la médiatrice du CE, que son statut juridique de filiale italienne n’est pas compatible… « Nous avons rencontré les services du ministre à Bercy, nous avons eu un bon accueil. Le problème, c’est que l’État français n’a pas la maîtrise de ce dossier », se désole-t-elle.

Trois repreneurs intéressés

Devant cette impasse, le Comité d’entreprise et la direction du site préparent de concert le coup d’après. Afin d’être prêts dès que l’imbroglio juridique sera résolu. S’il l’est dans les temps évidemment car plus l’entreprise reste en situation juridique d’insolvabilité, plus le manque à gagner sera grand. Elle a réussi à sortir un résultat net à l’équilibre en 2016 mais ne pourra pas renouveler cet exploit cette année.

Trois industriels auraient été rencontrés et seraient intéressés par Saira Seats : le groupe familial Barat dans le Nord, équipementier pour l’industrie du ferroviaire qui viendrait ainsi compléter son offre, le Chinois KTK avec un projet ambitieux et enfin l’autre fabricant français de sièges, le Normand Compin. La direction de Saira craint qu’ils ne s’essoufflent eux aussi face à ce noeud semblant inextricable : « Ils se sont intéressés à une entreprise qui avait un carnet de commandes potentiel de 100 millions d’euros. S’il continue de chuter, seront-ils toujours intéressés ? »

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