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Plongée à Ladoux, épicentre de l'innovation chez Michelin
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Plongée à Ladoux, épicentre de l'innovation chez Michelin

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Ancré dans le territoire auvergnat depuis 1965, le campus du groupe Michelin à Ladoux figure parmi les centres R & D les plus pointus au monde. C’est ici qu’une armée d’ingénieurs et de chercheurs invente plus de 70 % des innovations du numéro deux mondial du pneu. Et donne corps à la stratégie de diversification impulsée par Florent Menegaux, le nouveau président du « Bibendum ».

Le site Michelin de Ladoux, près de Clermont-Ferrand, est classé parmi les centres R&D les plus pointus au monde en matière de modélisation ou encore de recherches sur les matériaux — Photo : Pierre Tiessen

Les deux hommes se ressemblent. Mêmes silhouettes fines, presque ascétiques ; mêmes regards francs et perçants… En plus de cette apparente empathie qu’ils ont en commun. Seul le discours semble les différencier. Face aux actionnaires du groupe Michelin réunis fin mai à Clermont-Ferrand, l’un évoque son bilan quand l’autre défend son projet. Jean-Dominique Senard, ex-homme fort de Michelin (125 000 salariés, 22 milliards d'euros de CA en 2018) et nouveau patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, passe ce jour-là le flambeau à Florent Menegaux.

Réputé discret, le nouveau patron se montre pourtant affable. Et s’empresse de marquer l’entame de son mandat en déroulant un ambitieux programme pour les années à venir. « Le pneumatique restera le cœur de notre activité mais cela ne sera pas suffisant pour générer toute la croissance dont le groupe a besoin dans les années à venir », assure le nouveau président de Michelin. À cet instant, il acte un changement de cycle – celui des années « JDS » marquées par la forte internationalisation du groupe – et annonce le début d’une ère nouvelle. Qu’il entend placer sous le signe de la diversification (voir l’interview pages 32 et 33). Biomatériaux, impression 3D métal, pile à hydrogène… Sa feuille de route embrasse large. Avec Florent Menegaux aux manettes, le 'Bibendum' doit être « sur tous les fronts de l’innovation industrielle ».

« Ladoux est le navire amiral de l’innovation du groupe »

Usine à brevets

En réalité, cette transition s’opère déjà, et dans le plus grand secret, au sein des multiples centres R&D du groupe, numéro deux mondial du pneu derrière le japonais Bridgestone. Au cœur de cette stratégie, le site historique de Ladoux, forteresse ultra-sécurisée de 450 hectares placée au pied du puy de Dôme. De là sortent plus de 70 % des innovations labellisées Michelin. Une véritable "usine à brevets" qui abrite, à quelques encablures de la capitale auvergnate, 3 500 personnes dont 1 500 chercheurs. Ce campus scientifique est classé parmi les centres R&D les plus pointus au monde en matière de modélisation ou encore de recherches sur les matériaux. « C’est ici par exemple qu’a été conçu et développé le premier pneu à carcasse radiale français, au sortir de la Seconde guerre mondiale », rappelle Emmanuel Custodero, directeur scientifique de Michelin. Pour lui, « Ladoux est le navire amiral de l’innovation du groupe ».

Dans ce bâtiment cathédrale de 300 mètres de longs – qui a fait peau neuve en 2016 après 280 millions d’euros de travaux – des milliers de pneus sont, chaque jour, passés au crible. Sur quantité de machines d’abord, qui évaluent en continu l’état d’usure des gommes pneumatiques. Puis en conditions réelles. Ladoux aligne pour cela quelque 43 kilomètres de pistes privées sur lesquelles roulent, sur terrains sec et humide, toutes sortes de véhicules (tourisme, poids lourds, motos, etc.) équipés de pneus Michelin. Ce travail « d’essai subjectif », selon le vocable maison, est confié à 25 pilotes. Des accrocs du volant qui ont à leur disposition un parc de plusieurs centaines de véhicules qu’ils poussent à leur maximum. « Sur la piste 1, la plus longue du circuit, le record est de 356 km/h », précise Grégoire Pereira, qui assure la visite à bord d’un bolide BMW.

Pneu intelligent

C’est aussi loin du bitume que la marque invente ici son avenir. Dans les laboratoires de Ladoux, au fond des éprouvettes, les chercheurs maison façonnent en effet le pneu du futur. Un concept baptisé "Vision" qui, promet-on, sera sans air, connecté, fait de matériaux biosourcés et recyclés, et enfin rechargeable. Le tout grâce au recours d’imprimantes 3D en libre-service « capables de renouveler la bande de roulement du pneu », précise Cyrille Roget, directeur sur place de la communication scientifique et innovation.

Un scénario de science-fiction ? « Vision » sert en tout cas de guide à la politique d’innovation de Ladoux. En témoigne la sortie en 2018 du système Michelin Track Connect – le premier pneu connecté pour la piste – inventé en partenariat avec Exotic Systems* et Openium, deux sociétés clermontoises spécialisées dans les objets connectés. Cette solution, qui se présente sous la forme d’une boîte comprenant 4 capteurs et d’un boîtier récepteur relié en Bluetooth à un smartphone, préfigure le pneu intelligent. « Dès les premiers tours de roues, la pression de chaque pneu s’affiche sur l’écran et change de couleur en fonction de l’écart avec la préconisation de l’application », explique Cyrille Roget.

« Vision », peu à peu, se concrétise. Au salon Movin’On, en juin, le groupe auvergnat présentait d’ailleurs son prototype airless (sans air comprimé) Uptis, qui sera testé en partenariat avec l’américain General Motors afin d’en équiper ses voitures d’ici à cinq ans.

Michelin Ventures : du global au local

Acteur mondial, le manufacturier cherche aussi, depuis Ladoux, à renforcer son empreinte locale. « On a parfois l’idée que Michelin collabore peu avec l’extérieur mais nous avons un portefeuille vivant de plus de 300 partenariats de recherche pour une valeur globale de 18 millions d’euros chaque année », rappelle Emmanuel Custodero. « Au niveau régional, sur dix ans, nous avons noué plus de 300 partenariats pour un montant de 16 millions d’euros ». Une stratégie orientée, là encore, sur des projets d’innovation de plus en plus diversifiés.

En mars, Michelin a également créé une coentreprise régionale avec Faurecia dédiée à la mobilité hydrogène, en partenariat avec la PME iséroise Symbio (que Michelin rachetait quelques semaines plus tôt). Idem pour la jeune pousse grenobloise Primo1D, créée en 2013 et spécialisée dans l’électronique intégrée, qui a récemment levé 6 millions d’euros auprès de Michelin Ventures, le tout nouveau véhicule d’investissement du groupe. Le Bibendum scrute ainsi de près l’écosystème régional. « Les modalités de partenariats de R&D sont extrêmement variées. Nous finançons par exemple des preuves de concept de start-up en amorçage, précise Marc Evangelista, directeur de l’incubateur du groupe à Clermont-Ferrand (voir ci-contre), tandis que d’autres entreprises locales profitent de notre réseau. Cet effet d’entraînement est très important ». Au global, près de 30 % des partenariats du groupe sont signées avec des start-up, des PME et des fournisseurs directs.

* En 2016, Michelin et Limagrain ont investi à hauteur 40 % dans le capital de Exotic Systems

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