Pénurie de main d'oeuvre : la galère des patrons de PME
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Pénurie de main d'oeuvre : la galère des patrons de PME

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Organisations managériales bloquées, délais de livraison en tension, croissances figées, des frais et du temps de recherche « non-productif »... En Auvergne-Rhône-Alpes, près de 23 000 postes sont à pourvoir pour les 12 prochains mois, selon une estimation du Medef régional, tandis que le panel de conjoncture économique publié le 5 septembre, par la CCIR Auvergne-Rhône-Alpes, dévoile que 39 % des entreprises ont des difficultés à recruter. Florilège des "galères" vécues par les dirigeants de PME.

Les distributeurs, loueurs et réparateurs de matériels de BTP et manutention, à travers la fédération professionnelle DLR, lancent l'alerte. Plus de 550 postes sont à pourvoir en Auvergne-Rhône-Alpes dont 490 uniquement en Rhône-Alpes. — Photo : Framateq

Au sein du Groupe HBI, les heures supplémentaires des 120 techniciens « explosent » : +50 % au printemps dernier. Alors le moindre CV reçu donne lieu à un entretien. Et sauf catastrophe, à une embauche. « Ce n’est qu’après que l’on réfléchit à quoi le nouvel arrivant sera affecté » indique Jean-Michel Blanc, responsable des ressources humaines de ce groupe, distributeur loueur et réparateur d’engins (Mecalac, Manitou, Liebherr) basé à Saint-Priest (Rhône). Avec un chiffre d’affaires de 151 M€, et 120 techniciens répartis dans 30 agences dans la grande région, ce groupe familial accuse un déficit permanent de main-d’œuvre de 5 à 10 %.

Une situation propre à cette filière qui représente, dans la région, 1 290 M€, 4 610 salariés et 283 entreprises. « Cette pénurie dépasse largement le seuil des 10 % cette année », déplore le directeur général, Ludovic Badey, à la recherche de 13 techniciens qui font défaut. Si la situation perdure, l’homme redoute de « devoir ralentir le volume de vente d’ici deux ans ».

100% de sous-traitance

Même constat à l’ouest de l’agglomération lyonnaise, chez Mixel (60 salariés, CA 2017 : 10,50 M€), PME spécialisée dans l'agitation industrielle (cosmétique, pharmacie, agroalimentaire…). « On ne refuse pas des clients, mais nous n’avons pas le temps de répondre correctement à certains nouveaux marchés », rapporte son président Philippe Eyraud. Qui est aussi contraint de sous-traiter à 100 % le service après-vente, où trois postes sont à pourvoir.

« Si on croise un candidat doté du savoir-être attendu, on est tenté de le recruter pour l’avoir sous la main, quand on en aura besoin... »

« Un manque à gagner que j’évalue entre 15 000 et 20 000 euros par an ». Celui qui a signé les CDI de 14 nouveaux collaborateurs en 20 mois considère les recrutements « d’anticipation » comme des « investissements ». « S’il nous arrive de croiser un candidat doté du savoir-être attendu, nous sommes tentés de le recruter pour l’avoir sous la main, quand nous en aurons besoin », glisse Philippe Eyraud. Lequel s’arrache les cheveux pour maintenir une équipe au complet. « Entre nos collaborateurs qui se font chasser, nos apprentis que l’on veut garder mais qui reprennent leurs études et nos postes à pourvoir, on ne s’en sort pas ! ».

Au-delà du coût de chaque recrutement (« entre 3 000 et 12 000 euros par poste, du soudeur au commercial export »), certains profils manquants bloquent carrément le développement de l’entreprise. « Notre CA en croissance nous amène à une saturation de l’organisation, il faut changer les fondamentaux, mais tant que l’on n’a pas trouvé les hommes, on reste figé ». Sans compter les 8 à 9 mois nécessaires pour construire un profil, auxquels s’ajoutent des dizaines d’heures d’entretien pour trouver le bon candidat… Exploitant toutes les pistes, Philippe Eyraud a fait installer un panneau « Mixel recrute » sur l’enceinte du bâtiment.

>> Lire notre dossier sur ces entreprises qui bousculent les pratiques pour recruter

Pas de flambée des salaires

Pour autant, il refuse de sombrer dans la surenchère. Certains candidats, très demandés, peuvent avoir la tentation de jouer les « chasseurs de prime ». Avec, comme conséquence une remise en cause de la politique salariale, ou des écarts de salaires importants entre les premiers et derniers arrivés.

Interrogé par la Banque de France Auvergne-Rhône-Alpes, à l’occasion de son étude conjoncturelle, un chef d’entreprise signale qu’il peut craindre une remise en cause de sa politique salariale, s’il embauche à compétences et responsabilités égales un chaudronnier à 2 300 euros, alors que les autres sont à 2 000 euros. Pas chez Mixel. « Nous maintenons des rémunérations raisonnables. Ce n’est pas en payant plus cher que l’on recrutera forcément des collaborateurs plus compétents », claque Philippe Eyraud.

Aurélie Gavoille-Alix, responsable Emploi-formation au Medef AURA confirme. « Nous n’observons pas de flambée des rémunérations. Les dirigeants savent que cela nuirait à l’ensemble de l’écosystème ». Selon elle, les entreprises déploient en revanche d’autres « outils de séduction classiques » : améliorer les conditions de travail, proposer des évolutions de carrières rapides…

L’international pour faire rêver

Tecofi, PME de 200 salariés, spécialisée dans la robinetterie industrielle à Corbas (Rhône), vise, fin 2018, 36 M€ de CA. L’entreprise cherche à recruter 10 à 15 personnes, de l’ingénieur au préparateur de commandes. Sa chance ? Avoir une filiale à Dubaï et une autre en Chine.

« Ça aide pour embaucher des jeunes qui rêvent d’international ». Mais en attendant, le process est long. Et pèse sur les résultats : faute de compétences disponibles, son PDG, Daniel Strazzeri estime la perte d’environ « 10 à 15 % de CA par an ». « Ce serait en l’état trop risqué de prendre des marchés sans pouvoir les mener correctement à terme. »

« L'entreprise a préféré figer son investissement, en attendant de trouver le bon candidat pour piloter la suite de l’opération. »

Il n’empêche que, pour l’heure, son projet d’ouverture de filiale au Vietnam, appuyé par l’accélérateur de Bpifrance, est au point mort, bloqué en attendant de trouver le bon pilote pour en prendre la tête. Une conséquence pas si rare, selon Stéphane Albert, chef économiste à la Banque de France Auvergne-Rhône-Alpes, qui a « audité » des dirigeants pour son étude régionale. Un dirigeant dont l’entreprise est spécialisée dans la fabrication de pompes, lui a fait part de la même situation. « Il s’est résolu à figer un investissement, en attendant de trouver le bon candidat pour piloter l’opération qui doit en découler », indique-t-il.

Ultime solution : la formation à marche forcée

Ultime pirouette sinon : investir dans la formation. C’est l’option retenue par Siléane, dans la Loire (10 M€ de CA ; 80 salariés). Le concepteur et fabricant de machines spéciales alliant robotique et vision a lancé, en février dernier, Newcob, juste après avoir investi, fin 2017, 1,5 M€ dans l'extension de ses capacités de production.

L'entreprise doit pallier ses problématiques de recrutement. Car Siléane qui entend atteindre 130 à 150 salariés d’ici 2023, compte sur cette nouvelle activité pour former des collaborateurs « compétents à la fois en mécanique, robotique, vision, logiciels » décrit Hervé Henry, le fondateur. Newcob ne permettra pas seulement à Siléane de « créer un vivier de compétences » pour augmenter ses capacités de production, mais aussi de former du personnel pour d’autres entreprises, « nos clientes qui achètent nos machines ».

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