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Opinel s'affûte pour l'international
Savoie # Industrie # Artisanat

Opinel s'affûte pour l'international

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Après une période compliquée dans les années 1990, le fabricant savoyard de couteaux Opinel, qui fête cette année ses 130 ans, connaît une croissance constante depuis douze ans. En 2020, son chiffre d'affaires ne devrait être que peu impacté par la crise. Le "made in France" et les équipements outdoor et de cuisine font recette en cette période post-confinement.

— Photo : © Bruno Barbier

Dans l’atelier de meulage de l’usine du fabricant de couteaux Opinel, les machines tournent à plein régime. Toutes les heures, 290 lames d’acier sont découpées, poncées, meulées. Un peu plus loin, des robots façonnent les carrelets en manches de bois. La presse dernier cri, installée il y a quelques mois, crache viroles fixes et tournantes à un rythme soutenu. Et au centre de l’usine de Chambéry, devenue siège de l’entreprise (CA 2019 : 26 M € ; 130 salariés) en 2003, les pièces sont assemblées pour donner forme aux couteaux. En 130 ans, la base du processus de fabrication d’Opinel a finalement peu changé.

Les ingrédients historiques du succès

Et le succès, lui, est toujours au rendez-vous. En particulier en cette période post-confinement. Si l’entreprise familiale a souffert du ralentissement de l’activité durant le confinement (l’usine a été entièrement à l’arrêt durant une semaine), à l’échelle des 130 ans d’histoire de la société, le Covid-19 est un « épiphénomène », juge Gérard Vignello, directeur adjoint délégué à la production et aux finances. Il faut dire que le contexte actuel sourit aux valeurs et à l’image véhiculées par Opinel. D’abord, le "made in France" a le vent en poupe : les couteaux sont tous assemblés dans cette usine de 9 000 m2 implantée à Chambéry ; le bois provient à 80 % de France ; seules les essences exotiques sont importées. Ensuite, après avoir été confinés deux mois et demi, les consommateurs français se sont rués sur les équipements outdoor, y compris les couteaux fermants, très utilisés en camping, en randonnée, etc. Enfin, le confinement a permis à nombre de familles de redécouvrir les joies de la cuisine. Les ventes d’accessoires de cuisine ont connu une hausse importante, en particulier les coffrets pour enfants. Résultat, en fin d’année, Opinel devrait enregistrer un chiffre d’affaires équivalent à 90 % de celui de 2019.

Photo : © Bruno Barbier

La recette du succès (+225 % de chiffre d'affaires depuis 2008) de cette entreprise de 130 salariés, qui a connu un passage à vide dans les années 1990, se niche au début de son histoire. Dès 1915, Joseph Opinel, le fondateur, impulse une logique d’industrialisation, en concevant des machines capables d’optimiser et d’accélérer le processus de production. Aujourd’hui encore cette logique perdure. Chaque année, entre 1 et 1,5 million d’euros sont investis dans l’outil de production, qu’il s’agisse de renouvellement de machines ou d’extension de surface. Chez Opinel, la maintenance est par ailleurs intégrée à l’entreprise. « Cela nous offre une meilleure maîtrise des outils », explique Sofiane Aboudrar, responsable du marketing digital. Ce jour-là, l’équipe de maintenance est occupée dans la salle d’assemblage. La toute nouvelle machine, arrivée quelques semaines auparavant et qui permet de mécaniser une étape supplémentaire de l’assemblage, fait des siennes…

Une marque fortement protégée

Cette industrialisation finement pensée a permis à l’entreprise de produire des couteaux de bon rapport qualité/prix. « Nous devons beaucoup à Joseph », rappelle Gérard Vignello, en montrant la vitrine de couteaux et coupants du siècle dernier, exposés dans la vitrine du hall du siège social. « Il a conçu ses produits comme des outils pratiques, durables dans le temps et bon marché. Aujourd’hui, les couteaux Opinel coûtent en moyenne 15 à 20 euros. »

Un prix qui rend la contrefaçon peu attractive financièrement. D’autant que la marque Opinel a été bien protégée. « À l’origine, le couteau Opinel est un couteau régional, comme on en trouvait un peu partout en France. Chacun avait ses spécificités. Beaucoup ont disparu. Et les autres n’ont pas été assez protégés. » C’est notamment le cas des couteaux Laguiole. Historiquement fabriqués dans le petit village aveyronnais éponyme, il n’est pas rare qu’ils soient produits en Chine. Des vêtements, du linge de maison, des barbecues ont même été vendus sous le nom Laguiole. À l’inverse, dès le début du XXe siècle, Opinel dépose sa marque dans plusieurs pays et dans plusieurs classes. Aujourd’hui, c’est même la marque tridimensionnelle qui est protégée : la marque verbale (le nom Opinel), figurative (son logo, la main couronnée) et de forme (celle de la lame et du manche des fermants).

Un atelier de découpe de lame, en 1960 — Photo : © Bruno Barbier

Cap sur l’international

Au fil des ans, les couteaux ont été optimisés, améliorés, sécurisés. La gamme a été étoffée. La virole tournante, qui permet de bloquer la lame en position ouverte, a par exemple été ajoutée en 1955. Chaque année, un à deux nouveaux produits – sans compter les séries limitées – sont mis en vente. « Parfois, l’innovation est légère : un nouveau coloris, une nouvelle essence de bois… », précise Gérard Vignello. Cette année, le petit nouveau est un couteau à châtaigne, doté d’une toute petite lame. La cellule dédiée à la recherche et au développement compte trois personnes. « Mais notre processus de développement est très transverse, précise le directeur adjoint. Il implique bien souvent le service marketing et d’autres fonctions support comme les commerciaux, le service qualité, qui peuvent faire remonter des idées des consommateurs ou des besoins d’amélioration. »

Autre legs de Joseph Opinel : son large système de distribution. À l’époque, il vend ses couteaux par l’intermédiaire de colporteurs et des cheminots. Très vite, le couteau régional se trouve un peu partout en France et même au-delà des frontières. Aujourd’hui encore, les points de distribution de la marque sont très nombreux et touchent une cible très large : des Galeries Lafayette, à Decathlon, en passant par les bureaux de tabac, les magasins de souvenirs, de jardinage, de coutellerie, ou encore de cuisine. Il y a quelques années, Opinel a réintégré son service distribution pour travailler plus finement. « Plus que les grossistes, nous préférons désormais travailler en direct avec nos points de vente. Cela nous permet d’être davantage en lien avec notre clientèle », explique Gérard Vignello, admettant qu’à ce stade, la commercialisation en ligne est peu investie.

En 2017, l’entreprise a également ouvert une boutique à Annecy. Sorte de laboratoire d’essai permettant de constater en direct ce qui fonctionne, ce qui nécessite d’être amélioré, etc. Si le directeur adjoint n’exclut pas l’ouverture d’autres boutiques, là n’est pas la stratégie de développement. C’est l’international qu’Opinel a en ligne de mire. L’entreprise y réalise déjà 45 % de son chiffre d’affaires et entend augmenter cette part dans les années à venir. Depuis 2016, elle dispose d’ailleurs d’une filiale de distribution aux États-Unis. « Le potentiel est grand. Nous comptons l’exploiter », indique le directeur adjoint, sans dévoiler la stratégie de conquête de ces nouveaux marchés.

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