Oenotourisme : Auvergne Rhône-Alpes revoit sa copie
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Oenotourisme : Auvergne Rhône-Alpes revoit sa copie

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Il y a cinq ans, Auvergne Rhône-Alpes ambitionnait de devenir la première région œnotouristique de France à l’horizon 2025. Si l’offre se développe, elle reste limitée et trop éclatée pour atteindre les ambitions régionales. Mais avec le lancement de la Vallée de la gastronomie il y a un an, et l’élargissement vers le tourisme gourmand, le territoire a peut-être trouvé la formule du succès.

Le négociant et producteur de vins Maison Chapoutier, installé à Tain-l'Hermitage dans la Drôme, loue des vélos pour la visite de ses vignes. — Photo : © Maison Chapoutier

Dans le nord de la Vallée du Rhône, les investissements vont bon train. Le dernier en date, à Ampuis (Rhône), se faisait attendre depuis des années. « C’est une idée que nous avions en tête depuis près de vingt ans », avoue même Ève Guigal. Responsable commerciale de La Maison Guigal et épouse de Philippe Guigal, président, c’est elle qui s’est chargée de l’aménagement du caveau. La Maison Guigal (CA 2019 : 58 millions ; 32 salariés) a ainsi transformé l’ancien siège de Vidal-Fleury, sous son giron depuis 1984, en un lieu entièrement dédié à l’accueil des visiteurs. Murs d’un blanc éclatant et bois clair, portes vitrées coulissantes, ascenseur de verre, bouteilles soigneusement éclairées. Au sous-sol, un musée (qui n’a ouvert ses portes que fin juillet, du fait du confinement) expose la collection d’outils de viticulture et de vinification de la famille, plus de 400 pièces de monnaie, des amphores… À l’étage, une salle de séminaire pouvant accueillir une centaine de personnes, une luxueuse cuisine ouverte sur pièce de réception. Ici, master class et ateliers de cuisine seront prochainement organisés. Mais aussi des soirées alliant musique et vin, en partenariat avec le théâtre de Vienne. Coût de l’opération : un peu plus de 6 millions d’euros.

Valoriser la grande variété du patrimoine viticole

À une cinquantaine de kilomètres de là, Tain-l’Hermitage, dans la Drôme, qui rassemble quelques-unes des plus prestigieuses maisons des crus septentrionaux, est le centre névralgique du tourisme dans le nord de la Vallée. La Maison Chapoutier (CA : 59 M€ ; 328 salariés) y est implantée depuis le début du XIXsiècle. Récemment, elle a achevé des travaux de rénovation d’ampleur dans son hôtel-restaurant et ouvert un bar à vin. Une nouvelle offre touristique qui s’ajoute à un caveau de vente, onze salles de dégustation, une table d’hôtes, six gîtes, une école, un service de location de vélo. L’activité touristique emploie une quarantaine de personnes (15 au caveau, 4 au restaurant, 20 à l’hôtel). La Maison n’est pas seule. Delas Frères a ouvert il y a à peine un an un nouveau site. Au total, 3 000 m2 de chais, un caveau boutique, une maison d’hôtes, pour un investissement de 18 millions d’euros. À quelques rues de là, la Cave de Tain et sa société dédiée à l’œnotourisme Terres de Syrah, emploie quatre personnes pour organiser visites de cuverie, balades dans les vignes, dégustations…

Environ 70 ateliers sont organisés chaque année par l'école de la Maison Chapoutier — Photo : © Maison Chapoutier

« Ceux qui veulent se lancer dans le tourisme viticole et en ont les moyens, le font bien, avec du personnel dédié », explique Clémence Durand, chargée de projets d’œnotourisme à Inter Rhône, organisme qui rassemble les professionnels de la viticulture et du négoce de la Vallée du Rhône.

Un plan à cinq ans pour soutenir le développement

C’est vrai au-delà de la Vallée du Rhône. Dans le Beaujolais, le Château de Pizay propose dans son œnothèque des ateliers pour découvrir l’œnologie, le domaine, l’art de la dégustation. En Savoie, le domaine de Méjane organise des balades au départ de sa cave et dans sa pépinière viticole. Dans la Drôme, la cave de Jaillance et son Muséobulles font découvrir l’histoire des vins effervescents Jaillance et l’élaboration de la Clairette de Die.

« Il va falloir mettre les bouchées doubles d’ici 2025 »

C’est pour valoriser la grande variété de ce patrimoine viticole, ses onze territoires labellisés Vignobles et Découvertes, ses 1 000 caves et caveaux ouverts au public (dont 430 adhèrent à une charte de qualité œnotourisme) que la région organise le Fascinant Week-end. Elle a également lancé un plan à 5 ans, avec financement à la clé pour accompagner ce développement. Deux millions sur cinq ans dédiés pour une moitié à la communication et la promotion, et pour l’autre, à l’investissement amortissable dans les domaines. « Les caveaux se sont beaucoup structurés. L’offre également. Les acteurs du tourisme et du vin communiquent, ce qui n’était pas le cas lorsque nous avons commencé à travailler sur la question, en 2006, explique Patricia Picard, déléguée générale du comité vin Auvergne Rhône-Alpes, en charge du plan vignoble. Cela dit, il va falloir mettre les bouchées doubles d’ici 2025 », concède-t-elle.

Désenclaver le monde du vin

Un nouveau plan quinquennal « plus ambitieux » doit être lancé d’ici quelques mois. L’objectif : mieux catégoriser et qualifier l’offre. De sorte qu’elle soit en mesure de répondre, de manière clairement identifiable, aux passionnés de vins comme aux novices, aux petits comme aux gros budgets, aux couples comme aux familles, et surtout aux jeunes. « Jusqu’à présent, nous avons trop négligé les 20-35 ans. Ils ont tendance à penser qu’ils n’ont pas les moyens ou qu’ils ne s’y connaissent pas assez. » Des voyages découverte à l’étranger ont notamment été (et seront) organisés pour « voir la façon dont les professionnels de ces pays ont décomplexé et désenclavé le monde du vin. »

Promouvoir le tourisme gourmand plutôt que l’œnotourisme

Est-ce suffisant pour propulser Auvergne Rhône-Alpes en tête des régions oenotouristiques ? Pas sûr. Car tous ne s’y mettent pas. « L’offre est encore limitée et pour certains, l’intérêt financier n’est pas à la hauteur de l’investissement nécessaire, explique Clémence Durand. Ils préfèrent se concentrer sur l’export, plus payant à court terme. » Par ailleurs, la grande diversité et l’éclatement des vignobles ont leur pendant négatif. « Lorsque l’on pense Auvergne Rhône-Alpes, on ne pense pas au vin. On pense au ski, ou aux volcans, considère Isabelle Faure chez Auvergne Rhône-Alpes Tourisme. Chez nous, le tourisme vinicole n’est pas un motif de déplacement. C’est une composante du voyage. »

Cette spécialiste ne se berce pas d’illusions. « Selon moi, devenir la première région n’est pas le but, déclare Isabelle Faure. Nous ne le serons jamais. Mais nous avons une carte à jouer dans le tourisme gourmand ». Elle poursuit : « Sans compter les vins, nous sommes la première région pour les AOC. Nous détenons 40 % des AOC de fromages. » Allier promotion des vins et de la gastronomie : l’idée a fait son chemin. Les producteurs locaux ont été associés à cette édition du Fascinant Week-end. Le projet de Vallée de la gastronomie annoncé l’an passé va dans ce sens. Il prévoit de bâtir un itinéraire gastronomique reliant Dijon à Marseille. Le lancement officiel auprès du grand public devait avoir lieu à l’automne. Mais les indicateurs de performance qualifiant le succès de l’œnotourisme en France sont encore parcellaires. Les chiffres concernant le nombre de visiteurs ou le volume de prestations proposées par territoire sont rares. S’ils existent, ils ne sont ni centralisés, ni homogénéisés au niveau national. À partir de là, difficile d’établir un classement par région.


Du 15 au 18 octobre, le Fascinant Week-end

En trois jours, plus de 200 activités sont organisées dans tous les territoires labellisés Vignobles et Découverte de la région pour la 7e édition du Fascinant Week-end. Dégustation, brunch gourmand, croisière sur le Rhône pour découvrir l’AOC Bugey, soirée de gala au caveau Guigal… Cet événement d’abord local – organisé en 2013 par le vignoble de Cornas Saint-Péray, en Ardèche - a rapidement pris une ampleur régionale devant le succès rencontré. « L’événement intéresse beaucoup Atout France, en termes de nouveautés. Cette année, des territoires d’Occitanie y participent et en 2021, il devrait être élargi à l’échelle nationale », indique Isabelle Faure, d’Auvergne Rhône-Alpes tourisme. Pour Patricia Picard, du comité vin, l’événement a un autre avantage : « Il mobilise et fédère les acteurs du tourisme et du vin. C’est un vrai coup de boost pour le développement de l’œnotourisme dans la région. »

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