Les stations de montagne sur la piste de la diversification
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Les stations de montagne sur la piste de la diversification

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Première région européenne pour le ski, Auvergne-Rhône-Alpes concentre au sein de ses 139 stations plus de 90 000 emplois. Face au dérèglement climatique, les opérateurs continuent d'investir massivement dans les infrastructures de neige tout en tablant sur une diversification de leurs activités toute l’année.

La SEM Valloire a investi 8,5 millions d'euros dans un nouveau télésiège pour relier deux massifs et faciliter la liaison avec le domaine voisin de Valmeinier. — Photo : SEM Valloire

En ce samedi de janvier, non loin du col du Galibier (Savoie), Jean-Marie Martin, PDG de la Société d’économie mixte Valloire, a le sourire. Si la fréquentation du début de saison est « excellente », ce sont surtout les ambitions affichées qui l’incitent à l’optimisme. Le gestionnaire et exploitant du domaine skiable de Valloire, détenu à majorité par la commune du même nom, vient d’inaugurer un nouveau télésiège 6 places débrayable, d’une capacité de 2 700 personnes à l’heure. « C’est une petite révolution technique et stratégique pour faciliter la liaison entre les domaines de Valloire et Valmeinier », explique le patron valloirien.

Solution aussi pour les skieurs puisqu’elle permet d’avaler les 700 mètres de dénivelé et de parcourir les 2,2 kilomètres en moins de 7 minutes contre 35 minutes auparavant avec deux télésièges. La rationalisation des remontées mécaniques est l’autre signe de l’amélioration apportée par ce projet de la SEM Valloire (chiffre d’affaires 2019 : 15 M€ ; 150 personnes). « Ce télésiège conçu par la filiale française de l’entreprise autrichienne Doppelmayer remplace deux appareils vieillissants », ajoute Jean-Marie Martin qui a fait sienne la logique – de plus en plus adoptée par les stations – du « un nouveau pour deux anciens ». Une considération aussi pour l’impact visuel des remontées mécaniques dans l’aménagement paysager des massifs et du respect de l’environnement et de la biodiversité.

L’investissement de 8,5 millions d’euros s’inscrit dans une démarche plus large de modernisation des infrastructures de la station de ski de Valloire-Galibier qui prévoit une enveloppe totale de 36 millions d’euros sur la période 2020-2028 mêlant à la fois des objectifs d’optimisation des remontées mécaniques, d’amélioration de l’expérience client et de production de neige de culture.

Valloire est à l’image de la dynamique d’investissement à l’œuvre dans les stations. Les opérateurs de remontées mécaniques régionaux ont engagé au 1er janvier 2 19 un montant cumulé de 96,46 M€ sur les 132 M€ investis en France, d’après le Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (STRMTG).

Nouveaux paradigmes

Ce qui se joue à Valloire n’est pas unique et illustre toute la dynamique dans laquelle sont plongés depuis quelques années les opérateurs et gestionnaires des stations de skis de la région. Des investissements indispensables pour améliorer l’expérience client des touristes mais également optimiser l’organisation des domaines skiables autour des zones d’enneigement. L’enjeu est de taille : attirer et fidéliser une nouvelle clientèle, tout en veillant à s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique.

La hausse des températures entraîne une diminution de l’enneigement naturel et modifie les conditions climatiques en altitude. Une étude du Centre d’étude de la Neige (Météo France / CNRS) montre que 10 à 40 % de l’enneigement naturel va baisser d’ici 2050, quels que soient les scénarios étudiés. De même, selon l’Institut national de recherche en sciences et technologiques pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), la part des saisons les moins enneigées ces quinze dernières années (20 %) pourraient dépasser 30 %. « Les stations  de basses et moyennes altitudes sont évidemment les plus concernées par les conséquences du réchauffement climatique avec malgré tout des différences propres aux territoires et à leurs microclimats », avertit Emmanuelle George, responsable de l’unité de recherche Développement des territoires montagnards à l’Irstea.

Un impératif de gouvernance

« D’ici 30 ans, l’activité neige sera encore préservée mais nous devons tous aller dans le même sens », avance Jean-Yves Rémi, PDG du groupe La Belle Montagne. Une survie qui passe aussi par une meilleure gouvernance. « Il faut mettre en œuvre des outils de gestion sur la question de l’hébergement et travailler sur l’optimisation du domaine skiable pour qu’on soit moins sujet au risque climatique », analyse Pascal Vie, directeur général délégué de Savoie Stations Ingénierie Touristique (SSIT), société d’économie mixte détenue à 74 % par le département de la Savoie et actionnaire principal de la station de Val Thorens. Ce modèle de gouvernance particulier permet à la SSIT de réinvestir les dividendes perçus via la SETAM Val Thorens (chiffre d’affaires 2018 : 56,4 M€ ; résultat net 2018 : 13,8 M€) dans les quatorze sociétés d’exploitations de remontées mécaniques plus fragiles dont elle est actionnaire.

À l’automne dernier, Domaine Skiable de France, la chambre professionnelle qui représente les 250 opérateurs des domaines skiables, a également appelé à une prise de conscience générale sur la question climatique et fait part de son intention de trouver, sous six mois des solutions de mutualisation des financements pour répondre à trois problématiques environnementales (eau, déchets, biodiversité).

« Sans le ski, tout est fini, mais le tout ski, c’est fini »

35 % d’enneigement artificiel

Ces prévisions restent délicates pour tout l’écosystème, tant la construction des stations s’est faite au cours des années 1960-1970 autour de la seule activité ski. Les choses ont désormais changé. « Jusqu’à récemment, l’élément dominant des stations tournait autour du ski. Pour les décennies qui viennent, ce modèle doit évoluer », note Patrick Grand’Eury, président du Cluster Montagne, qui fédère 200 acteurs du secteur industriel et touristique de la montagne. « Nous devons nous réinventer. Le modèle monolithique du « tout ski » des années 1970 est terminé. On se rend compte que les paradigmes changent vite et que la question de l’environnement arrive très fortement sur le devant de scène », ajoute-t-il.

Du côté de Valloire dont 80 % du domaine est situé au-dessus de 2 000 mètres d’altitude, on prend en compte ce changement de paradigme. « Sans le ski, tout est fini, mais le tout ski, c’est fini », approuve Jean-Marie Martin. Reste que plus de la moitié du domaine est couverte en neige de culture – contre 35 % de moyenne pour les domaines français – avec l’objectif d’atteindre les 60 %.

En Isère, dans la station de l’Alpe du Grand Serre dont le domaine monte jusqu’à 2 200 mètres d’altitude, les phénomènes climatiques ne sont pas niés. « La fenêtre d’enneigement naturel se réduit et la probabilité de voir des périodes sans neige augmente », explique Thibaud Delaplagne, directeur de l’Office de tourisme, qui détient la délégation de service public des remontées mécaniques avec l’établissement AGS Nature (chiffre d’affaires 2019 : 1,3 M ; 60 salariés).

Même sur le massif du Mont-Blanc, les intentions ont changé. « L’impératif environnemental guide désormais nos projets d’investissements contrairement aux années 1980 où nous étions focalisés sur le volet technique d’amélioration des pistes », détaille Laure Desmaris, responsable développement durable de la Compagnie du Mont-Blanc (chiffre d’affaires 2019 : 98 M€ ; 57 salariés) qui gère cinq domaines skiables de haute altitude dans les vallées de Chamonix et de Megève. Ici, on peut encore compter sur une forte part de neige naturelle. 17 % des pistes sont enneigées artificiellement.

L’élan de la diversification

Si la neige de culture reste plébiscitée et subventionnée – la Région soutient les équipements à hauteur de 45 M€ via un plan Neige - les habitudes des touristes ont changé et les stations font le grand écart. « Les gens ne skient plus 8 heures dans la journée, nous devons équiper les stations d’une offre d’activités complémentaires, améliorer l’expérience client tout en veillant à sécuriser l’activité ski », souligne Jean-Yves Rémi.

Les acteurs de la montagne sont à un tournant. Au point d’adapter leur offre et d’accentuer leur diversification. « Le développement du quatre-saisons permet de ne plus être dépendant de la seule saison hivernale », explique Thibaud Delaplagne dont la station propose une multitude d’activités outdoor, aussi bien utilisables en complément du ski l’hiver qu’en été. Les activités de via ferrata, randonnée ou nautique sont complétées par un « bike park ». La station mise aussi sur l’événementiel pour attirer des touristes tout au long de l’année : courses de vélos, FestiBike ou le trail du Grand Serre parviennent à développer la fréquentation touristique hors hiver. « Nous essayons de lisser sur l’année les événements pour ne pas tout concentrer l’été », avance-t-il. Néanmoins, le développement estival ne compense pas l’activité hivernale qui représente toujours 97 % du chiffre d’affaires. « La fenêtre de développement de notre marge se situe bien plus l’été que l’hiver », relève le directeur.

« Il y a une accélération de l’engagement des stations, qui deviennent plus des stations de montagne que de ski »

La montagne est, de fait, toujours plus plébiscitée lors des vacances estivales. Les nuitées en montagne ont progressé de 10,9 % à l’été 2019, selon l’Insee. À Autrans-Méaudre (Isère), la notoriété de la station de basse altitude acquise lors des JO de 1968 autour du ski nordique lui a permis de se développer autour de l’alpin mais également autour d’activités ludiques comme la tyrolienne géante ou la nouvelle piste de luge tubing (bouées) ouverte l’an dernier. « On joue sur notre identité et sur le tourisme de contemplation. Ce qui ne nous a pas empêchés d’investir 1 M € pour ces deux activités », relève Frédéric Lahaye-Goffart, directeur de la station.

Si le tout ski est fini, la glisse reste encore le premier levier de croissance : « Si, d’aventure, le ski venait à disparaître, les stations péricliteraient et les activités structurantes avec », anticipe Jean-Yves Rémi.

L'activité VTT est une des activités privilégiées par le gestionnaire du domaine de l'Alpe du Grand-Serre pour développer la saison estivale — Photo : Fabien GRUAS -No Limit Shooting

Les industriels innovent aussi

Dès lors, toute la filière s’adapte. À commencer par les fabricants de remontées mécaniques. À l’image de Poma, Doppelmayr ou du groupe MND, tous installés dans la région, les industriels suivent les tendances. « La prise de conscience n’est pas nouvelle mais il y a une accélération de l’engagement des stations, qui deviennent plus des stations de montagne que de ski », analyse Roland Didier, directeur général du groupe MND (chiffre d’affaires 2018 : 75 M€ ; 340 salariés, spécialiste des remontées mécaniques. « Le quatre-saisons devient la norme et c’est à nous de les accompagner dans leur diversification », ajoute-t-il.

Les industriels sont également attendus sur le terrain énergétique. « Les cahiers des charges des opérateurs sont de plus en plus exigeants et nous incitent à travailler sur la consommation énergétique de nos produits ou sur la consommation d’eau », précise Roland Didier, qui investit 4 à 6 % du chiffre d’affaires dans la R& D par an. La consommation énergétique des remontées mécaniques a, par exemple, été divisée par 15. Reste que face à ce contexte, les industriels songent aussi à explorer d’autres pistes de croissance. En témoigne, les orientations stratégiques prises ces dernières années vers le transport par câbles ou le transport urbain. MND a par exemple signé des contrats en Chine et en Égypte pour répondre à de nouveaux marchés.


Séduire et fidéliser les jeunes Français

Un jeune Français (15-25 ans) sur deux n’est jamais allé au ski, selon une étude de l’agence de conseils Poprock sur l’avenir de la montagne. Pour inciter les jeunes de la région à pratiquer la glisse dès le plus jeune âge, la Région Auvergne Rhône-Alpes a mis la main à la poche dans le cadre du plan Montagne. Doté de 115 millions sur l’ensemble de la mandature, il vise notamment à soutenir l’acquisition et la rénovation des centres de vacances des stations pour élargir l’offre d’accueil. En mars 2019, plus de 1 300 lits en centres de vacances ont été rénovés grâce au plan. Pour la saison hivernale 2019-2020, un partenariat avec l’Agence nationale des chèques-vacances a été conclu pour permettre à un millier de jeunes du territoire de partir au ski dans des conditions préférentielles. En parallèle, alors que les départs en classe de neige ont diminué de près de 30 % depuis dix ans, la Région prend à sa charge les frais de transport des classes de neige, aux côtés des collectivités territoriales et des opérateurs des stations régionales. Une stratégie de relance qui vise 500 classes de la région, en particulier les CM1 et CM2.


Ces chiffres qui alertent

148 infrastructures de montagne (refuges, pylônes…) dans les Alpes françaises affichent un risque de déstabilisation voire de dégradation à cause des effets du réchauffement climatique sur le permafrost, le sol constamment gelé où sont fixées les infrastructures, selon une étude du Laboratoire Edytem de l’Université Savoie-Mont-Blanc (2019).
10 à 40 % de l’enneigement naturel des stations de ski françaises va diminuer d’ici 2050, quels que soient les scénarios étudiés, d’après une étude du Centre d’Étude de la Neige du CNRM (Météo France / CNRS).
+ 2°C, c’est la hausse des températures moyennes mesurées dans les Alpes entre 1880 et 2012.
5 400 journées-skieurs de moins dénombrées dans les stations de ski alpin du domaine départemental de la Drôme entre la saison 2012-2012 et 2015-2016.

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