Les plasturgistes d'Auvergne Rhône-Alpes face au défi du recyclage
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Les plasturgistes d'Auvergne Rhône-Alpes face au défi du recyclage

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Première région de France en matière d’industrie plasturgie-composites, Auvergne Rhône-Alpes est aujourd’hui face à un défi de taille : aider la filière à passer d’un système reposant quasi exclusivement sur la pétrochimie, à une démarche intégrant le recyclage et l’éco-conception. Le potentiel est là. Les contextes politique et économique aussi. Reste aux acteurs à trouver des solutions pour lever les freins techniques et financiers de cette transition.

— Photo : Polieco

Des histoires d’objets plastiques et de leur seconde vie, Nicolas Payre, dirigeant d’Indco (CA 2019 : 4,1 millions d’euros / 30 salariés) en a à revendre. Comme celle de ces pipettes de sérum physiologique qu’il collecte, sèche, broie, regranule pour que la matière soit transformée en housse ou en sac. Il récupère ensuite les chutes de cette confection pour transformer à nouveau la matière qui deviendra des sacs plastiques. Parfait exemple d’économie circulaire. Et, en Auvergne Rhône-Alpes, on est passé de cette expression "tendance" à son application industrielle.

De la Plastics Vallée, qui rassemble, autour d’Oyonnax (Ain), le plus gros groupement d’entreprises spécialisées dans le plastique d’Europe (plus de 300 sociétés), jusqu’au plateau de Sainte-Sigolène, autour de Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire), qui concentre entre autres le groupe Barbier (700 salariés) et également un nombre important d’acteurs, même son de cloche. Le « plastic bashing » de ces dernières années a fait son œuvre. Désormais, les entreprises du secteur ont à cœur de montrer que le "grand méchant plastique" n’est pas la source de tous les maux de la planète.

D’autant que la réglementation les contraindra bientôt, qu’ils le veuillent ou non, à se pencher sur les questions de recyclage et d’éco-conception. La loi de février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a fixé un objectif de 100 % de plastique recyclé à l’horizon 2025. La fin des emballages à usage unique c’est pour 2040. Et l’interdiction de certains emballages interviendra dès 2022.

Ce site de Paprec qui recycle du plastique fournit notamment l'usine Polieco en matière première — Photo : © Paprec

Un nouveau modèle vertueux à inventer

« C’est l’opportunité de réinventer un modèle, en imaginant une filière plus vertueuse », s’enthousiasme Simon Gourgaud, délégué régional du syndicat professionnel Allizé Plasturgie – qui rassemble 500 entreprises sur les 800 que compte la région. Cette transition « peut incarner un vrai moteur pour l’industrie de demain en Auvergne-Rhône-Alpes, qui a tout pour sortir par le haut. »

Il est vrai que la région, qui concentre le quart des effectifs nationaux (plus de 24 000 salariés) et génère plus de 6 milliards de chiffre d’affaires par an, ne manque pas d’atouts et dispose de compétences d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur. Pour fédérer, un pôle de compétitivité, Plastipolis, et un centre technique industriel, Innovation plasturgie composite (IPC), sont dédiés à l’innovation plastique et composite.

Des chimistes, s’intéressent de plus en plus aux matières de demain. Des start-up aussi, comme Lactips ou Carbiolice (Puy-de-Dôme ; CA 2019 : 900 000 € ; 25 salariés), qui développent des plastiques biosourcés et biodégradables. Des recycleurs qui collectent et trient la matière, comme Paprec (Pdg : Jean-Luc Petithuguenin ; CA 2020 : 1,5Md€ ; 10 000 salariés) qui a investi il y a deux ans 25 millions d’euros dans un nouveau centre de tri dans l’Est lyonnais. Des équipementiers qui, de plus en plus, conçoivent des machines et des moules adaptés à l’intégration de matière recyclée. Des groupes comme Fanuc France ou Billion, conçoivent à leur tour des solutions dédiées à l’éco-conception pour les transformateurs. Ces derniers aussi sont présents sur le territoire. Comme Epsotech (CA : 12 M €, Saint-Georges-de-Reneins) qui revalorise ses chutes de matières ou le groupe Barbier, qui s’est fixé l’objectif de 45 % de matières recyclées en 2025, et d’autres encore qui travaillent la matière plastique par injection, extrusion, thermoformage, rotomoulage pour des secteurs aussi divers que l’automobile, le médical, ou encore les cosmétiques et les emballages industriels. Des pouvoirs publics impliqués enfin. « Le président Laurent Wauquiez a identifié la plasturgie comme l’une des filières stratégiques prioritaires et veut faire d’Auvergne-Rhône-Alpes la première région de l’économie circulaire », rappelle Simon Gourgaud. Fin septembre, la collectivité, le syndicat professionnel et l’Ademe ont d’ailleurs signé un accord visant à aider la filière à accélérer la valorisation des déchets, moyennant un financement d’1,7 million d’euros sur deux ans.

Photo : Allizé Plasturgie

Intégrer le plastique recyclé : un casse-tête technique

Et d’accompagnement, les entreprises en ont besoin. Non pas qu’il y ait un manque de volonté. « La plupart des dirigeants sont convaincus de l’intérêt de la matière recyclée et de l’éco-conception », insiste le président de syndicat régional. Mais si au niveau macro-économique, l’avènement de l’économie circulaire fait miroiter moult promesses, au niveau opérationnel, il est surtout synonyme de contraintes accrues pour les entreprises.

La problématique première est technique : pour un transformateur, remplacer du plastique vierge par du recyclé est complexe. « Bien souvent, cela demande aux industriels de changer des moules, ce qui implique des investissements importants », indique Marion Chysclain, chef de projet HSE au sein d’Allizé Plasturgie. « De plus, le flux de la matière recyclée n’est pas homogène, contrairement à la matière vierge. Il faut ajuster la température, revoir les réglages, former le personnel, parfois réticent, à l’utilisation d’une nouvelle matière… ». La couleur est également complexe à gérer. « C’est même la première difficulté, affirme Yvan Riva, président d’AG Plast (CA 2019 : 9 M€ ; 40 salariés), PME spécialisée dans la transformation. La matière recyclée est presque toujours noire, explique Yvan Riva. Or, nous ne fabriquons pas que des produits noirs. » AG Plast, qui transforme 4 000 tonnes de plastique par an (à 75 % du recyclé) a ainsi dû imaginer, avec un partenaire, une solution spécifique pour éclaircir le plastique recyclé avant de lui donner sa couleur verte ».

Des contraintes économiques et réglementaires

L’autre problématique est économique. En 2008, lorsque Yvan Riva a repris AG Plast et commencé à intégrer du plastique régénéré, il s’agissait « avant tout d’un choix économique ». La matière est alors bien moins chère. Mais la chute vertigineuse des cours du baril de pétrole en début d’année a inversé la tendance. À la fin de l’été, le prix du PET vierge tournait autour de 970 euros la tonne alors que la tonne de PET recyclé clair valait 1 170 euros. Dans ces conditions, difficile de défendre l’attractivité économique du recyclé.

Pourtant, Nicolas Vollerin y voit un avantage. « La matière est certes plus chère, mais nous avons une plus grande visibilité, car les cours sont beaucoup moins volatiles », explique le directeur technique de Polieco France (CA 2019 : 34 M€ ; 95 salariés). L’entreprise spécialisée dans la fabrication de tubes annelés en polyéthylène s’est vu remettre par l’Afnor début octobre la certification expérimentale « Afaq économie circulaire ». Sur son site de Feillens (01), 98 % des 8 000 tonnes de matière transformées chaque année sont issues du recyclage. Les 2 % restants servent à produire des systèmes des canalisation en PEHD. Un produit qui doit répondre à des normes bien précises. Lesquelles normes ne permettent pas d’intégrer du recyclé. « Le paradoxe, c’est qu’ici la réglementation nous pousse à utiliser de la matière recyclée et là une autre nous empêche de le faire », déplore Nicolas Vollerin, dont la société a intégré le groupe de travail visant à faire évoluer ces normes.

Le plastique recyclé, matière d’avenir ?

Progressivement, néanmoins, la situation évolue. Polieco, qui intègre pourtant de la matière recyclée depuis 20 ans, ne l’assume haut et fort que depuis une dizaine d’années. « Il y a quinze ans, produire à partir des poubelles n’était pas bien vu », se rappelle le directeur technique. Certains donneurs d’ordre sont encore frileux à l’idée d’utiliser ou de dire qu’ils utilisent une matière encore perçue comme étant de moindre qualité. « D’autres, continuent à exiger des emballages composés de deux ou trois matières différentes, extrêmement difficiles à recycler par la suite », précise Simon Gourgaud. Mais le changement s’accélère. « D’ici cinq ans, nous allons au contraire manquer de matière. Toutes les études le montrent, assure Martin Stephan, directeur général délégué de la start-up industrielle Carbios (Clermont-Ferrand), société mettant au point un plastique recyclable à l’infini. De grands comptes, comme L’Oréal, Pepsi, Nestlé Waters, se sont en effet d’ores et déjà engagés aux côtés de la start-up. Pour la société, qui a encore levé 27 millions d’euros fin juillet et dont la technologie sera prête à être licenciée début 2023, le plastique est une matière d’avenir. À condition qu’il soit issu du recyclage et puisse être encore recyclé.


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Les recycleurs locaux : un maillon indispensable mais menacé

Et si l’économie circulaire dans la plasturgie passait aussi par un approvisionnement en matière recyclée, mais surtout locale ? Depuis que la Chine a fermé ses portes aux déchets plastiques du monde entier en 2018, le recyclage se relocalise en Europe et en France. Mais la question se pose même à l’échelle régionale. « Si l’on doit faire traverser toute la France aux rebuts plastiques avant de les recycler, au final, le bilan carbone est mauvais », explique Nicolas Payre, dirigeant d’Indco, société spécialisée dans le recyclage de thermoplastiques post-industriels. C’est l’une des raisons pour lesquelles la société basée à Villard-Bonnot (38) a ouvert un second site à La Flèche (72) l’an passé. « Pour une boucle réellement vertueuse, nous devrions nous approvisionner auprès de recycleurs implantés localement et collectant les déchets localement », confirme Yvan Riva, d’AG Plast. Sa société a d’ailleurs mis en place une démarche consistant à regarder les gisements de matière disponible (localement) avant de concevoir les produits et de garantir le maximum de traçabilité sur les matières.

Sauf que les recycleurs sont aujourd’hui en difficulté. Et en particulier les petits recycleurs locaux. « La chute des cours du pétrole durant le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 a été une catastrophe pour nous », confirme Nicolas Payre. Le plan de relance devrait apporter une aide à ces acteurs, mais pas sûre qu’elle soit suffisante pour surmonter les difficultés actuelles.

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