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Le CEA Tech est « une structure atypique dans la recherche française »
Interview Isère # Innovation

Stéphane Siebert directeur de la recherche technologique du CEA Le CEA Tech est « une structure atypique dans la recherche française »

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« Contribuer à la compétitivité de la France ». Telle est l'une des missions fixées au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), à travers un décret publié par l'Etat en mars dernier, trois mois après la nomination de Stéphane Siebert (56 ans) comme directeur de la recherche technologique. Nommé en janvier 2016, il a succédé à ce poste à Jean Therme. Le compagnon de l'ancienne ministre de la Recherche Geneviève Fioraso détaille ses priorités, tournées vers le transfert aux industriels.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Le CEA Tech en quelques mots ?

Stéphane Siebert : Le CEA comporte 4 activités, avec un axe défense, nucléaire civil, recherche technologique et recherche fondamentale. Ces missions sont redistribuées en fonction des centres géographiques (dont Grenoble fait partie), pour un ensemble de 16.000 salariés au total.

En quoi consiste le rôle de la direction de la recherche technologique ?

S.S. : Il s'agit du pont entre la recherche fondamentale et le développement industriel. Pour qu'un industriel s'approprie le résultat d'une recherche fondamentale, il faut franchir sept degrés sur l'échelle de maturation technologique, avec en moyenne un an pour chaque degré. Nos activités se situent entre le niveau 2 et 6, entre ce qui sort d'un laboratoire de recherche pure et ce qui entre dans une unité de développement industrielle.

Quels sont les principaux secteurs concernés ?

S.S. : Nous sommes focalisés sur le numérique et les nanotechnologies, qui sont en train de transformer les entreprises. Ces deux technologies ne sont pas propres à une filière donnée mais totalement transversales. Nous travaillons ainsi pour des entreprises de toutes tailles, que ce soit pour des grands groupes (comme Safran, STMicroelectronics, Renault, Panasonic, Airbus, Intel), ou des entreprises plus petites comme Rossignol, Bubendorff (Allemagne), la Cooperl (Bretagne) ou encore Sigfox (Toulouse)...

Votre rôle pallie-t-il le manque de ressources de ces entreprises en interne ?

S.S. : Pas uniquement. Nous entrons dans l'ère de l'innovation ouverte : les technologies changent tellement vite qu'il faut multiplier les contacts avec l'extérieur. Même des groupes comme Intel, qui possèdent des dizaines de milliers d'ingénieurs, ont créé une centaine de partenariats avec l'extérieur. Malgré leur puissance en interne, ils ne couvrent pas tout.

Quelles formes peuvent prendre ces collaborations ?

S.S. : Les partenariats peuvent aller de trois mois, pour une étude de faisabilité, à cinq ans pour des partenariats avec les grands groupes. Certains durent même depuis 20 ans... Comme organisation « no-profit », nous mettons à la charge des industriels la réalité de nos coûts, qui sont audités par un commissaire aux comptes. Nous réalisons des devis en estimant le temps nécessaire et les livrables, que sont la preuve de concept, le premier prototype, jusqu'à la livraison d'un livre de procédés complet...

Qu'en est-il de la propriété intellectuelle (PI) générée lors de ces travaux ?

S.S. : Avec plus de 4000 familles de brevets, nous déposons d'abord la PI pour la mettre ensuite au service des industriels, à qui l'on donne une licence pour leur domaine d'activité. Car il est possible qu'une même technologie puisse s'appliquer trois mois plus tard dans un autre domaine : c'est une mutualisation intelligente. En général, 20% des brevets seront développés spécifiquement durant le partenariat et 80% des brevets sont issus de notre portefeuille antérieur.

Que représentent les revenus générés par les entreprises au sein de votre budget ?

S.S. : Ils ne cessent d'augmenter. Nous avons une structure de financement atypique dans la recherche française : moins de 25% des recettes sont apportées par des subventions récurrentes de l'Etat, tandis que 75% de revenus le sont par des sources externes, à moitié par les industriels et à moitié par des recettes institutionnelles. Au total, 220 millions d'euros proviennent des industriels. Notre mission est de continuer à augmenter ces partenariats.

La notion de proximité géographique est décisive dans cette nouvelle stratégie ?

S.S. : Pour travailler avec les industriels, il ne faut pas se placer en position d'attente mais aller au-devant, en développant des partenariats au niveau régional. C'est pourquoi le CEA a développé depuis 2013 six implantations régionales, en dehors de Grenoble et de Saclay. Cela nous permet de croitre plus vite, avec aujourd'hui près de 200 partenariats régionaux.

Quel rôle joue le site de Grenoble ?

S.S. : CEA Tech représente environ 90 % des activités du CEA Grenoble, le reste étant dédié aux activités de recherche fondamentale. Si l'on y associe l'INES, le centre de Grenoble regroupe environ 2/3 des effectifs de CEA Tech. Un pôle de recherche comme Minatec représente 100.000 m² de locaux techniques. La France n'étant pas en mesure de se payer plusieurs centres de cette taille, le principe est de concentrer les investissements à Grenoble tout en diffusant les résultats partout en France. Pour être dans la compétition mondiale, il faut avoir des campus de la taille de Grenoble.

Quelle est votre vision pour ce site ?

S.S. : Grenoble doit rester un campus de référence pour la technologie au niveau mondial. Nous n'avons plus aucune difficulté à convaincre les experts mondiaux à venir sur place, mais nous devons encore développer notre visibilité à l'international, car il est important que les leaders mondiaux nous reconnaissent. Nous avons pour cela deux antennes, l'une en Californie, et l'autre à Tokyo, et nous participons à plusieurs salons dans le domaine de l'électronique ou de l'énergie.

Depuis la dénucléarisation du site, qui s'est achevée par un déclassement du site par l'ASN en 2014, quels sont les axes prioritaires pour le site de Grenoble ?

S.S. : Avec le numérique et les nanotechnologies, on couvre un large champs d'applications. Mais c'est sur les semi-conducteurs qu'on reste le plus fort, avec tous les aspects sur la transition énergétique. Il y a aussi le champ des dispositifs médicaux, qui ouvre la voie à la médecine personnalisée et ambulatoire, ainsi que l'usine 4.0 numérique, avec la robotique ou l'impression 3D. Ces grands secteurs servent aussi d'autres secteurs complémentaires, comme les transports, l'aéronautique ou les secteurs industriels plus traditionnels comme la fabrication de câbles, tuyaux, tracteurs ou objets de loisirs...

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