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Laurent de la Clergerie (LDLC) : « Je veux aller vers une entreprise libérée »
Interview Lyon # Distribution # Management

Laurent de la Clergerie président-fondateur de LDLC Laurent de la Clergerie (LDLC) : « Je veux aller vers une entreprise libérée »

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« Au fait, j’ai un dernier truc à vous dire ». C’est ainsi qu’à l’issue de la négociation annuelle obligatoire, Laurent de la Clergerie, président et fondateur du groupe coté LDLC, spécialisé dans la distribution de matériel informatique, a annoncé aux représentants du personnel son intention de passer à la semaine des 32 heures sur quatre jours en janvier 2021. Au moins 800 des 1 000 salariés du groupe seraient concernés. Ce passage n’est qu’un cap, pour celui qui vise, dans deux ans, une transition en douceur vers l’entreprise libérée.

— Photo : © Marie-Eve Brouet

Le Journal des Entreprises : Le siège social de LDLC (493,3 M€ de CA 2019, 1 000 salariés) ressemble à une salle de jeux, avec sa décoration "fun", sa salle de fitness, des tables de ping-pong. Devenu patron d'une entreprise cotée, vous êtes resté ce collégien qui lançait un club d’informatique, puis cet étudiant qui organisait le bal de promo. Le plaisir d’abord ?

Laurent de la Clergerie : Comme je l'ai expliqué aux salariés du groupe, je travaille avant tout parce que j’y prends en effet du plaisir. J’aime créer, innover, tenter de changer les choses, les modèles. Je cherche toujours à simplifier, rendre efficace, ne rien faire d’inutile, et avancer tant que faire se peut dans le sens qui soit le meilleur pour tous. Et pour atteindre le « meilleur », je considère que c’est à travers une équipe qui prend plaisir à participer à l’aventure. Ma plus belle réussite, c’est quand je vois les sourires de nos équipes.

Les sourires, ou les inquiétudes parfois…

Laurent de la Clergerie : Cela arrive ! Lorsque j'ai annoncé mon intention de passer aux 32 heures payées 35 sur quatre jours en janvier 2021, certains managers m’ont dit avoir peur de ne pas réussir à gérer des équipes sur quatre jours. La chose la plus dure quand on est investi dans un travail, c’est d’admettre qu’on ne peut pas tout faire, et que quand le travail dépasse la capacité du nombre d’heures qu’on a pour le faire, il faut déléguer… Cela veut dire donner un peu plus de confiance à leurs équipes, qui pourront accomplir des missions à la place des managers. Je leur ai dit que ce serait peut-être un peu compliqué au début mais que, rapidement, les salariés et eux ne le regretteraient pas !

Vous pariez sur l’intelligence collective ?

Laurent de la Clergerie : Complètement ! Et la période que nous venons de traverser me conforte dans cette idée. Notre activité pendant le confinement était proche de celle que nous connaissons avant Noël, période la plus faste pour nous et les équipes, pour la plupart en télétravail, se sont mobilisées comme jamais ! Ce trimestre sera exceptionnel. Pour l'exercice 2020-2021 (d'avril à avril chez LDLC, NDLR) nous devrions atteindre 600 millions d'euros de chiffre d’affaires, et enregistrer une nette progression de l’Ebitda (profitabilité opérationnelle, NDLR) à 33 millions d'euros contre 15,7 millions d'euros en 2019-2020.

Qu’est-ce qui va changer dans l’organisation de l’entreprise ?

Laurent de la Clergerie : Ce passage de 35 à 32 heures, ce sont trois heures d’écart qui devraient engendrer un coût d’un million d’euros par an, selon mes calculs. Cette mesure touchera en début d’année 2021 quelque 850 salariés sur un total de 1 000. Il y aura des besoins en recrutement dans les métiers exigeant des amplitudes horaires larges, comme la relation client, l’accueil, la logistique, mais ce n’est pas très impactant. Dans un premier temps, nos filiales ne seront pas concernées... j’espère qu’elles y viendront d’elles-mêmes.

Avez-vous en tête un modèle à suivre ?

Laurent de la Clergerie : Il n’existe pas de modèle. Le siège de Microsoft au Japon, pays où les salariés accomplissent pourtant la plus grande amplitude horaire, a mis ce dispositif en place au cours d'un mois d’août. L’entreprise a alors battu des records en termes de performance commerciale, mais sans aller plus loin dans la pratique. À ma connaissance, aucune entreprise de notre taille n’a passé ce cap des 32 heures par semaine. Nous allons maintenant entrer dans le détail, la mise en œuvre. Je vois déjà la mécanique à mettre en place, il reste à l’écrire pour créer « notre petit truc à nous » ! Par exemple je vais commencer à payer des heures supplémentaires dès la 33e heure, mais elle ne sera défiscalisée que si l'on dépasse 35 heures.

Même les représentants du personnel se sont étonnés de votre démarche…

Laurent de la Clergerie : En effet, ils m’ont dit, « LDLC a fait déjà tellement de choses ». Mais moi, je veux faire mieux que bien ! Je cherche le bien-être de mes salariés mais sans perdre de vue la création de valeur. Par exemple, est-ce que l’on est aussi efficace quand on travaille 5 jours de suite que quand on travaille 4 jours ? Pas sûr. S’ils ont un jour pour faire tout ce qu’on fait traditionnellement le week-end ou le soir après le boulot – les courses, le coiffeur, les rendez-vous qu’on n’arrive jamais à caser, des activités, voire juste une pause – et bien ils profiteront du week-end à 100 % et revenir en pleine forme pour la semaine. Avec ce passage à 32 heures, je donne de la confiance, de l’autonomie dans le travail et, parce que j’aurai donné tout ça, je sais que la boîte va gagner en énergie.

Comment savoir si ce changement va fonctionner ?

Laurent de la Clergerie : En mars, juste avant le confinement, j’ai rencontré les salariés par groupe de 15. Ils m'ont posé toutes les questions qu’ils ont voulu pendant une heure, ça m’a pris 5 jours ! Mais grâce à ça, je connais les hommes et les femmes, leurs attentes, leurs doutes, j’apprends plein de choses sur la boîte, je la vois vivre. Et les salariés me voient tel que je suis, il n’y a pas de secret car pas de question taboue. J’ai instauré cela il y a 10 ou 15 ans, quand LDLC avait traversé un trou d’air, j’avais mis en place des moments de rencontres avec les équipes car je voulais leur expliquer pourquoi il y avait gel des salaires, pas d’embauche. Même chose il y a deux ans et demi. Et à chaque fois, on a passé une excellente année sociale sur ces deux périodes tendues, très peu d’absentéisme, j’ai vu les équipes se serrer les coudes, être « à fond » car comprenant qu’il fallait mettre de l’énergie.

Cette semaine de quatre jours, est-ce une étape vers l’entreprise libérée ?

Laurent de la Clergerie : Cela fait deux ans que je cherche à aller vers l’entreprise libérée, tous les salariés savent que l’on avance vers ce modèle, prudemment. Je ne veux pas que les équipes redoutent cette échéance. Je sais que cela peut générer des peurs, au point que certains cadres ont quitté l’entreprise, pressentant que ce modèle ne leur conviendrait pas. À chaque fois qu’un manager part d’ailleurs, il est remplacé par un "leader".

Quelle différence entre un "leader" et un manager ?

Laurent de la Clergerie : Le leader ne donne pas d’ordre, il compte pour une voix, parmi les autres, sa prérogative est de rapporter et rendre compte de ce qu’il se passe dans l’équipe. Ce rôle est attribué collectivement par l’équipe, qui désigne une personne en qui elle a confiance. Il a le « contrôle » de l’équipe car les gens ont confiance en lui. J’admets ici mon incohérence : je suis sensé moi-même ne plus rien décider, or, je viens de décider de passer aux 32 heures !

Comment réagit le marché boursier à cette annonce ?

Laurent de la Clergerie : Il ne peut que bien réagir ! Notre action est plutôt sous-évaluée. Rendez-vous le 23 juillet pour l’annonce des résultats de l’année.

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