Auvergne Rhône-Alpes
La filière bois d’Auvergne-Rhône-Alpes freinée dans sa relance par les tensions de recrutement
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La filière bois d’Auvergne-Rhône-Alpes freinée dans sa relance par les tensions de recrutement

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La filière bois est en forte progression depuis deux ans. Et ce sur l’ensemble des métiers de la filière : de la gestion forestière à la construction bois, en passant par les scieries et la menuiserie. Mais en région Auvergne-Rhône-Alpes, les problématiques de recrutement vont jusqu’à freiner l’activité ou le développement de certaines entreprises.

Les activités de gestion et d'exploitation forestière connaissent un fort développement depuis deux ans en Auvergne Rhône-Alpes. Ce sont aussi les métiers les plus en tension de la filière bois — Photo : Unisylva

"Pour vos commandes de bois, n’hésitez à me laisser vos coordonnées et je vous rappellerai. Par contre, je ne prendrai plus de nouveaux clients pour cette année." Sur le répondeur de Franck Gallay, ce message accueille, depuis le mois de mai 2022, les clients en quête de bois de chauffage. Jamais l’exploitant forestier, installé depuis 1992, à Novalais, en Savoie, n’avait enregistré une telle demande. "En moyenne, je livre entre 1 000 et 1 200 stères de bois bûche par an. Cette année, si j’avais eu le stock de bois sec nécessaire, j’aurais pu vendre 3 000 stères", affirme-t-il.

L’essor de la filière bois

Face à l’envolée des prix de l’électricité, du gaz et du fioul, les consommateurs se tournent massivement vers le bois (bûches ou granulés) pour se chauffer. À l’échelle nationale, la demande en bois de chauffage est passée de 1,8 million de tonnes en 2020-2021, à deux millions de tonnes cet hiver. L’an prochain, la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) l’évalue à 2,4 millions de tonnes.

Une aubaine potentielle pour les près de 600 entreprises de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui exploitent le bois en forêt (selon les données de la fédération professionnelle Fibois Aura). Plus globalement, les 21 000 entreprises et 60 000 emplois de la filière dans la région connaissent depuis quelques années un dynamisme record. Et ce sur l’ensemble des métiers de la filière : de la gestion forestière à la construction bois, en passant par les scieries et la menuiserie.

La gestion de la forêt accélère

En Auvergne, Benoît Rachez, directeur adjoint de la coopérative Unisylva, qui gère et exploite les forêts de quelque 13 000 particuliers adhérents, fait d’ailleurs le même constat que Franck Gallay. Activité en forte hausse. En deux ans, le chiffre d’affaires de la structure de 175 salariés est passé de 51 millions d’euros à 81 millions d’euros. Soit une hausse de 59 %. Pour accompagner cette croissance, la coopérative a recruté 96 personnes sur cette même période, dont 61 créations de poste. Et quinze recrutements sont en cours.

Les raisons de cette accélération ? L’intérêt croissant pour le bois, toujours. En tant que source d’énergie et comme matériau de construction. Par ailleurs, "jusqu’à présent, le bois a été largement sous-exploité en France, et plus encore dans la région", explique le dirigeant.

Bénédicte Muller, chargée de mission au sein de Fibois, abonde : "La région connaît aujourd’hui un besoin de replantation inédit depuis 50 ans." D’importantes plantations ont été réalisées après-guerre et ces arbres arrivent aujourd’hui à maturité. "Il faut les couper, puis en replanter."

La construction recule mais anticipe l’avenir

De plus, le changement climatique, qui occasionne des dépérissements et favorise le développement d’épidémies en forêt, rend le renforcement des interventions nécessaire. "Il est aussi important de procéder à un renouvellement de la forêt pour l’aider à s’adapter au réchauffement climatique", souligne Benoît Rachez. Le gouvernement a d’ailleurs mis en place un certain nombre d’aides au reboisement et à l’adaptation au changement climatique, ce qui accroît encore le dynamisme du secteur. "Ces deux dernières années, nous avons ainsi doublé notre activité de reboisement et accru de 20 à 25 % notre activité de récolte de bois", indique le directeur adjoint d’Unisylva.

Sur le marché de la construction, malgré un repli de l’activité actuellement - dû à l’inflation, à la remontée des taux d’intérêt et au durcissement des conditions d’obtention des crédits -, les perspectives sur le long terme sont encourageantes. "Nous anticipons une légère progression de notre activité en usine en 2023. Notre activité sur chantier devrait, quant à elle, être stable. Et à plus long terme, le bois a un bel avenir", confirme Michel Veillon, dirigeant de la société Ossabois (170 salariés ; 26 M€ de chiffre d’affaires en 2021), basée à Balbigny dans la Loire, qui construit des bâtiments privés, logements sociaux et locaux accueillant des activités tertiaires. "La demande est forte et on sait que d’ici 2028 à 2030, le bois aura une place importante dans la construction." Ce matériau bas carbone, renouvelable, recyclable, est en effet de plus en plus plébiscité. La RE 2020, réglementation environnementale en vigueur depuis 2021, promeut d’ailleurs le bâti bois dans les constructions neuves.

Les problématiques de recrutement freinent l’activité

Si le bois fait de l’œil aux consommateurs, il peine grandement à se montrer attractif sur le marché du travail. Sur la question du recrutement, les professionnels interrogés sont unanimes. Déjà tendu depuis plusieurs années, le marché de l’emploi est devenu critique depuis deux ans. L’interprofession a recensé 10 000 projets de recrutements dans la filière régionale, au cours des douze prochains mois. Et 83 % de ces recrutements sont jugés difficiles par les employeurs. Au point parfois de freiner le développement ou l’activité des entreprises.

Franck Gallay, l’exploitant forestier savoyard, en est l’illustration. "Je fais une partie des coupes, je m’occupe du débardage, de la transformation, de la livraison. J’ai atteint le volume de bois maximum que je peux gérer seul", explique-t-il. En septembre 2021, le professionnel avait entamé des démarches pour recruter un salarié. "Je n’ai trouvé personne, regrette-t-il. C’est vrai que les conditions de travail, dépendantes des aléas de la météo, ne sont pas très attractives. Par contre, ce n’était pas une question de salaire. Si la personne avait un minimum de compétences, j’étais prêt à verser l’argent qu’il fallait." À défaut de pouvoir recruter, Franck Gallay envisage l’achat d’un séchoir, qui lui permettrait de livrer ses clients plus rapidement et d’avoir une gestion plus aisée de ses stocks.

Investir dans des machines faute de personnel

Débloquer les fonds nécessaires à l’achat d’une machine, faute de trouver les compétences recherchées, c’est l’alternative à laquelle Damien Bert, qui a repris l’entreprise centenaire Escaliers Grandjean (7 salariés, 550 000 € de chiffre d'affaires) à Villemoirieu (Isère) en 1998, a dû se résoudre. "Cela fait environ cinq ans qu’on cherche à recruter, raconte le gérant de la société spécialisée dans la fabrication et la pose d’escaliers en bois. Et trois ans qu’on cherche assidûment." Chasseur de têtes, agences d’intérim… le menuisier a pourtant épuisé de nombreuses pistes.

En 2021, à la suite de départs, seules trois personnes ont travaillé à l’atelier (au lieu de cinq). Damien Bert a donc décidé d’investir un peu plus de 200 000 euros dans une machine à commande numérique. "Cela va nous permettre d’embaucher du personnel moins qualifié. L’objectif n’est pas de remplacer un emploi, mais de remplacer des compétences."

"La filière est principalement composée de PME, de très petites entreprises, voire d’entreprises individuelles, explique Bénédicte Muller, de la fédération Fibois Aura. Il est rare qu’elles aient un service dédié aux ressources humaines. Ce sont les dirigeants qui gèrent les embauches et ils n’ont souvent ni le temps, ni les compétences réelles pour organiser un recrutement efficace."

Ainsi, le recrutement passe en grande partie par le réseau local des professionnels. La publication d’annonces sur Le Bon Coin est également une pratique répandue. "L’intérim est aussi utilisé, mais il est difficile de trouver des personnes ayant les bonnes compétences." Quant au recours à Pôle emploi, il s’avère peu pertinent, appuie la fédération professionnelle.

Des formations en manque de candidats ?

C’est en réalité dès la formation que la problématique d’attractivité se pose. Certains centres rencontrent des difficultés pour trouver des candidats. Lors des rencontres régionales de l’emploi-formation filière bois-forêt, organisées par Fibois Aura en novembre 2022, les professionnels exprimaient leur désarroi face au manque d’attractivité des lycées professionnels et des centres de formation. "Ils sont encore trop souvent considérés comme des débouchés de seconde zone", déplore Damien Bert. Pourtant, "dans les centres qui forment aux métiers de scierie, par exemple, chaque jeune qui sort diplômé reçoit dix offres d’emploi", souligne Bénédicte Muller.

Alexandre Fabioux, directeur des ressources humaines de la coopérative Unisylva, regrette quant à lui la méconnaissance de la filière. "Les jeunes connaissent peu la forêt et ont parfois une image négative des métiers qui lui sont associés." Ces dernières années, le recruteur a vu le nombre de candidats par poste chuter. "Aujourd’hui, nous sommes obligés de nous impliquer bien plus dans la formation", explique-t-il. Relations resserrées avec les écoles, participation aux jurys de rapport de stage, interventions directes dans les formations, présence sur les salons… il multiplie les initiatives pour attirer les futurs candidats et faire connaître cette filière d’avenir.

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