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Hugues Morin (Clasquin) : "Le coût du fret entre l'Asie et l'Europe a quintuplé"
Interview Lyon # Transport # Conjoncture

Hugues Morin PDG de Clasquin "Le coût du fret entre l'Asie et l'Europe a quintuplé"

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L’ETI lyonnaise Clasquin, spécialiste du commerce international et du flux de marchandises, a réalisé un chiffre d'affaires en hausse de 18 % en 2020 malgré la crise du Covid. Hugues Morin, son PDG, expose les défis actuels du transport international de marchandises et les perspectives à venir.

Hugues Morin, PDG de Clasquin, vise une croissance de 25 % de son ETI en 2021 — Photo : Clasquin

Selon les résultats annuels publiés en mars 2021, le nombre d’opérations du groupe Clasquin, présent en Asie, Europe et Amérique du Nord, a diminué de 8 % en volume mais le chiffre d’affaires augmente (de 331 millions d'euros en 2019 à 392 millions en 2020) et la marge commerciale brute se maintient. Comment cela s’explique-t-il ?

En 2020, nous avons réalisé des opérations exceptionnelles pour venir en support de grands donneurs d’ordre en complément de nos transports courants. Nous avons réussi à affréter en urgence l’Antonov AN-255 pour assurer la mise en place d’équipements de protection individuelle pour un grand distributeur français. Pour un spécialiste dans les puces électroniques pour le secteur automobile, nous avons déployé des services routiers entre la Chine et l’Europe. Ce type d’opérations est venu booster notre marge.

Depuis des semaines, les frais de transport à l’international explosent. De 1 000 dollars avant la crise du Covid, le coût de transport d’un conteneur venant de Chine serait passé à 10 000 dollars. Vous confirmez ?

Effectivement, c’est bien l’évolution du prix constaté par conteneur équivalent vingt pieds (EVP) et, sur certains axes géographiques, la hausse va même au-delà. Le nombre d’intermédiaires est important. Nous pilotons jusqu’à 10-12 fournisseurs pour assurer l’acheminement du produit de notre client depuis l’autre bout du monde jusqu’en Europe, ou inversement. Dont des compagnies maritimes dont les flux sont désorganisés depuis des mois suite à l’addition des perturbations conjoncturelles que nous connaissons. Ces dernières années, le prix moyen du conteneur oscillait entre 2 000 et 2 500 euros entre l’Asie et l’Europe. Aujourd’hui, en fonction de la nature des contrats, le tarif sur cet axe est dans une fourchette comprise entre 8 000 et 20 000 dollars pour un 40 pieds. Sur une prestation complète, on est probablement sur une multiplication par quatre ou cinq.

Les estimations tablent sur une hausse des échanges internationaux de l'ordre de 8 % en volume en 2021, et notamment une hausse de 5 % pour le fret maritime — Photo : Clasquin

La pandémie de Covid-19 en est la cause numéro un ?

Oui ! Dernier exemple en date : dans le sud de la Chine, le deuxième port du pays, Yantian, a été fermé en juin à cause d’une contamination au Covid. Les répercussions se feront sentir au moins jusqu’à la fin de l’année et seront plus fortes d’ailleurs que le blocage du canal de Suez au printemps. En un mois, plus de 800 000 conteneurs se sont accumulés à l’entrée du port. De Los Angeles au Havre en passant par Amsterdam, toutes les grandes places portuaires mondiales vont subir cette désorganisation pendant encore de longs mois.

Cette crise sanitaire en entraîne-t-elle d’autres ?

Elle engendre, ou fait émerger, des fragilités. Nous assistons notamment à une pénurie d’équipements, c’est-à-dire des conteneurs vides qui ne sont pas là où ils devraient être à cause des dérèglements de la supply chain. Autre problème : une réduction massive des capacités des navires. Fabriquer des nouveaux porte-conteneurs représente des investissements de centaines de millions d’euros et cela prend du temps. On connaîtra une période difficile pour les chargeurs jusqu’à 2023 au minimum.

Enfin, nous vivons une baisse significative de la qualité. Les chargeurs rencontrent des difficultés à maîtriser leur stock flottant et à être confiant sur les dates de départ et d’arrivée de leurs marchandises : telle usine n’est plus en maîtrise de l’arrivée de ses pièces détachées ou tel distributeur sur l’arrivée des références demandées par les clients.

La désorganisation des chaînes logistiques provoque-t-elle une réorganisation des flux mondiaux ?

La réorganisation s’opère en permanence depuis 25 ans. Mais 2020 a été une année charnière : elle a contribué à rapatrier des productions stratégiques, provoquant un besoin énorme de s’alimenter là où les biens sont produits et accélérant les chaînes logistiques. On observe un phénomène de régionalisation depuis dix ans, entre les Américains et le Mexique, les Allemands et l’Europe de l’Est, les Français et le Maghreb. La crise du Covid va révéler que cette régionalisation est utile pour les chargeurs en complément de leur chaîne d’approvisionnement mondiale.

Cette régionalisation peut-elle revaloriser le rail ?

Le rail est un formidable outil. Les Routes de la Soie incarnent à ce titre le plus grand investissement mondial en infrastructure de ces dix dernières années. Il y a quelques jours, on a fait partir de Chine un train complet de marchandises pour un client français. Ces marchandises devaient initialement partir par voie maritime mais le retard s’accumulant, on a affrété un train de 50 wagons, environ 400 mètres de long. Cela dit, le rail n’a pas les capacités suffisantes pour permettre un report modal à 100 %.

L’Association du transport aérien international prévoit une remise à niveau des capacités d’emport en 2023-2024 — Photo : Clasquin

Le fret aérien va-t-il revenir à la normale après la réduction drastique des capacités d’emport ?

Depuis 2020, l’essentiel du fret aérien s’opère sur les vols passagers, ce qui a entraîné une hausse des coûts. Au fur et à mesure que les vols passagers reviendront à la normale, la capacité d’emport reviendra à son niveau d’avant crise, avec des prix de plus en plus attractifs pour les chargeurs. L’Association du transport aérien international (IATA) prévoit une remise à niveau des capacités d’emport en 2023-2024.

Résultats de ce grand chamboulement, les entreprises peuvent avoir tendance à faire du surstock. Ce réflexe est-il la solution selon vous ?

J’inciterais plutôt les entreprises importatrices à reconfigurer leurs plans de transport, en transformant des commandes complètes en commandes partielles de manière à fluidifier la chaîne logistique. On fait ainsi partir des commandes plus partielles mais en combinant plus de fournisseurs. Le stock sera peut-être plus tendu mais le client disposera d’une plus grande variété de produits. Dans cette période, je recommande aussi de faire confiance aux managers de la supply chain, des gens créatifs et inventifs.

Il faut l’être dans cette période ?

Oui ! Par exemple, on crée désormais des solutions de stocks "tampons". Un grand nombre de fournisseurs chinois refusent de mettre à disposition les marchandises, voire de prendre des commandes, si vous n’avez pas en face un conteneur disponible avec une preuve de réservation. L’accumulation de marchandises qui ne partent pas dérègle leurs flux à eux aussi. Nous développons des solutions pour contrecarrer ces agissements en sortant les marchandises des quais des exportateurs chinois avec des stocks tampons intermédiaires. On regroupe les marchandises pour plusieurs chargeurs et on recombine.

La digitalisation et la géolocalisation sont-elles utiles pour suivre ses marchandises dans ce "Tetris" mondial ?

Nous observons des tensions entre les services financiers, marketing, ventes, logistiques chez nos clients, et pour cause : les commandes sont passées, les conteneurs n’arrivent pas, les ventes ne peuvent pas être facturées. La digitalisation permet d’améliorer la fiabilité de la donnée, le chargeur (client, NDLR) va pouvoir piloter sa supply chain et prendre des bonnes décisions au bon moment car il aura de la visibilité. Nous avons lancé notre plateforme collaborative numérique en novembre 2020 : aujourd’hui, 25 % de nos 16 000 clients sont connectés et interagissent au quotidien avec nous.

Quelles sont les perspectives du groupe Clasquin en 2021 ?

Les estimations tablent sur une hausse des échanges internationaux de l’ordre de 8 % en volume, avec +5 % pour le fret maritime et +7 % pour le fret aérien. En 2021, nous tablons sur une activité entre 2,5 et 3 fois plus forte que celle du marché, soit 25 % de croissance. Ce à quoi il faut ajouter 3 à 5 % de croissance externe. Nous étudions une vingtaine de dossiers par an depuis maintenant une bonne dizaine d’années, cherchant avant tout des équipes, des managers qui viendront partager un projet avec nous. Récemment, nous sommes rentrés au capital de la société Transports Petit International dans le Puy-de-Dôme, une TPE (8 M€ de chiffres d’affaires en 2019) spécialisée dans l’affrètement de produits sensibles à forte valeur ajoutée nécessitant des moyens de sécurité élaborés.

Clasquin enregistre 20 % de croissance organique ces vingt dernières années tout en déployant une stratégie de redistribution des bénéfices. Cette politique participe-t-elle au développement de l’entreprise ?

Assurément, cette posture génère une culture de la performance économique dans nos différentes business units avec des mécanismes de valorisation de la performance et de rétribution du profit. En 2020, 39 % des profits ont été redistribués à nos salariés à travers le monde en fonction de la performance générée dans leur agence d’appartenance. Ce modèle nous permet de demeurer autonomes dans notre développement et de cultiver notre esprit de conquête et de performance collective.

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