Export : quand les codes culturels se mêlent aux affaires
Enquête # International

Export : quand les codes culturels se mêlent aux affaires

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Passées les frontières hexagonales, pas facile d’appréhender sans « couac » les relations d’affaires. Respect de la hiérarchie et des délais, sens du collectif, rapidité dans les prises de décisions... Pour un chef d'entreprise, partir préparé peut parfois être l'assurance d'une certaine sérénité. Rapports d’étonnement de dirigeants régionaux globe-trotters.

Près de 17 000 entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes exportent chaque année quelque 60 milliards d’euros de biens et services — Photo : Tetedelart-Flickr

L’international ? Un horizon payant pour près de 17 000 entreprises d'Auvergne Rhône-Alpes qui, chaque année, exportent aux quatre coins du globe quelque 60 milliards d’euros de biens et services. En tête des destinations visées : l’Allemagne avec près de 9,5 milliards d’euros en 2018, suivi de l’Italie (6,2 milliards), de l’Espagne (5,1 milliards), du Royaume-Uni (4 milliards) et des États-Unis (3,7 milliards). Plus loin dans le classement, des pays aux codes des affaires a priori plus éloignés : la Chine (2,1 milliards d’euros de biens et services), le Japon (786 millions), la Russie (686 millions) ou encore l’Arabie Saoudite (226 millions).

Mais en réalité, « il n’y a pas de destination facile », prévient Morgan Marchand, consultant en management interculturel. Chaque pays a ses propres codes qu’il faut savoir appréhender. De cela dépendent souvent la réussite ou l’échec d’une implantation, d’une stratégie export. Et à ce jeu des différences culturelles, chacun a son parcours, sa propre méthode.

Pour le groupe isérois Serge Ferrari (CA 2018 : 184 M€, 830 salariés), spécialisé dans la production de matériaux composites souples, cela passe par une « immersion » dans le pays ciblé. « Nous avons pris la décision, depuis quelques années, de ne plus envoyer des expatriés français à l’étranger, explique le directeur général Philippe Brun. Nous sommes Chinois chez les Chinois, Indiens chez les Indiens… ». Pour d’autres entreprises régionales, l’adaptation aux codes culturels locaux se traitent, au contraire, depuis leur siège, « au fil de l’eau » et selon les opportunités. Retours d'expérience.

F2A en Arabie Saoudite - Négociations sur le paiement

En ce début 2019, cap sur l'Arabie Saoudite pour l’industriel F2A (CA 2018 : 24 M€, 180 personnes), spécialisé dans la conception et la fabrication de composants aérauliques et acoustiques à Béligneux (Ain). Une première dans ce coin du globe pour F2A, approché par un installateur libanais installé à Ryad.

Dans le cadre de la construction du métro de la capitale saoudienne, la société d'aéraulique Safid a besoin de compléter sa gamme de désenfumage. L’enjeu est de taille : le contrat pèserait potentiellement 10 % du CA de l'industriel de l'Ain, soit quelque 3 M€. Un gros défi pour F2A, qui a plutôt l’habitude de partir à l’étranger dans les valises d’une entreprise française. Cette fois, c'est à partir d’une feuille blanche, et sans intermédiaire.

Premier "choc" pour Jean-Philippe Margrita, le DG de F2A : des journées de négociations à rallonge, qui débutent en euro et passent au dollar. Le contrat de 120 pages, intégralement en anglais, est secondaire. « Le point le plus saillant fut la négociation, non pas sur les prix, mais sur les délais de paiement. Le client voulait régler après réception et dédouanement. Pour s’en sortir, après des heures de discussions, j’ai accepté un virement Swift (sécurisé par la banque, NDLR) de 80 % du montant en avance, et 20 % à réception du matériel. Je n’avais pas le choix. Mais pour les prochains lots, tout devrait bien se passer », se rassure le dirigeant.

Medelpharm au Japon - Anticipation permanente

Au Japon, les codes culturels qui régissent les rapports professionnels sont très protocolaires. « Être à l’heure, c’est arriver en avance. Poser une question lors d’une réunion, sans l’avoir antérieurement soumise à son interlocuteur, est très mal vécu, car sa réponse est le fruit d’une concertation », témoigne Régis Cazes, ingénieur et directeur commercial chez Medelpharm, basé à Beynost, dans l'Ain (CA 2018 : 6 M€, 22 salariés). De la même manière, un salarié japonais aime avant tout anticiper pour ne pas être pris en défaut.

La PME française a pour habitude de vendre des machines répondant à des normes et des performances (vitesse, niveau de compression, etc.) précises et d’être « cru » sur parole. Pas au Japon ! Après trois visites, le technicien d’Astellas Pharma, premier laboratoire du pays, a vérifié toutes les données de la machine. Trois jours de tests sur place, au lieu d’une demi-journée en général.

MND en Chine - Des affaires très politiques

En Chine, le code des affaires rime avec politique. Être en lien avec un représentant du Parti communiste chinois est assurément un accélérateur de business. « Ce n’est pas un cliché », confirme Xavier Gallot-Lavallée, PDG du groupe savoyard MND, spécialisé dans la fabrication d’équipements de montagne (375 salariés, CA 2018 : 76 M€).

C’est en effet par l’intermédiaire d’un haut cadre du Parti, rencontré sur un salon en France, qu’il a pu monter une joint-venture en 2017 avec le groupe China Coal. « Ce partenaire nous a été désigné d’office. » C’était à prendre ou à laisser. Bonne pioche toutefois : deux ans plus tard, cette coentreprise franco-chinoise génère 38 % du CA du groupe MND.

Genoway aux États-Unis - Rencontres pédagogiques

Pour Alexandre Fraichard, PDG de la biotech lyonnaise Genoway (120 salariés, CA 2018 : 10 M€, dont 95 % à l’export), le fossé culturel se niche dans les moindres détails. « Tout est important dans un deal à l’étranger. On sous-estime toujours le degré de compréhension sur place de son propre business et de sa stratégie. » Même aux États-Unis, où Genoway vient de décrocher un droit de licence sur une technologie du groupe Merck, rien n’est gagné d’avance. « Pendant la période de négociation pour ce contrat, j’ai dû faire le voyage à plusieurs reprises spécialement pour clarifier les choses et bien préciser le cadre juridique. Éreintant mais indispensable », confie le dirigeant lyonnais.

Codeo en Allemagne - Ristourne sur la rigueur

Pour Codeo (CA 2018 : 17,8 M€ dont 42 % à l’international,105 salariés), export rime avec expertise locale. Le dirigeant de l’entreprise lyonnaise, qui détient des filiales au Royaume-Uni, en Allemagne et Pologne, Christophe Guillarme, fait appel en effet à des salariés « du cru ». « Les différences sont très marquées avec l’Allemagne, notamment pour les délais de paiement. Un Allemand règle sa facture dans les temps, quand en France on a tendance à dépasser allègrement…. Mais parce qu’il s’estime ponctuel, il s’octroie aussi une "ristourne", de 1,5 % en moyenne. C’est une pratique courante et à laquelle la comptabilité allemande est rompue ! »

CCLD en Tunisie - L'amitié avant la performance

CCLD, cabinet lyonnais de recrutement sur les fonctions managers et commerciaux (CA 2018 : 9 M€, 80 salariés), s’est récemment implanté en Tunisie. Mandaté par un groupe de distribution, le cabinet évalue les directeurs de magasins, à la demande des directeurs régionaux, afin de mesurer leurs compétences et les réajuster par de la formation.

« Nous avons sous-estimé le fait que l’amitié, l’historique des relations et les rapports de force entre les individus priment sur les performances des entreprises », relate Lionel Deshors, DG du cabinet. Les tests ont ainsi "fuité" des directeurs régionaux vers leurs n-1. L’un a même falsifié les résultats pour préserver les moins performants. « On va s’organiser pour éviter ce genre de mésaventures », promet Lionel Deshors.

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