En Auvergne Rhône-Alpes, la filière de l'hydrogène décarboné monte en pression
Enquête # Production et distribution d'énergie # Innovation

En Auvergne Rhône-Alpes, la filière de l'hydrogène décarboné monte en pression

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La Région Auvergne Rhône-Alpes investit 8 millions d’euros dans la société Hympulsion pour initier et exploiter le projet Zero Emission Valley visant à déployer à grande échelle une flotte de véhicules à hydrogène et des stations de recharge sur tout le territoire. Avec 80 % des acteurs français de l’hydrogène présents en Auvergne Rhône-Alpes, des start-up aux grands groupes, les initiatives se multiplient pour faire émerger une filière d’excellence.

80 % des acteurs français de la filière hydrogène sont présents en Auvergne-Rhône-Alpes — Photo : Tenerrdis

À Malataverne, dans la Drôme, Ergosup, une start-up de 20 salariés, vient de boucler une levée de fonds de 11 M€. La jeune société va pouvoir industrialiser la fabrication de sa technologie de production d’hydrogène dit "vert", par électrolyse de l’eau à très haute pression. « Si nous voulons une mobilité propre, il nous faut une énergie décarbonée. L’hydrogène vert est l’avenir », affirme Patrick Paillère, son président et fondateur, qui peut désormais passer à la vitesse supérieure. Une illustration de l’ambition de la filière régionale à vouloir imposer l’hydrogène "vert" dans le mix énergétique de demain, pour la mobilité lourde et l’industrie.

Sur le créneau de la transition énergétique, l’hydrogène décarboné – produit par électrolyse de l’eau avec une électricité d’origine renouvelable plutôt que par vaporeformage du méthane – doit encore trouver sa place. « 95 % de l’hydrogène produit l’est à partir d’énergies fossiles. L’hydrogène vert représente une partie infime de la production », précise le patron d'Ergosup. Reste que les choses pourraient changer. Le plan Hulot pour l’hydrogène repris dans le projet de la programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2028 fixe à 10 % l’objectif de production d’hydrogène vert à atteindre pour l’industrie d’ici 2023 et entre 20 et 40 % en 2028. Un cap que ne veulent pas laisser passer les acteurs régionaux. Une étude McKinsey estime à 8,5 Md € le chiffre d’affaires de la filière en 2030 en France, pour plus de 40 000 emplois.

Consolider l’écosystème

L’entrée au capital de la région Auvergne Rhône-Alpes pour 8 M€ dans la société Hympulsion aux côtés de Michelin et d’Engie, en février, témoigne également de l’élan régional pour la filière. Cette initiative publique et privée s’inscrit dans le cadre du programme Zero Emission Valley (ZEV) débuté en 2017. Avec 10,1 M€ de fonds européens et 15 M€ investis par la Région, ZEV mobilisera un budget de 70 M€ sur dix ans. De quoi amorcer la pompe d’une filière régionale en pleine émergence regroupant, selon l’Association française de l’hydrogène (Afhypac) et le pôle de compétitivité régional de la transition énergétique Tenerrdis, 80 % des acteurs français de l’hydrogène.

Alors que vient de se terminer le projet HyWay - une expérimentation mobilisant de nombreux acteurs régionaux autour de Tenerrdis et visant à installer une flotte de 40 véhicules à hydrogène et deux stations de recharges -, ZEV vient concrétiser la deuxième phase du plan. Objectif : déployer 1 000 véhicules à pile à combustible zéro émission, 20 stations de recharge et 15 électrolyseurs en Auvergne Rhône-Alpes. Un projet d’envergure pour la filière. « Tout un écosystème régional se structure. On voit se dessiner une volonté partagée autour de l’hydrogène vert », reconnaît Bertrand Joubert, directeur général adjoint de Symbio (5 M€ de CA en 2017 / 80 salariés), une PME grenobloise qui conçoit des kits de piles à hydrogène pour les véhicules électriques.

Changer d’échelle

« On franchit un pas extrêmement critique où on est passé d’un certain nombre de démonstrateurs de production d’hydrogène décarboné à un stade beaucoup plus industriel avec de vrais volumes en termes d’usage », analyse Elisabeth Logeais, déléguée générale de Tenerrdis. Acteur clé, le cluster agrège les acteurs de la filière aux côtés du CEA de Grenoble et d’entreprises comme les PME Symbio ou McPhy Energy, les start-up (Atawey) et les grands groupes (Michelin, Engie, Plastic Omnium, Air Liquide,…).

Une dynamique bien présente même si tout n’est pas encore gagné. Convaincre les acteurs de la mobilité des atouts et des bénéfices de l’hydrogène reste un vaste chantier. « L’hydrogène est une énergie d’avenir mais doit être évalué à l’aune du système de transport, c’est-à-dire sa pertinence de la production jusqu’à son utilisation finale », estime Rémi Berger, directeur innovation au Cara, le cluster mobilité de la région.

Devenir compétitif

Fort d’intérêts parfois divergents avec les acteurs de la mobilité, la filière doit encore prouver sa compétitivité, malgré les subventions. « Avec ZEV, le prix à la pompe devrait tendre vers les 10 € le kg, soit l’équivalent de 100 kilomètres d’autonomie. À ce prix, on s’approche de la parité avec le diesel », avance Bertrand Joubert. Mais l’enjeu se situe bien plus du côté du coût des infrastructures de production et d’exploitation. Faut-il investir d’abord dans la production ou dans les flottes de véhicule ? « L’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène décarboné doit monter en volume pour faire baisser les coûts », assume Rémi Berger. Une tâche déjà lancée selon Bertrand Joubert qui prend l’exemple de son kit de pile à hydrogène : « Tous les deux à trois ans on gagne 30 % du prix sur nos systèmes. Les réservoirs ont vu leurs coûts divisés par dix en dix ans ».

Du côté des exploitants, on reste attentif. « Nous avons une plateforme technique électromobilité candidate pour réaliser toutes les variantes de bus électriques à batterie ou à hydrogène », fait savoir Jean-Marc Boucheret, responsable Mobilité durable Iveco Bus (1 650 salariés à Vénissieux et Annonay), qui met en avant la priorité de ses clients : « Ils sont en attente de solutions basées sur les énergies renouvelables. » De bon augure pour la filière.

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