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EM Lyon : les coulisses de la crise au sein du top management
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EM Lyon : les coulisses de la crise au sein du top management

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L’EM Lyon, une des plus prestigieuses écoles de commerce de France, traverse une crise managériale profonde avec le départ de son directeur général Tawhid Chtioui, et ce dans un contexte qui ne pouvait être plus mal choisi. Comment cette crise s’est-elle jouée ? Les confidences des principaux protagonistes.

Tawhid Chtioui (à gauche) en juillet 2019 lors du lancement du futur campus de l'EMLyon à Gerland. Il est alors, depuis avril, aux commandes d’un établissement de 600 salariés dont 144 professeurs et 7 000 étudiants. — Photo : Pierre Lelièvre

Une erreur de casting qui pourrait être étudiée dans les meilleures écoles de management. Tawhid Chtioui (qui n’a pas donné suite à notre demande d’interview), nommé directeur général d’EM Lyon le 1er avril 2019, a quitté « d’un commun accord » ses fonctions le 6 janvier 2020. Problème : l’école de management et de commerce amorce une phase mouvementée de son histoire avec, pêle mêle, son passage d’un statut d’association à celui de société anonyme, l'intégration d'une nouvelle gouvernance et l'arrivée à son capital d'un fonds privé à hauteur de 110 millions d’euros, sans oublier un projet immobilier XXL d’ici à 2022.

Pourtant, toutes les cases avaient été cochées pour sécuriser le recrutement de celui qui allait remplacer Bernard Belletante, directeur général depuis 2014. Professeur en management de la performance, Tawhid Chtioui avait créé en 2015 de toutes pièces le campus d’EM Lyon à Casablanca (Maroc), passé de 2 à 30 salariés et d’une quinzaine d’étudiants à 1 000 apprenants. « Une grande intelligence, beaucoup de sens politique et une capacité de travail peu commune », salue un entrepreneur qui l’a côtoyé.
Quand (le patron de l’EM Lyon) Bernard Belletante a fait savoir début 2019 qu’il comptait - à la surprise générale - sortir de la direction générale opérationnelle de l’école, le profil du quadragénaire s’est assez vite imposé (pour le remplacer) devant le très sélectif comité des rémunérations et de nomination. Une « succession planning idéal » validée par Bernard Belletante, Emmanuel Imberton alors président de la CCI de Lyon (actionnaire majoritaire de l’école), et l’entrepreneur et député LREM Bruno Bonnell président du conseil de surveillance de l’EM Lyon depuis 2012. « Tawhid Chtioui a eu 3 ans pour comprendre la stratégie de l’école, l’intégrer, l’exécuter, la défendre », justifie aujourd’hui Bruno Bonnell qui s’était montré favorable à sa nomination. Son constat aujourd’hui est sévère. « Nous l’avons retenu car Tawhid était bon sur un petit territoire avec un petit budget et sans contrainte de gouvernance. Mais on ne passe pas facilement de la Ligue 2 à la Ligue 1 », tacle amèrement le député. De son côté, Bernard Belletante admet aujourd’hui : « au moment de lui céder les rênes, je l’avais encouragé à apprendre à travailler avec les autres ».

Travail en solo

Tawhid Chtioui, s’est donc retrouvé aux commandes d’un établissement, qui vient de lever 110 millions d’euros, et réalise un chiffre d’affaires équivalent, dégageant 4 millions de rentabilité avec 600 salariés dont 144 professeurs et 7 000 étudiants à gérer. Cette école consulaire, la première à passer du statut associatif à société anonyme aux côtés d’actionnaires privés, pilote également un investissement immobilier majeur de 110 millions d’euros, (qui vise à accueillir) 3 500 personnes simultanément dans 30 000 m² à Gerland. L’EM Lyon a aussi de nombreux projets de rapprochements et d’hybridation avec d’autres écoles, de droit, de design, de commerce.

Mais, à peine arrivé, Tawhid Chtioui a tenté de marquer son territoire. En démettant de façon inopinée Philippe Monin, directeur académique, de ses fonctions pour se les attribuer. Et en déchargeant Jean-Yves Bouvet-Maréchal, numéro deux de l’école, de la gestion des ressources humaines. Plus surprenant : le nouveau directeur général cesse de répondre aux appels de Bernard Belletante, avec qui il était censé travailler en tandem au projet de construction du futur campus.

« La stratégie portée par Tawhid Chtioui était solitaire. Les actionnaires sont restés sur leur trajectoire et, s’il y a eu changement, c’est celui d’un individu qui a manqué de sens collectif », pondère aujourd’hui Bernard Belletante. Or Tawhid Chtioui semble avoir fait « le vide autour de lui en terme managérial, menant une stratégie de division des équipes avec des comités de direction à plusieurs cercles », analyse un membre de la direction. « Il allait seul à des comités d’audit en prenant de haut nos instances, au point de se le mettre à dos, telles que la Conférence des Grandes Écoles ou le ministère de l’Enseignement supérieur. », nous indique-t-on.

Un soutien sans faille de la CCI

Au-delà des erreurs de postures ou managériales de Tawhid Chtioui, des questions se posent quant à la lucidité des actionnaires de l’école, alors que des signaux négatifs ont été rapidement portés à leur connaissance. Pour certains, la « faute originelle » revient à la CCI, actionnaire historique de l’école. Emmanuel Imberton, encore président de la CCI, a apporté un soutien sans faille au nouveau directeur général. Les autres actionnaires, Qualium et Bpifrance, n’auraient fait que suivre son avis. « J’ai toujours soutenu mes cadres », assume aujourd’hui Emmanuel Imberton, « les départs ne m'ont pas choqué. Dans le business, c’est fréquent à l’arrivée d’un nouveau patron ».
Pour un fin connaisseur de l'école, Emmanuel Imberton a d'abord soutenu un directeur qui a su préserver le corps social : l'arrivée d'un fonds dans cette institution séculaire s'est passée sans heurts, et c'était là l'essentiel pour le patron de la CCI.

Au fil des semaines, les têtes tombent. En septembre 2019, et en quelques jours, Jean-Yves Bouvet Maréchal, Bruno Bonnell et Bernard Belletante jettent l’éponge. Début novembre, les actionnaires de l’EM Lyon s’alarment : un audit demandé par les administrateurs est piloté par Tugrul Atamer, professeur de management stratégique et directeur adjoint depuis 2002, et Philippe Monin, directeur des relations internationales. Colère de Tawhid Chtoui, qui veut la tête de ces deux hommes. Une nouvelle alerte que, cette fois, Qualium n'a pas laissé pas passer, convoquant un conseil de surveillance le 17 décembre actant le départ de Tawhid Chtioui.
En attendant le recrutement d'un nouveau directeur général, c'est d'ailleurs Tugrul Atamer, proche de la retraite, qui assure l'intérim.

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