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Elizabeth Ducottet (Thuasne) : « Les ETI représentent l'avenir de la France »
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Elizabeth Ducottet (Thuasne) : « Les ETI représentent l'avenir de la France »

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Elle est à la tête de Thuasne, une ETI stéphanoise de 2 000 salariés positionnée sur les dispositifs médicaux textiles et réalisant un chiffre d'affaires(CA) de plus de 200 millions d'euros dont 40 % à l'export. En 25 ans, Elizabeth Ducottet a multiplié par sept son CA tout en endossant de nombreuses autres casquettes, notamment celle de coprésidente du Mouvement pour les Entreprises de Taille Intermédiaire (METI). À 70 ans, enthousiaste, impliquée, cette fonceuse n'entend pas passer la main de sitôt mais a néanmoins entamé le processus de transmission à ses enfants. Rencontre.

Elizabeth Ducottet représente la cinquième génération à la tête de l'entreprise stéphanoise Thuasne — Photo : DR

Vous êtes arrivée à la direction de l'entreprise en 1991. Vous représentiez la cinquième génération à la tête de cette entreprise stéphanoise. C'était une évidence pour vous ?

Mon premier métier était psychologue. J'étais passionnée. Je me suis beaucoup occupée d'enfants porteurs de handicaps. Mais dans le même temps, je baignais dans cette entreprise en raison de l'implication de mon père et de mon grand-père. Je savais parfaitement que cette entreprise représentait un lieu très intéressant pour moi. Je suis finalement arrivée chez Thuasne en 1985 et j'ai été propulsée à la présidente, six ans plus tard, lorsque mon père a fait un AVC.




Entre 1991 et 2015, vous avez multiplié le chiffre d'affaires par sept... Quels choix ont permis cette réussite ?


Il n'y a pas de recettes miracles... Il s'agit d'un parcours long et compliqué avec des échecs et des réussites, une véritable transformation que l'entreprise a accompli finalement. Nos piliers ont été l'internationalisation immédiate et la recherche permanente de l'innovation. Je pense que ces deux éléments ont été déterminants dans la réussite finale. Même si on n'a jamais réussi complètement évidemment, il reste toujours des choses à faire pour maintenir ses positions et les renforcer.

Que reste-t-il à faire à Thuasne justement ? Quels sont les objectifs ?
Il faut continuer l'expansion internationale. Nous venons de nous renforcer aux États-Unis mais il reste encore bien des endroits où il faudrait être présent. Il faut également poursuivre le développement de nouveaux produits, notamment dans le domaine de la santé digitale. Nous devons encore grossir pour devenir un acteur majeur sur nos spécialités. J'espère qu'un jour nous aurons enfin en France une vraie vision politique des entreprises comme la nôtre.

Vous estimez qu'une entreprise comme Thuasne est aujourd'hui peu soutenue en France ?
Nous ne sommes pas du tout aidés ! Il existe une seule vraie mesure qui favorise l'innovation, il s'agit du Crédit Impôt Recherche. Pour le reste, nous sommes handicapés dans une compétition internationale qui est rude. La France manque cruellement d'entreprises de taille intermédiaire. Elle doit mettre en place des outils pour créer un environnement favorable à leur émergence ! Comment ? Il faudrait créer un ensemble de mesures facilitant la transmission d'entreprise, un ensemble de mesures concernant le coût du travail qui permettraient de redevenir compétitif sur la scène internationale et enfin un ensemble de mesures simplifiant la vie administrative des entreprises.

Vous défendez les ETI, vous êtes d'ailleurs coprésidente du METI. Pourquoi, selon vous, ces entreprises de taille intermédiaire représentent l'avenir de la France ?
Ce sont ces entreprises qui créent le plus d'emplois. Nous sommes plus souples, plus agiles, plus réactives, que des grands groupes tout en ayant une assise suffisante pour investir. Nos objectifs sont planifiés sur le long terme, avec un souci constant, le maintien du tissu industriel français. J'essaie de porter ce message du mieux que je peux.

Vous parliez à l'instant de nouvelles règles facilitant la transmission de l'entreprise. Où en êtes-vous ?
Le processus est déjà largement entamé chez Thuasne. Mes trois enfants sont dans l'entreprise, avec chacun leur discipline. Pour mes collaborateurs, c'est une garantie de la pérennité de l'entreprise.

Vous envisagez la transmission de la direction à quelle échéance ?
Je ne sais pas ! Aujourd'hui, je n'ai pas de raison de lâcher cette présidence pour laquelle je suis en plein exercice. Entre Thuasne, le METI, le Medef, la Banque de France, R3iLab..., vous assumez de nombreuses missions.

Vous n'êtes pas essoufflée ?
L'essentiel de mon temps se partage entre Thuasne et le METI. Les autres mandats me prennent effectivement un peu de temps mais me donnent surtout l'occasion de m'ouvrir l'esprit, de regarder d'autres parcours économiques, de rencontrer des interlocuteurs du monde économique...

Tout cela est utile à l'entreprise. Certes... mais concrètement, comment gérez-vous votre temps ?
Je travaille beaucoup... 11 heures par jour. Comment tient-on ce rythme pendant des années ? C'est très possible. L'ensemble des dirigeants est sur ce rythme.

Est-ce que vous réussissez à vous évader parfois ?
J'estime que j'ai une très grande chance d'avoir cette vie. Je n'ai pas besoin de m'évader. Au contraire, j'essaie de faire en sorte que les différentes respirations que je peux avoir puissent entrer dans le cadre d'une compréhension globale. J'aime beaucoup la littérature, le théâtre ou la musique. Tout cela est très cohérent avec l'entreprise. Pour moi, cette direction de Thuasne représente un intérêt permanent. Je ne la vis absolument pas comme un fardeau, je n'ai pas besoin d'échappatoire. Quand je sors, je ne tourne pas le dos à Thuasne. Au contraire, tout vient enrichir ma fonction. Je suis un être global.

Vous avez pris, le mois dernier, une nouvelle casquette, la présidence du comité d'orientation stratégique Saint-Étienne French Tech. Pourquoi ?
Je ne l'ai pas prise, on me l'a proposée. J'ai accepté volontiers car je pense que Saint-Étienne démontre d'une grande volonté d'innovation, après un destin un peu difficile. Il y a aujourd'hui un choix extrêmement pertinent qui est celui du design. Je trouve que c'est une belle mission que d'aider cette ville à susciter des vocations chez les jeunes, à évoluer...

Vous êtes très attachée au territoire stéphanois sur lequel Thuasne est implanté historiquement, et pourtant vous n'y êtes plus très souvent physiquement.
Non c'est faux. Je viens très souvent à Saint-Étienne et j'ai des contacts quotidiens avec mes collaborateurs stéphanois. Je vis avec une valise à la main. Mais dans le monde de l'entreprise aujourd'hui, ce n'est pas le lieu où on habite qui compte, c'est la façon dont on exerce sa compétence, notre capacité à faire travailler ensemble des gens de lieux différents. Avec les moyens techniques actuels, l'endroit où nous nous posons le soir a finalement très peu d'importance. Je travaille la moitié de mon temps en visioconférence.

Il y a encore peu de femmes à la tête d'entreprises de la taille de la vôtre. Comment vous positionnez-vous ? Êtes-vous militante sur ce sujet ?
J'ai eu un parcours tout à fait normal. Étonnamment, je n'ai jamais ressenti le moindre blocage par rapport à mon statut. Ceci étant, j'estime qu'aujourd'hui l'équilibre hommes / femmes parmi les dirigeants d'entreprise est très loin de ce qu'il devrait être. Il n'y a aucune raison valable aujourd'hui à ce qu'une femme ne puisse arriver à la direction d'une entreprise. Cela signifie que nous devons tous contribuer à ce que les femmes prennent leur juste place. Dans mon entreprise, je veille à ce que mes collaboratrices aient des carrières tout à fait normales. Je ne fais pas grands discours mais j'essaie de montrer que c'est possible. Tout simplement.

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