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Durance cultive le "made in Provence" du champ à l'usine
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Durance cultive le "made in Provence" du champ à l'usine

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Depuis Grignan, dans la Drôme, la PME Durance conçoit des bougies parfumées et des soins cosmétiques vendus en France et à l'étranger. Discrète, l'entreprise familiale fabrique et distribue des produits "made in Provence" en innovant par petites touches. Sa priorité : avancer sans se mettre en danger.

— Photo : Audrey Henrion / JDE

Il faut sortir de l'autoroute du soleil et filer vers l'est pour rejoindre la jolie commune de Grignan, dans la Drôme provençale. C'est ici, au milieu des champs de lavandes et sur un ancien champ de chênes truffiers, que Durance (CA 2019 : 35 M€ / 120 salariés) conçoit et fabrique depuis 20 ans ses bougies parfumées, parfums d'intérieur et cosmétiques vendus en France et à l'étranger. Grignan héberge toujours le siège social, une boutique et un atelier de fabrication de 4 000 m² de la PME familiale*. « Quand j’ai commencé ici, il y a 20 ans, cet atelier était un poulailler », plaisante Florence, une des plus anciennes opératrices. Je moulais les petits savons à la lavande, on faisait tout à la main », décrit-elle, « fière » de continuer à fabriquer « des beaux produits ».

« Responsabilité collective »

Ici se côtoient presque exclusivement des femmes. Jusqu’à trois générations parfois. Ce jour-là, Fabienne et ses deux filles, Léa et Charlène, travaillent l’une sur le coulage des bougies, l’autre sur la finition quand la troisième est salariée à l’atelier logistique de Durance à Valréas (Vaucluse). « Cette responsabilité collective, c’est ce qui m’a fait le plus peur en prenant la direction de l’entreprise en 2005 », admet Nicolas Ruth, 45 ans. Diplômé de l’Essec, l’homme est passé par le Canada, l’Angleterre, a bourlingué en Inde et aux États-Unis. Avant Durance, au début des années 2000, il a travaillé pour une agence web, créant notamment le site e-commerce de la Société Générale. « Mais le contact avec le produit me manquait ». Il rejoint son père en 2005, sept ans après l’achat de la ferme « Le lavandin de Grignan » qui confectionnait, à partir des champs de lavande alentours, des ballotins en tissus provençaux et autres petits savons. Depuis, Durance, du nom de cette rivière qui serpente en Provence, est resté sur ses deux axes, le métier du parfum d’intérieur (60 % du chiffre d'affaires) et celui de la cosmétique.

Autonomes, les opératrices sont toutes formées à la petite maintenance des machines — Photo : Audrey Henrion

Des producteurs tout proches

Les essences de fleurs viennent de la région, avec des producteurs de plus en plus proches. Ainsi, à quelques kilomètres de l’atelier sont cultivés lavande, roses « Durance », coquelicots, camélias et verveine. Pour les compositions plus élaborées – fleur de safran, madeleine d’antan, lait de figue, romarin mélisse, bois d’amourette ou bergamote basilic –, la PME se tourne vers les parfumeurs et obtenteurs de Grasse. « Notre signature olfactive s’élabore aussi en interne, grâce à nos ingénieurs en formulation du laboratoire et du service marketing ». La mise au point des senteurs est une étape délicate, car le sens olfactif est le seul à ne pas être « normé », contrairement à la vue et à l’ouïe.

"Les loyers sont chers en centre-ville"

La production tournait à plein régime à la veille de l’annonce du deuxième confinement. Pour compléter le réseau de 15 boutiques en propre en France et des corners de distribution aux Galeries Lafayette, au Printemps, dans des magasins de décoration et des chaînes de jardinerie, Durance envisageait de nouvelles ouvertures en 2021. « Mais après les manifestations contre les retraites, celles des gilets jaunes et maintenant le Covid, c’est reporté », consent Nicolas Ruth. D'autant que « les loyers sont chers, surtout dans les centres-villes. » L’avantage du multicanal est balayé par la crise. Reste Internet, et les 200 pharmacies en France qui distribuent les cosmétiques Durance.

Deux opératrices centrent la mèche des bougies — Photo : © Audrey Henrion

Cap sur les cosmétiques

Justement, la nouveauté passe par les gammes cosmétiques qui s’étoffent. Le gel douche et le savon de Marseille liquide sont fabriqués et conditionnés en interne, à Grignan, et les savons à Manosque. Mais le « blanc », c’est-à-dire les crèmes de soin, sont fabriquées par d'autres. En 2021-2022, l’ambition est de commencer à internaliser la production des soins. Les investissements porteront sur les salles blanches, la formulation en interne. Objectif : sortir une vingtaine de nouveaux produits en 2021 et autant en 2022, pour un catalogue qui recense aujourd’hui 500 références. « On veut construire un univers Durance, s’adressant à la femme pour parfumer son intérieur mais aussi pour s’occuper de soi, via la cosmétique, en prenant soin de sourcer nos actifs », décrit Nicolas Ruth qui a presque entièrement renouvelé le comité de direction depuis dix-huit mois. Récemment, une directrice R & D l’a rejoint pour développer la gamme cosmétique.

"Amazon prélève une partie importante du chiffre d'affaires"

La baisse de 25 % de l'activité de Durance en France pendant le premier confinement a été compensée cet été. Mais la seconde vague de l'automne laissera des traces, même si 10 % des ventes passent par la boutique internet. Exit le géant Amazon. Le dirigeant n’y voit pas d’intérêt. « Amazon prélève une partie importante du chiffre d'affaires et il faut investir pour remonter dans les référencements. Certains de nos vendeurs y mettent nos produits, mais cela relève de leur liberté d'action », juge le dirigeant qui n'a pas l'intention de porter un coup supplémentaire aux boutiques Durance.

Au Japon, la senteur "cookie noisette" fait fureur

« Cette crise freine sérieusement notre développement international aussi (35 % du chiffre d'affaires). L’Italie, l’Espagne sont des marchés importants pour nous, de même que l’Allemagne et le Japon », expose le dirigeant. Avec la pandémie, la part de l’international dans les ventes va sans doute redescendre à 30 % car Durance est surtout présent dans des zones qui ont été très touchées. Le Japon, où la marque provençale est distribuée depuis 20 ans, ne compensera pas. « Nous sommes appréciés, car nos produits sont faits mains, avec un packaging soigné. Mais sans aller régulièrement sur place rencontrer les clients, mécaniquement les ventes baissent », regrette ce grand voyageur qui a bien cerné les particularités culturelles du pays du soleil levant. « Nous avons quelques spécifiques pour le Japon. Les intérieurs sont petits, les bougies ne plaisent pas du tout, de même que les senteurs boisées, mais la senteur "cookie noisette" fait fureur ! ».

Les opératrices placent la mèche au centre avant de laisser couler la cire. — Photo : ©Durance

Les hommes, cible intouchable ?

Depuis quelques années, un parfum de Provence flotte aussi dans les pays scandinaves. « Nous avons mis du temps à convaincre les consommatrices », rapporte Nicolas Ruth. Et pour cause, en Scandinavie, les femmes ne parfumaient pas leur intérieur, considérant que cela servait à masquer les mauvaises odeurs, mais la culture a changé et les produits Durance commencent à bien se vendre, dans les boutiques Home Cottage par exemple.

Reste une cible domestique à conquérir : la gent masculine. « 95 % des clients sont des clientes, admet le dirigeant. Si les hommes se sont mis à la cuisine, j’ai bien peur que la cosmétique et les parfums d’intérieur ne soient pas leur truc. Regardez cet homme dans la boutique, il suit, bras ballants et dos voûté, son épouse qui, elle, est 100 % dans son élément ! »

Des produits dédiés aux fêtes de fin d'année — Photo : © Durance

* L’Occitane en Provence, marque identifiée comme concurrent de Durance, est né à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) en 1976. Mais le groupe milliardaire est désormais coté à Hong Kong, avec un siège social en Suisse et un PDG autrichien.

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