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Covid, rupture politique : les nouveaux défis des acteurs lyonnais de l'immobilier tertiaire
Enquête Lyon # Immobilier # Conjoncture

Covid, rupture politique : les nouveaux défis des acteurs lyonnais de l'immobilier tertiaire

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Chahutés par la crise du Covid-19 et confrontés à une nouvelle donne politique, les professionnels de l’immobilier d’entreprise lyonnais refusent l’immobilisme dû au contexte et imaginent le renouveau du bureau. L’objectif ? Proposer une nouvelle offre en phase avec les enjeux économiques et sociaux du moment.

Sur les quelque 6 millions de mètres carrés de bureaux dans l'agglomération lyonnaise, seul 1,7 million date d'après 2000 — Photo : Brice Robert - OnlyLyon

Dans l’immobilier d'entreprise lyonnais, la crise du Covid laisse aussi des traces. Et l’absence de visibilité inquiète. Le promoteur lyonnais Didier Caudard-Breille, patron de DCB International (CA 2020 : 90 M€ ; 40 salariés), y voit même "la remise en cause" d’un modèle économique. "Cette crise nous interroge sur la situation de nos entreprises dans deux à trois ans puisque nous travaillons notre chiffre d’affaires avec deux ans d’avance", estime-t-il.

L’inquiétude est partagée par Norbert Fontanel, président du groupe Fontanel (CA 2020 : 80 M€ ; 350 salariés), spécialisé dans la promotion immobilière et la construction depuis Quincieux (Rhône) : "Les deux années à venir s’annoncent délicates. Nous n’avons pas de consultations pour du tertiaire, ce qui devrait entraîner une baisse du nombre de dossiers réalisés".

Une crise de la demande ?

Un chiffre témoigne de la rupture que vit l'immobilier d'entreprise à Lyon. La demande placée (recherche de biens qui est allée à son terme) a chuté de 51 % en 2020 par rapport à 2019. 217 000 m² de bureaux ont été loués en 2020, très loin derrière les 454 000 m² "record" de 2019. Sur dix ans, l'écart est plus mesuré, avec une moyenne de long terme aux alentours de 277 000 m² moyens placés par an.

Assiste-t-on alors à une crise de la demande ? "Non", répondent les dirigeants de Promoval (30 salariés), un groupe familial de promotion immobilière qui réalise 45 % de son activité sur le tertiaire dans la Métropole de Lyon. "Le secteur lyonnais est plutôt stable. En dehors du marché des tours, les niveaux de loyers sont bien tenus. Nous ne croyons pas à une dégradation franche du marché de bureau dans l’agglomération mais il va y avoir une réflexion à mener sur l’organisation des bureaux à l’avenir", résume Grégory Fouque, le directeur général. Entre 2016 et 2020, les loyers prime (loyers en zones prisées) ont progressé de 19,6 % dans la région lyonnaise, selon la Fnaim Entreprises et l'observatoire de la conjoncture immobilière CecimObs.

"Il n’y a pas de crise de la demande, acquiesce Laurent Vallas, directeur de JLL Lyon & Régions, société de conseil en immobilier. Nous sommes face à de nouveaux paradigmes sociaux, technologiques et économiques qui chamboulent la réflexion, entraînent une transformation du travail, une redéfinition de l’organisation mais aussi de la performance et de la rentabilité des entreprises."

"20 à 25 % de surfaces de bureaux en moins"

Le déclenchement de la crise en mars 2020 a entraîné une expérimentation massive et inédite du télétravail. "Le télétravail ne dépassera jamais les 20 à 30 % du temps de travail total parce que les entreprises sont des lieux de vie, d’échanges et qu’il est indispensable de se retrouver dans un lieu commun", veut croire Didier Caudard-Breille.

Deuxième poste de dépense des entreprises après la masse salariale, l’immobilier reflète aussi l’évolution de la société. "Le bureau sera toujours nécessaire mais sa consommation va être différente de ce que l’on a connu jusqu’ici", explique Justine Petit-Bramon, qui vient de lancer à Lyon la société Wide, une plateforme web de collecte et de diffusion d’offres immobilières. Pour la dirigeante, l’usage des bureaux est à "réinventer".

Car tous s’accordent sur l’idée que les surfaces demandées vont se réduire. "Selon les courtiers avec qui nous échangeons, les entreprises estiment entre 20 à 25 % la réduction de la surface de bureaux nécessaire pour les prochaines années", explique Grégory Fouque, directeur général de Promoval.

Moins de surfaces mais pour quels usages ? "Il est clair qu’il faut transformer les bureaux en lieux de vie où les salariés, lorsqu’ils sont en présentiel, viennent pour échanger avec leurs collègues et travailler dans une organisation qui diffère de celle d’aujourd’hui", étaye Didier Caudard-Breille.

Plus de flexibilité

Car les entreprises semblent aujourd'hui privilégier les bureaux flexibles. Sur les 36 000 m² du nouveau campus Orange Lumière à la Part-Dieu, le "flex office" est partout. Une mode issue de l’univers start-up que saisissent les grands groupes. "La réduction des surfaces passe par un réaménagement de l’espace pour accentuer les zones dévolues au lien social et au travail collaboratif sans nécessité d’un poste par salarié", retient Grégory Fouque.

Dans les bureaux lyonnais de Colliers France, société spécialisée dans le conseil en immobilier d'entreprise et l’aménagement de bureaux, la demande est en forte augmentation depuis un an : "Plus aucun de nos clients n’élude la question du 'flex office'. La crise a accentué ce questionnement", fait savoir Gérald Hetyei, directeur général de l’agence lyonnaise.

Les entreprises pourraient être tentées d’avoir moins de postes de travail qu’elles n’ont de salariés afin d’optimiser l’espace en fonction des absents et de ceux en télétravail. Le campus Orange Lumière compte par exemple 1 763 postes de travail pour près de 3 000 salariés.

Logique de revente à investisseurs

Si la crise a entraîné un arrêt momentané des projets immobiliers en 2020, Didier Caudard-Breille constate "l’attentisme des grandes entreprises, contrairement aux plus petites qui sont plus agiles". Une temporisation qui s’étend jusqu’aux investisseurs, d’après Laurent Vallas, de JLL Lyon & Régions : "Ils sont très attentifs aux projets des entreprises et attendent de voir comment elles se projettent." Sur le premier trimestre 2021, il perçoit malgré tout un regain d’intensité sur des petites et moyennes surfaces (1 000 à 2 000 m²) de la part de PME.

Des évolutions renforcées par la structure même du marché lyonnais. "Sur un marché de l'investissement au plus haut, les PME ont beaucoup de difficultés à se porter acquéreuses de locaux dans des zones très demandées comme à la Part-Dieu", estime Virginie Brunot d’Anterroches, fondatrice d’Elipso Immobilier, une société de chasse en immobilier d’entreprise.

La faute à un marché tendu où les actifs à vendre sont rares et pour lesquels les investisseurs rechignent à diviser un bien en plusieurs lots. "Il y a une grosse pression sur le foncier tertiaire dans Lyon, ce qui entraîne une logique de revente à des investisseurs", précise Régis Fouque, président de Promoval.

Obsolescence de certains actifs

Cette situation est-elle pour autant figée ? Norbert Fontanel "perçoit tout doucement la volonté de certains propriétaires de diviser certains biens, ce qui permettrait à un nouveau marché de s’ouvrir, plus adapté aux PME dont les besoins sont plus modestes. Mais on n’en connaît pas la profondeur", avance-t-il. Sur un marché porté par le locatif (79 % des surfaces de bureaux sont louées), le penchant des investisseurs à être dans des stratégies de long terme contraint la vente à la découpe de biens immobiliers très prisés.

Mais une autre difficulté structurelle s’annonce pour le tertiaire à Lyon. Le marché risque d’être confronté à "l’obsolescence de certains actifs datant des années 1970, 80 et 90", selon Laurent Vallas. Sur les quelque 6 millions de mètres carrés de bureaux dans l’agglomération lyonnaise, seul 1,7 million date d’après 2000. "Les anciens immeubles ne correspondront plus aux attentes et nécessiteront d’être régénérés", soulève-t-il, évoquant une véritable réflexion à avoir pour des immeubles très bien positionnés et disposant d’une forte valeur vénale.

Face à ce défi, Promoval a notamment constitué la foncière Omniprom avec une filiale du Crédit Agricole Centre-Est, pour lancer des projets de réhabilitation d’actifs vieillissants. Le premier projet de ce holding est situé près de Jean Macé (Lyon 7e). De son côté, le promoteur DCB régénère par exemple 11 000 m² de la Tour Crédit Lyonnais dont il est propriétaire pour le désamianter et réhabiliter les bureaux, dont 6 800 m² seront occupés par la Métropole de Lyon.

Un sujet dont s'emparent les acteurs de l’immobilier mais pas encore les pouvoir publics, selon Laurent Vallas. "Il faut mobiliser la filière locale du BTP pour travailler ce sujet. Les collectivités locales doivent être motrices dans la régénération du parc de bureaux afin de repenser la ville dans la ville", estime-t-il.

Une rupture politique assumée

Surtout, l’arrivée d’une nouvelle majorité à la ville et à la Métropole en 2020 a marqué une rupture politique assumée autour du développement tous azimuts de l’immobilier de bureau dans Lyon. Terminée la construction de tours, dont le quartier de la Part-Dieu s’était habitué. "La Part-Dieu ne doit plus être seulement conçue comme un quartier d’affaires mais aussi comme un quartier à vivre, rééquilibré dans ses fonctions", avait promis Grégory Doucet, maire (EELV) de Lyon, lors de l’inauguration du Campus Orange en septembre 2020. À lui seul, le quartier - deuxième pôle tertiaire de France avec près d’1,5 million de mètres carrés – concentre plus de 60 000 salariés pour 2 500 établissements, selon la Société Publique Locale Lyon Part-Dieu en charge de l’aménagement du quartier.

La volonté du nouvel exécutif est claire : mixer davantage les usages au sein du quartier privilégiant la construction de logements, la végétalisation et une nouvelle utilisation de l’espace public. En un an, des projets ont déjà été stoppés, comme celui de la tour M2 de 215 mètres que DCB entendait bâtir à la Part-Dieu. "Le nouvel exécutif n’en veut pas", confirme Didier Caudard-Breille, qui devra se contenter de terminer la tour M1. Laquelle a d’ailleurs été amendée par les écologistes : "Les 36 logements prévus initialement pour une cible CSP + sont devenus des logements sociaux."

Alors que le Grand Lyon vient d’ouvrir la concertation préalable à la modification du plan local d'urbanisme et de l'habitat, l’idée de l’exécutif est claire : "Nous réussirons grâce à plus de mixité fonctionnelle c’est-à-dire la création de logements couplés avec des activités compatibles. Parce que nos opérations comprendront moins de tertiaire", assurait Béatrice Vessiller, vice-présidente de la Métropole dédiée à l'urbanisme et cadre de vie, dans les colonnes du Progrès.

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