Coronavirus : un été meurtrier pour l'économie des festivals d'Auvergne Rhône-Alpes
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Coronavirus : un été meurtrier pour l'économie des festivals d'Auvergne Rhône-Alpes

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Depuis l'intervention télévisée d'Emmanuel Macron le 13 avril , la région Auvergne Rhône-Alpes est confrontée à des annulations en cascade de ses festivals d'été. Des annulations dont l'impact économique risque d'être dramatiques pour tout un écosystème. Enquête.

Les organisateurs du festival de musique Jazz à Vienne ont décidé de reporter la 40e édition à 2021. Pour le territoire, c'est 17 millions d'euros de retombées qui vont s'envoler cet été — Photo : Arthur Viguier

Jazz à Vienne (Isère), Les Nuits de Fourvière (Lyon), Musilac (Aix-les-Bains), Le Printemps de Pérouges (Ain), Paroles & Musiques (Saint-Etienne)… Depuis l’intervention télévisée du président Emmanuel Macron le 13 avril et l'annonce de l’interdiction de rassemblement jusqu’au 15 juillet, la région Auvergne Rhône-Alpes est frappée par des annulations en cascade de ses festivals. Plus de 110 à ce jour. Une série noire qui laisse présager d’un été meurtrier pour une économie culturelle évaluée à 47,5 milliards d’euros en France (chiffres 2017 du ministère de la Culture), soit 2,3 % du PIB.

Dans la région, qui comptait en 2015 quelque 762 festivals (308 en Auvergne et 454 en Rhône-Alpes selon l’étude du Ceser "Un soutien des festivals pour un impact durable"), l’impact économique sera bien entendu terrible. Et comme souvent en période de crise, les plus fragiles risquent de passer à la trappe.

Ce ne sera heureusement pas le cas du Festival Paroles & Musiques (420 000 € de budget dont 55 % financés par les collectivités), qui devait se tenir les 14 et 15 juin à Saint-Etienne. Malgré deux derniers exercices particulièrement difficiles pour cause de billetterie en berne et de coûts de fonctionnement trop importants, l'événement devrait échapper à la faillite. « Cela fait trois semaines que nous discutons avec les collectivités - Ville de Saint-Etienne, Saint-Etienne Métropole, Département et conseil régional. Tous nous ont confirmé le maintien au moins partiel de leurs subventions en cas d’annulation. Ce qui va nous permettre de couvrir nos frais fixes annuels (salariés, frais de communication, de bureau, etc.) qui se montent à 170 000 euros. Cela nous permet d’entrevoir une 30e édition en 2021 », explique le directeur du festival Paroles & Musiques, Simon Javelle.

Sauvés par le « cas de force majeure » ?

Pour ce qui est des contrats passés avec les artistes et les prestataires, Paroles & Musiques et les autres festivals concernés par l’interdiction de rassemblement jusqu’au 15 juillet devraient pouvoir s’en sortir en invoquant une annulation pour « cas de force majeure ». « Nous attendions ce cadre légal pour faire valoir cette clause qui va nous permettre de rompre les relations contractuelles avec les artistes et prestataires. Si la décision d’annuler venait de l’organisateur, cela aurait pu engendrer certains litiges et les prestataires et artistes auraient pu nous demander le règlement des frais déjà engagés. L’annonce d’Emmanuel Macron est un vrai soulagement car cela va permettre d’enclencher un jeu d’assurances », estime Samuel Riblier, directeur du festival Jazz à Vienne (6 M€ de budget ; 229 000 festivaliers en 2019 ; plus de 1 000 artistes, fournisseurs, intermittents et saisonniers), dont la 40e édition devait se tenir du 25 juin au 11 juillet.

Problème, tous les festivals qui se dérouleront cet été dans la région ne pourront pas forcément s’appuyer sur ce cadre légal. Si le gouvernement ne prolonge pas l’interdiction de rassemblement, ce sera donc aux festivals de régler la facture en cas d’annulation. « Je me demande comment vont faire les festivals qui démarrent après le 15 juillet. Ils ne pourront pas rompre leurs contrats pour cause de force majeure et, s’ils décident de maintenir l’événement, ils seront confrontés à un problème de recettes. Pour Paroles & Musiques, les réservations de billets étaient à l’arrêt depuis le 6 mars et nous avions déjà perdu 15 000 € en sponsoring. Si le festival avait été maintenu, nos pertes auraient été colossales », illustre Simon Javelle.

Annuler ou maintenir, un choix cornélien qui risque de s’imposer à tous les festivals dont la programmation intervient après le 15 juillet. « Pour l’instant nous n’avons pas pris la décision d’annuler mais, en étant lucide, je ne vois pas comment on peut imaginer qu’un festival se tienne cet été. », consent Laure Pardon, la directrice de Foreztival, qui doit se tenir du 7 au 9 août à Trelins, dans la Loire. « Penser que l’on peut mettre en place une distanciation sociale et faire respecter des gestes barrières, c’est ne pas connaître le milieu des festivals. Et puis ce n’est pas de notre responsabilité de décider du cadre légal sanitaire. Nous avons besoin d’une décision de l’État pour faire marcher l’annulation des contrats d’artistes. Nous envisageons tout de même de reporter certains contrats sur l’année prochaine et donc de laisser les acomptes versés aux boîtes de production. »

Tout un écosystème impacté

Si Laure Pardon n’envisage pas d’annuler tous les contrats déjà signés, c’est parce que le Foreztival (1,5 M€ de budget dont 95 % financés par la billetterie et les consommations sur place) dispose d’une assise financière qui lui permet de voir venir. « L’ennui, c’est surtout le fonctionnement à l’année de l’association, soit environ 150 000 euros de budget (sept salariés, loyers, assurances, frais divers), d’habitude assurés par le festival. En cas d’annulation, c’est donc 150 000 euros de pertes. Elles devraient être en partie couvertes par les subventions de la communauté d’agglomération de Loire Forez (15 000 €), de la Région (11 000 €) et du Département (15 000 €), mais cela représente tout de même plus de 100 000 € qu’il faudra prendre sur nos réserves », expose la directrice du Foreztival.

Pour les festivals qui ne disposent pas de réserves et qui, comme le Foreztival, fonctionnent en grande partie en autofinancement (billetterie, mécénat, sponsoring), la situation risque d’être beaucoup plus critique. « Il ne faut pas oublier l’écosystème qui gravite autour des festivals. Pour eux aussi, cela va être terrible ! », assure Laure Pardon. En effet, hormis les dépenses artistiques, 90 % des dépenses du Foreztival sont effectuées dans la Loire. « Entre les prestataires scéniques, la sécurité, les grossistes en boisson, les loueurs de matériels, le catering… Ce sont au total 900 000 euros que nous dépensons auprès d’entreprises ligériennes, dont certaines réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires avec nous », développe la directrice du Foreztival, évoquant les produits locaux vendus lors du festival. « Les festivals sont de vrais acteurs du développement économique des territoires, surtout quand ils sont implantés sur des zones rurales où l'offre culturelle n'est pas pléthorique ».

Avec les annulations d'événements déjà envisagées, le manque à gagner pour l’économie de la région risque d’être donc colossal. À titre d’exemple, selon une étude du cabinet Nova Consulting réalisée en 2014, le Festival Jazz à Vienne représente 17 millions d'euros de retombées économiques pour le territoire de la Communauté d’Agglomération du Pays Viennois.

Les sociétés de production dans l’attente

Parmi les acteurs de l’écosystème des festivals, on trouve aussi les sociétés de production d’artistes. « Entre les annulations de date en mars et avril dans les salles, et les festivals de l'été annulés ou reportés, ce ne sont pas moins de 200 dates et 60 % de notre chiffre d’affaires que l’on va voir disparaître », s’inquiète Jean-Brice Lacombe, dirigeant de la société de production lyonnaise AFX, qui emploie 10 salariés et réalise 1,5 M€ de chiffre d’affaires par an.

Pour cette structure, qui œuvre à la diffusion et à la production d’environ 500 concerts par an, le manque à gagner est colossal. Et la possibilité de se faire indemniser par les assurances plus, qu’improbable. « La déclaration d’état d’urgence sanitaire et l’interdiction ministérielle de regroupement apportent une clarté pour toute la filière et permettent aux festivals de faire valoir la clause de cas de force majeure qui permet de rendre les contrats nuls et non avenus. S’ils n’ont pas versé d’acomptes, ils n’auront pas à les verser. En revanche pour nous producteurs, c’est plus gênant car beaucoup d’assurances ont déjà annoncé qu’elles ne pouvaient pas couvrir le cas de force majeure et que la garantie épidémie n’était pas valable. Ce n’est donc pas aussi simple que cela de faire couvrir par les assurances les dépenses que l’on a avancées pour certains artistes », développe le dirigeant d’AFX.

Pour l’heure, la boîte de production lyonnaise n'a pas encore sollicité les assurances. « Ce sont d’abord aux festivals de voir comment ils peuvent se faire indemniser et nous indemniser ensuite. Dans le cas contraire, nous nous tournerons vers nos assurances mais nous avons peu d’espoir. Des assurances pertes d’exploitation existent mais coûtent très cher et peu d'entreprises comme la nôtre peuvent souscrire ce type d’assurance pour 500 concerts dans l’année », explique Jean-Brice Lacombe.

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