Auvergne Rhône-Alpes
Comment les industriels d'Auvergne Rhône-Alpes s'attaquent au défi de la réparabilité
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # Production

Comment les industriels d'Auvergne Rhône-Alpes s'attaquent au défi de la réparabilité

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Pour atteindre l'objectif fixé par la loi Agec (anti gaspillage économie circulaire) d'un taux de réparation de 60 % des produits électriques et électroniques d’ici cinq ans, les industriels se mettent au pas. Cinq secteurs technologiques doivent déjà afficher leur indice de réparabilité. En Auvergne Rhône-Alpes, anticipant sur la législation, des industriels comme le groupe Seb, Babymoov, Santos ou King Jouet, accélèrent sur la réparation.

Le groupe Seb est historiquement engagé dans une démarche de réparabilité des produits, come l’illustre ce livre de recettes de la "Cocotte Seb" des années soixante — Photo : Audrey Henrion - Le JDE

Réparer plutôt que jeter. La tendance de plus en plus forte chez les consommateurs. Mais en amont, la réparabilité des produits a longtemps été une problématique de coûts et de perte de profit pour les industriels qui s'adressent directement aux particuliers. Aujourd'hui, elle s'impose comme un impératif intégré dès la conception des produits chez de nombreux fabricants. Le concept n’est pas nouveau chez le leader mondial du petit électroménager. Le groupe rhonalpin Seb - qui vend un produit toutes les douze secondes à travers le monde - fabrique 220 millions de produits par an. Et déploie historiquement une activité de distribution de pièces de rechange.

Dès 1857, Antoine Lescure, le "père fondateur" de ce qui deviendra le groupe Seb (36 000 salariés, 6,9 milliards d'euros de CA), passait de ville en ville pour réparer casseroles et marmites. Une tradition qui perdure en 2021, bien au-delà des "super-cocottes" des années soixante livrées avec des "vis équipées de plaquettes de frein pour empêcher tout desserrage des vis de poignées".

Aujourd’hui encore, le groupe d’Écully garde une bonne longueur d’avance sur ses concurrents. Depuis 2015, il garantit la réparabilité de 95 % de ses produits pendant dix ans. Essentiellement pour ses marques Tefal, Krups, Moulinex, Calor et Rowenta. Cette dernière bénéficie même du label "Longtime®", de plus en plus couru par les fabricants et décerné après audit par un organisme indépendant.

Aurélien et Nicolas Fouquet, codirigeants de la société familiale Santos — Photo : Santos

À Vaulx-en-Velin (Rhône), le groupe Santos (CA 2020 : 14 M€ / 40 salariés), fabricant de presse-agrumes, centrifugeuses et blenders fondé en 1954, vient lui aussi de décrocher ce label pour trois gammes de produits. "C’est pour nous une façon de nous distinguer de la concurrence mais aussi de coller à la demande de nos clients", indique son président Aurélien Fouquet.

Aucune pièce détachée neuve

Malgré une histoire plus récente que ces deux sociétés familiales, le groupe auvergnat Babymoov, plus grosse entreprise de puériculture indépendante en France, a lui aussi la réparabilité dans les gênes. "Nous avons lancé la garantie à vie dès notre origine, il y a plus de vingt ans", souligne Laurent Windenberger, l’un des trois cofondateurs de cette entreprise pesant aujourd’hui 55 millions d'euros de chiffre d’affaires pour 115 salariés (en croissance de 15 % par an depuis deux ans).

Depuis un an, la démarche se structure. En plus de vendre une gamme baptisée "Les Imparfaits" (décote de 20 ou 30 % sur des produits présentant par exemple des défauts d’impression), Babymoov s’organise pour réparer la pièce défectueuse sans la changer. Un "défi industriel", dixit le dirigeant, qui a remis à plat la conception des produits, leur fabrication et leur assemblage. "Depuis quatre mois, nous réparons 50 Nutribaby (robot multifonctions, NDLR) par mois. Nous n'utilisons aucune pièce détachée neuve, assure Laurent Windenberger. Nous nous contentons de changer une carte électronique, un composant ou la bobine d’un moteur." Le volume de réparation est très faible - moins d’1 % des Nutribaby vendus - mais Babymoov veut croire que c’est "le début de l’histoire".

Pour preuve, la PME vient de lancer la construction d’un atelier de réparation à Clermont-Ferrand et réorganise sa production. Pour le seul Nutribaby, plus gros poste de réparation de Babymoov avec les babyphones, la mise est de 100 000 euros. Les marges sont plus faibles, la main-d’œuvre a un coût mais Laurent Windenberger est convaincu qu’il s’agira d’un investissement "rentable".

Laurent Windenberger, cofondateur et directeur général de Babymoov — Photo : Babymoov

André Montaud, ancien directeur général de l’agence d’innovation industrielle Thésame, en Savoie, n'est pas tout à fait d'accord. Pour lui, les industriels ont intérêt à se convertir à la réparabilité pour leur image, même si "celle-ci est rarement rentable pour des produits conçus il y a longtemps". Mais selon le spécialiste en innovation et nouvelles technologies, l’impression 3D va bientôt changer la donne. "Comme sur le module spatial ISS, les industriels n’auront bientôt plus besoin de pièces de rechange. Il sera bientôt possible d’acheter les plans d’une pièce défectueuse pour la fabriquer en 3D dans un centre de réparation citoyen", pronostique-t-il.

Lourdeur et complexité

Une chose est sûre, la réparation bénéficie une bonne image auprès de 81 % des Français (+ 7 points par rapport à 2014), selon une étude de l’Ademe réalisée par Harris Interactive en partenariat avec Fnac-Darty en 2019. Mais les freins restent nombreux. Ce qui pénalise la réparation reste son coût (68 % des sondés), les craintes sur le professionnalisme et les garanties (42 %) mais aussi la lourdeur et la complexité de la démarche (40 %). Surtout, 87 % des sondés considèrent qu’elle n’est pas facilitée par les fabricants.

Dans l'entrepôt du service après-vente du groupe Seb (150 salariés), à Faucogney-et-la-Mer, en Haute-Saône, on trouve environ 50 000 références actives, 7,5 millions de pièces stockées et 11 millions d'articles distribués chaque année. Le fabricant recense notamment 220 réparateurs partenaires en France, qui pratiquent des forfaits fixes. Mais la proposition est-elle suffisamment simple et intéressante pour séduire les consommateurs ? Pas sûr si l'on en prend l'exemple de cette cliente désireuse de faire réparer son hachoir Moulinex par un réparateur Seb agréé : en plus de devoir apporter son appareil à l’autre bout de la ville, elle ne ferait que 3 euros d’économie par rapport au même produit neuf acheté en ligne et livré à domicile...

Un marché qui offre des perspectives

En attendant, des sociétés ont bien saisi l’enjeu de la réparation. C'est le cas de la start-up parisienne Murfy (CA 2020 : 3,50 M€ / 130 salariés), fondée en 2018 par Guy Pezak, qui s’implante à Lyon. L'entreprise qui mise sur la réparation à domicile ouvre 100 places dans sa formation de Saint-Priest pour recruter de futurs réparateurs d’appareils électroménagers. Selon les données fournies par la jeune pousse, 28 millions d’appareils électroménagers tombent en panne chaque année. Avec 5 000 techniciens en activité dans l'Hexagone, seuls 5 millions peuvent être réparés. Pour rendre la réparation plus accessible, il faudrait près de 23 000 techniciens électroménagers supplémentaires. En 2018, le marché de la réparation des équipements électriques et électroniques occupait 27 000 entreprises pour près de 34 000 emplois et un chiffre d’affaires de 5,8 milliards d'euros, selon l'Ademe. Avec l’évolution de la loi Agec (anti-gaspillage pour une économie circulaire), qui a notamment pour objectif de faciliter la réparation et favoriser l'utilisation de pièces détachées issues de l'économie circulaire, la tendance s’accélère.

Le secteur du jouet à la traîne

Comme pour l’électroménager, l’univers du jouet peut prétendre à une forte marge de progression en termes de réparabilité et durabilité. Chaque année, 120 000 tonnes de jouets sont jetées en France. La loi Agec (qui établira une filière pollueur-payeur pour les producteurs, importateurs et distributeurs de jouets à compter du 1er janvier 2022) et la pression des distributeurs jouent, là encore, comme une incitation pour les fabricants à développer des lignes de produits responsables.

C’est ce qu’anticipe déjà Philippe Gueydon, à la tête de l'enseigne iséroise King Jouet (240 points de vente / 1 000 collaborateurs / 275 M€ de CA) et coprésident de la Fédération des Commerces spécialistes des jouets et des produits de l’enfant. "Nous devons réfléchir à la durée de vie des produits, d’autant que l’on sera contraint à partir de janvier 2022 de récupérer les jouets usagers à des fins de recyclage", concède le PDG. En creux, les fabricants de jouets redoutent aussi, d’ici cette échéance, d’être taxés sur chaque jouet vendu à compter de 2022 pour financer le recyclage de ces produits. Pour anticiper, le distributeur a demandé à ses fournisseurs d’étoffer leur offre de pièces détachées. "Nous sommes en négociation avec l’ensemble de nos fabricants : pour être référencés ils devront proposer la vente sur notre site de toutes leurs pièces détachées", informe Philippe Gueydon. Lucide, il juge que "le jouet n’est pas un secteur très vertueux, il y a beaucoup de plastique, beaucoup d’emballages, et pour une bonne partie cela vient de l’autre bout du monde… Alors oui, on part de loin, ça prendra du temps mais on arrivera à inverser la vapeur."

King Jouet tente un essai dans un de ses magasins dans la Loire, où il dédiera un tiers de sa surface à la vente d'occasion — Photo : Gilles Cayuela - Le JDE

En attendant, King Jouet accélère sur le marché de l’occasion et tente un essai dans son magasin de Monthieu, dans la Loire. Bientôt, cet établissement de 800 m² dédiera un tiers de sa surface à la vente d’occasion, avec des salariés formés à fixer le prix des jouets (de 2,50 à 15 euros), lesquels seront remis dans le circuit après avoir été réparés et nettoyés par une entreprise d’insertion. Les particuliers-vendeurs, eux, seront payés sous forme de bons d’achat à utiliser chez King Jouet.
La marque fait ainsi un pas en direction d’une politique de prix "attractifs" et répond aux aspirations plus éthiques et environnementales d’une partie de sa clientèle.

Mais pas seulement. L’enjeu est aussi d’anticiper l’évolution de la législation. Même démarche complémentaire chez Babymoov, pour qui des étudiants de l’EM Lyon Business School peaufinent une étude de marché afin de déterminer si l’entreprise serait légitime pour organiser son propre réseau de distribution de matériel d’occasion. "D’ici septembre nous saurons si nous y avons notre place ou pas", glisse Laurent Windenberger.

L'explosion de la seconde main

Les fabricants peuvent-ils court-circuiter les distributeurs comme Fnac ou Darty qui proposent du reconditionné, et ainsi récupérer à leur profit ces achats résiduels ? "C’est trop tôt pour le savoir", répond Benoît Samarcq, analyste chez Xerfi et auteur de l’étude "L’occasion, une arme de séduction massive". Cet expert juge que "tous les ingrédients sont réunis pour que le marché de la seconde main fonctionne de mieux en mieux, à la fois pour des motivations budgétaires, mais aussi parce que la multiplication des initiatives normalise et décomplexe l’achat d’occasion". Dans une étude, le cabinet Xerfi estime d’ailleurs que le secteur de la "seconde main" est en croissance depuis la crise de 2008, générant (hors automobile) quelque 7,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020.

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