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Christophe Fargier (Ninkasi) : « Nous devons recapitaliser et renforcer nos fonds propres »
Interview Lyon # Restauration # Capital

Christophe Fargier fondateur et dirigeant de Ninkasi Christophe Fargier (Ninkasi) : « Nous devons recapitaliser et renforcer nos fonds propres »

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À la tête d’un groupe pesant 28,6 millions d'euros en 2019 pour 300 salariés et 19 établissements, Christophe Fargier, emblématique fondateur de Ninkasi (brasserie, restaurant, café-concert) garde le cap sur des projets structurants malgré la crise du Covid-19. En ligne de mire, l'ouverture à Paris à l’automne et une nouvelle usine de fabrication de bière dans le Rhône d’ici 2023.

— Photo : © Ninkasi

Comment se porte le groupe Ninkasi aujourd'hui ?

Nous avons décidé de maintenir de l’activité et des projets pour continuer de voir des choses positives à faire et à dire. Nous avons besoin de nous tirer vers le haut. Nous travaillons au développement de nouvelles recettes, de nouveaux services. C’est quelque chose que nous n’avons pas sacrifié car cela fait du bien. Et puis, il faut véritablement rester optimistes et se projeter, sinon on va vite se retrouver dans des états dépressifs. La période est compliquée mais nous restons combatifs, orientés projets, actions. Nous ne voulons pas basculer dans la complainte.

En 2019, le groupe réalisait 28,6 millions d’euros avec ses 19 établissements. Que disent les chiffres en ce début d’année ?

La fabrique de bière, qui réalise 6 millions d’euros de chiffre d’affaires, accuse une baisse de 20 à 30 %. On compense assez bien par la vente en grande distribution et chez les cavistes. En restauration, c’est très difficile. Les neuf établissements (hors franchises, NDLR) du groupe accusent une chute de 90 % de leur chiffre d’affaires habituel. Les franchisés travaillent mieux (20 % de leur chiffre d’affaires) car ils sont moins concurrencés. Nous voulons maintenir une activité, garder le lien avec nos équipes et nos clients, alors nous continuons un peu de click & collect. Mais si l'on devait prendre des décisions uniquement sur un critère économique, il serait plus simple de fermer et d’attendre que ça se passe.

Avez-vous contracté un prêt garanti par l'Etat ?

Nous en avons déjà fait trois d’un million d'euros chacun. On peut monter jusqu’à 6 millions d’euros si nécessaire. Or, actuellement, je m’interroge sur l’opportunité d’en demander un quatrième. Nous perdons beaucoup d’argent tous les mois : 10 000 euros par jour depuis le premier confinement, 6 000 euros depuis novembre. Nous entamons de manière significative nos fonds propres.

Vous avez réalisé il y a quatre ans de gros investissements pour la salle de concert Kao, au sein du Ninkasi Gerland (un crédit-bail de 4 millions d’euros sur 15 ans). Cet investissement est-il lourd à digérer en ce moment ?

À Gerland (jauge de 1 800 personnes, NDLR) le Kao est à l’arrêt depuis mars. Le café atteint 5 % de son chiffre habituel car l’activité clubbing est au point mort. Même avec la livraison et le click & collect, c’est dur. C’est un gros paquebot, avec beaucoup de charges fixes. Nous cherchons des solutions.

Comment les banques se comportent-elles avec vous ?

Nous sollicitons les organismes bancaires propriétaires du Ninkasi Gerland pour suspendre le crédit-bail immobilier par exemple. À Villeurbanne, la SVU (société villeurbannaise d’urbanisme, NDLR) a fait un geste pour le Ninkasi Gratte-Ciel. Tout comme le Crédit Agricole pour l’établissement de La Soie. Depuis mars, nos interlocuteurs – Société Générale, BNP, Crédit Agricole et la Banque Européenne du Crédit Mutuel et Bpifrance – sont à l’écoute, réactifs, nous aidant à trouver des solutions. Avec les assurances, c’est différent. Il y a de l’échange, mais elles ne sont pas sources de proposition. Nos contrats ne nous permettent pas de percevoir la couverture des pertes d’exploitation. Nous aurions pu bénéficier de certaines clauses un peu ambiguës sur des baisses significatives d’activité… mais les portes se referment. Nous n’avons pas senti la même volonté d’aider que celle des banques.

Quels sont vos projets pour « après » ?

La stratégie était d’accélérer notre développement en franchise. Et les projets sortent aujourd’hui ! On aurait dû ouvrir à Dijon en janvier, et en février OL Vallée et Villefranche. Une ouverture est bien engagée à Chambéry en juin, une autre en cours à Aix-les-Bains. Et il y a des discussions actives avec Grenoble, le Puy-en-Velay. Un projet en 2022 va sortir à Valence. Mais tant que nous ne sommes plus en capacité de proposer aux candidats une immersion dans nos établissements, notre processus est à l’arrêt.

Où en est le projet d’agrandissement de la fabrique de bières à Tarare (Rhône) ?

Le calendrier est bousculé. Notre plus gros problème aujourd’hui, c’est la nouvelle usine à Tarare. J’ai vu l’avant-projet sommaire début janvier : hors acquisition du terrain, le coût atteint 25 millions d’euros. Or, la crise nous a fortement impactés, nos fonds propres ont fondu, notre endettement a augmenté, on a dû suspendre des remboursements, demander l’octroi de prêts garanti par l'Etat, et aujourd’hui nous sommes contraints d’anticiper notre opération de levée de fonds pour financer la construction. Envisagée en 2022 pour une usine en activité en 2023, nous serons forcés d’opérer la levée de fonds en 2021. Nous n’avons pas le choix : nous devons recapitaliser et renforcer les fonds propres.

La levée de fonds ne risque-t-elle pas de diluer le capital ?

Comme la levée ne se fera pas dans les meilleures conditions, le risque est là, en effet. Je vais avoir besoin d’injecter entre 5 et 6 millions de « new money », ça veut dire une levée de fonds d’environ 8 millions d’euros. Le prêt participatif réduirait le risque de dilution car son principe repose sur un prêt de plus de huit ans que l’on ne commence à rembourser qu’au-delà de la quatrième année, avec une dette qui peut être comptabilisée dans les fonds propres. Mais ce dispositif n’est pas encore opérant, il doit être validé par la Commission européenne pour ne pas créer des distorsions de concurrence entre les États. Aujourd’hui, 80 % de l’entreprise est détenue par les gens qui travaillent dans l’entreprise. Sur la prochaine levée, nous sommes prêts à ouvrir le capital à hauteur de 30 % mais pas au-delà. Garder notre indépendance, c’est crucial.

Faut-il investir à tout prix ?

Oui, nous n’avons pas le choix ! Elle est très paradoxale cette crise, et elle nous donne aussi de belles perspectives : on doit accélérer notre distribution car les consommateurs demandent des produits français, avec des valeurs et une belle histoire. Il faut qu’on tienne le calendrier car, quand le secteur café-hôtellerie-restauration va rouvrir, l’outil actuel sera saturé. La nouvelle usine nous permettra de passer en 2023 de 35 000 à 120 000 hectolitres de bières par an.

Et Paris, est-ce en projet ?

L’idée est d’ouvrir un établissement en propre à Paris d’ici l’automne. Nous sommes très implantés sur place, présents dans tous les Monoprix et nous venons de signer un accord pour être distribués chez Franprix. Nous envoyons une équipe de trois commerciaux à plein temps sur la région Île-de-France pour la distribution de nos bières.

"Les entreprises pourront, le moment venu, jouer un rôle" dans la stratégie de vaccination contre le Covid-19, a indiqué la ministre du Travail Élisabeth Borne début janvier. Y êtes-vous favorable ?

Si, pour faciliter la destination des vaccins, l’entreprise était sollicitée, je n’y serais pas opposé. En revanche, les salariés doivent se sentir libres de choisir ou pas de se faire vacciner. Je ne veux pas que des injonctions viennent abîmer les relations, l’anonymat dans la vaccination a son importance.

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