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Christian Boiron : « L’entreprise n’est pas un lieu d’opposition entre salariés et dirigeant »
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Christian Boiron directeur général des laboratoires Boiron Christian Boiron : « L’entreprise n’est pas un lieu d’opposition entre salariés et dirigeant »

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A quelques jours de la publication des résultats des laboratoires Boiron, dialogue avec son emblématique directeur général, Christian Boiron, entré en 1970 dans l’entreprise familiale créée par son oncle et son père. Ses envies, sa vision, la place de l'homéopathie dans la médecine.... et aussi la transmission de l’entreprise familiale.

"Au début de mon aventure, je pensais que Boiron devrait rester petit. Ce qui était intéressant sur le plan humain mais pas juste sur le plan de l’organisation : on ne peut pas empêcher une entreprise de grandir", estime Christian Boiron, président des laboratoires éponymes — Photo : Yann Geoffray

Vous êtes à la tête d’une entreprise cotée, avec un chiffre d’affaires 2017 de 617 millions d’euros, de 3 700 salariés, dont 2 500 en France. Peut-on "peser" autant et demeurer une "entreprise familiale " ?

Christian Boiron : Déjà, il m’est difficile de définir une entreprise familiale ! On sent intuitivement que ce type "d’organisation" est différent. Pour moi, elle est plus efficiente, plus efficace et surtout elle s’appuie sur un vrai projet. Il m’a fallu 9 ans pour le définir ("le développement de l’homéopathie médicale et scientifique dans le monde intégré dans la médecine", NDLR). Il fallait que ce projet soit cohérent avec son passé. Une entreprise familiale est comme un homme qui grandit et se découvre lui-même. Le rôle d’un patron c’est de sentir le mieux possible son potentiel et sa raison d’être, tout en s’intéressant à l’avenir.

Vous êtes attaché au bonheur dans votre entreprise, entretenant une relation assez surprenante avec vos collaborateurs (il fait la bise et tutoie la personne en charge de l’accueil, NDLR). Ancien adjoint de Michel Noir à la Ville de Lyon, faites-vous de votre entreprise un "laboratoire politique" ?

C.B. : Comme pharmacien je ne suis pas très intéressé par la production, le contrôle qualité etc. Pour moi, l’entreprise n’est pas un lieu d’opposition entre salariés et dirigeant, j’en ai une vision socio-économique. D’ailleurs au début de mon aventure, je pensais que Boiron devrait rester petit. Ce qui était intéressant sur le plan humain mais pas juste sur le plan de l’organisation : on ne peut pas empêcher une entreprise de grandir.

Comment et où voyez-vous les Laboratoires Boiron dans 20 ans ?

C.B. : Je ne "vois" pas Boiron dans 20 ans. J’essaye de comprendre comment le monde évolue. Et pour moi l’avenir de l’entreprise est lié à l’avenir de la médecine. Demain on se soignera différemment, on aura des capteurs qui prendront nos constantes, on se soignera avec des appareils à domicile. Ce qui m’intéresse c’est de développer l’homéopathie comme outil de guérison. Même si je suis aussi amoureux de l’allopathie, des massages, de l’acupuncture… tout ce qui fait partie de l’art de guérir ou l’art d’être bien.

« Vous ne transmettez pas la clé à quelqu’un qui vous ressemble, vous la transmettez à la personne qui vous paraît être la plus compétente »

Quelle place accordez-vous à la recherche et à l’innovation ?

C.B : L’homéopathie, c’est un peu comme l’acupuncture : on cherche juste à savoir comment déplacer ou placer l’aiguille différemment pour avoir un résultat plus efficace. Nous travaillons sur la façon de donner de l’homéopathie, à quelle fréquence, à quelle dose. Le médicament homéopathique n’existe que quand on le marie avec le médecin, car à la différence d’un médicament allopathique, un tube de granules n’a aucune indication thérapeutique. Il n’est ainsi dans notre domaine pas nécessaire de consacrer beaucoup d’argent à la recherche fondamentale. Et heureusement car nous n’avons pas les mêmes moyens que l’industrie pharmaceutique. On gagne 10 % de ce que gagnent les laboratoires pharmaceutiques traditionnels : quand ils margent à 45 %, on atteint 4,5 %. Et encore, nous avons progressé !

Comment faites-vous avancer votre entreprise ?

C.B. : Pour la faire avancer, le plus difficile pour moi a été de trouver celle qui va me remplacer.

Vous l’avez trouvé !

C.B. : Oui (Valérie Lorentz-Poinsot, actuelle directrice générale déléguée, NDLR) et j’en suis heureux car c’est ce qui a de plus difficile, il y en a une sur un milliard...

« En devenant président, je n’ai pas dormi pendant quatre jours »

A-t-elle la même vision que vous ?

C.B. : Non. Mais j’étais moi-même très différent de mon père ! Vous ne transmettez pas la clé à quelqu’un qui vous ressemble, vous la transmettez à celui ou celle qui vous paraît être le plus compétent(e). D’abord vous ne savez pas qui vous êtes, alors pour trouver la personne qui vous ressemble, vous êtes mal placé.

La transmission…. C’est un peu une obsession du chef d’entreprise non ?

C.B. : En tout cas, on m’a demandé d’y penser depuis l’âge de 32 ans, je venais d’être nommé PDG. La question m’avait déstabilisée, je n’y avais jamais réfléchi.

Quel souvenir vous-même avez-vous de cette transmission par votre père ?

C.B. : Une mue s’opère immédiatement. Quand j’ai pris la suite de mon père, j’étais déjà pourtant déjà aux manettes mais je n’étais pas président. En le devenant, je n’ai pas dormi pendant quatre jours. Pas de peur, mais je sentais une mutation profonde s'opérer en moi. Je me sentais seul.

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