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Boris Saragaglia (Spartoo) : « Le climat anxiogène n’aide pas à faire du commerce »
Interview Grenoble # E-commerce # Fusion-acquisition

Boris Saragaglia PDG du groupe Spartoo Boris Saragaglia (Spartoo) : « Le climat anxiogène n’aide pas à faire du commerce »

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L’un des enfants prodiges du e-commerce, Boris Saragaglia a fondé en 2006 avec Paul Lorne et Jérémie Touchard le groupe Spartoo. Avec 5 millions de paires de chaussures vendues en 2018, l'entreprise pèse désormais 250 millions d’euros de chiffres d’affaires pour 1 000 salariés. Le PDG s’attache à intégrer un acteur physique deux fois plus gros que lui, le chausseur André, enseigne rachetée en juillet 2018 au groupe Vivarte et comptant 200 points de vente en France pour 700 salariés.

— Photo : Pierre Jayet / Spartoo

Le Journal des Entreprises : À l’heure où nous nous parlons, sur quoi travaille un PDG à la tête de 1 000 salariés et 250 millions d’euros de chiffre d’affaires ?

Boris Saragaglia : Aujourd’hui précisément, je me consacre à l’arrivée de la nouvelle collection chez André. Je m’assure que tout arrive dans les temps dans les magasins, que l’ensemble des outils fonctionne bien et que les anciennes collections d’été soient retournées en temps et en heure. Nous finalisons aussi les volumes nécessaires pour les collections de l’été prochain.

Je suis très opérationnel. À certains moments, il faut plonger dans les détails et à d’autres, prendre de la hauteur pour parler à son banquier. Et parfois, il me faut trouver encore plus de recul pour livrer une vision à très long terme. J’aime bien travailler avec les équipes sur le terrain, et me plonger dans le détail. Peut-être fais-je partie des rares dirigeants d’entreprise de plus de 1 000 personnes qui aiment se pencher sur les détails.

Le offline (commerce physique) est une nouvelle activité pour Spartoo. Comment se déroule l’intégration des 200 points de vente d’André ?

B. S. : Sur les 200 points de vente, nous en avons 120 en propre, 30 corners, 30 affiliés et 20 franchises. En presque 18 mois, nous avons changé l’ensemble du matériel de caisse doté d’un nouveau logiciel, internalisé la paye et la finance et rénové 10 magasins, sur 50 qui doivent l’être, au rythme de 10 par an. J’ai aussi remplacé l’ensemble de l’équipe dirigeante : du directeur général au directeur financier, commercial et de l’offre, dont la moitié de l’équipe a été changée. Mais concernant les 700 salariés d’André, nous avons gardé tout le monde.

« La vie ne se gère pas à coups de millions. L’intégration d’André, c’est surtout du temps de travail, beaucoup de réflexion, pour finalement exécuter vite. »

Côté collections, on a rajouté des gammes sport et enfant. J’ai bien évidemment internalisé la gestion web, baissé les prix de 10 %, et le discount de 5 points. Nous avons développé les moyens de réassort, remis à plat la structuration des achats entre l’entrepôt Spartoo et les magasins. Et proposé de nouveaux outils de gestion des temps.

Avec vos deux associés, vous détenez 25 % du capital de Spartoo. À quelle hauteur avez-vous investi dans cette opération de rachat d’André ? Et vos actionnaires (À Plus Finance, CM-CIC Capital Privé, Highland Capital Partners, Endeavour Vision et Sofina possédant les 75 % restants) sont-ils prêts à vous laisser du temps pour faire de cette enseigne une marque rentable ?

B. S. : L’investissement en 2019 se monte à 12 millions d’euros. Mais je considère que la vie ne se gère pas à coups de millions. L’intégration d’André, c’est surtout du temps de travail, beaucoup de réflexion pour trouver les bonnes articulations, mettre les priorités au bon endroit, bien concentrer les ressources pour finalement exécuter vite.

Quant à nos actionnaires, ils font confiance à une équipe. Charge à nous de leur délivrer ce qu’on leur a « vendu ».

Côté business, qu’est-ce qu’apporte André au groupe Spartoo ?

B. S. : Pour l’heure, le climat des affaires reste assez dur. André était en décroissance et on déplore encore des pertes ces douze derniers mois. La crise des Gilets jaunes nous a lourdement impactés, d’autant que nous sommes très présents à Paris. Le climat anxiogène n’aide pas à faire du commerce. Il nous faudra entre deux et trois ans pour revenir au profit. Notre enjeu est qu’André redevienne le chausseur préféré des Français, avec une empreinte francophone pour nous rendre très forts sur nos bases, et ensuite un déploiement à l’étranger, si le plan prévu se développe comme attendu dans les 24 prochains mois. Mais pour le groupe, on va chercher à atteindre l’équilibre.

Spartoo, distribue 5.000 marques et 400.000 modèles dans 25 pays, et accueille 14 millions de visiteurs uniques par mois sur son site internet — Photo : Pierre Jayet / Spartoo

Ne vous êtes-vous pas compliqué la vie en rachetant André et en vous déployant en magasin ?

B. S. : Moi, je suis quelqu’un qui ne cherche pas à savoir si c’est compliqué ou facile, je cherche avant tout à me projeter vers le long terme, à savoir ce qui rendra le groupe plus fort dans très longtemps. Et s’il y a des difficultés, tant pis ! La vie est une succession de cycles, avec des moments faciles et d’autres plus compliqués, mais c’est ce qui la rend intéressante.

« Nous avons opéré notre déploiement international sans croissance externe, 100 % en organique ! »

Notre vision à trois ans consiste à garder un pied sur le online et un autre sur le offline, maintenir des ventes à 50 % à l’international - avec l’acquisition d’André, nous sommes passés de 50 % à 33 %. Et enfin, maintenir un équilibre à 50/50 entre nos marques propres et les marques fournisseurs.

Comment financez-vous votre croissance ?

B. S. : Avec le cash que l’on génère ! Nous réinvestissons tout ce que l’on gagne. Exemple : il y a quatre-cinq ans, nous avons élargi les ventes, devenant l’une des plus grandes marketplaces dédiées à la mode en Europe avec plus de 6 000 marques, 4 000 références, dans 25 pays, avec près de 600 partenaires. Ce déploiement international, nous l’avons opéré sans croissance externe, 100 % en organique ! Notre idée était de prendre à contre-courant la tendance qui veut que l’on installe des équipes dans les capitales européennes. Nous avons choisi de centraliser. On fait venir les natives (salariés issus des pays cibles, NDLR) ici à Grenoble : cela nous fait gagner du temps, renforce la culture d’entreprise et fluidifie la communication. Bref, on gagne en efficacité opérationnelle.

En interne, quelle est votre vision pour rester dans cette course digitale, dont le rythme ne cesse de s’accélérer ?

B. S. : Le digital fonde notre ADN. Nous continuons de faire progresser notre développement logiciel, en injectant beaucoup d’algorithmes, en poussant nos équipes à s’améliorer, à automatiser davantage. Avec 14,5 millions de visiteurs uniques par mois en Europe (source Médiamétrie, NDLR), on y parvient, me semble-t-il, pas trop mal. Même si recruter et fidéliser reste compliqué. Mais, heureusement, les profils scientifiques sont souvent très attachés au grand air, à la montagne et l’environnement grenoblois contribue à les attirer. Alors, on reste dans la course, c’est sûr. Même si, dans cet environnement, et avec une moyenne d’âge de 33 ans, on commence à être vieux !

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