Haute-Savoie
Bontaz : "En 2021, comme en 2020, nous perdrons 25% de chiffre d'affaires"
Interview Haute-Savoie # Automobile

Daniel Anghelone directeur général du groupe Bontaz "En 2021, comme en 2020, nous perdrons 25% de chiffre d'affaires"

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Confronté au retournement du marché automobile et à la fin annoncée du moteur thermique, le groupe Bontaz, équipementier mondial de rang 1 (4 000 collaborateurs au sein de 24 usines dans 11 pays dans le monde) se diversifie sur le marché des vélos électriques.

Daniel Anghelone, directeur général du groupe Bontaz — Photo : Stephane Cande / Bontaz

Équipementier automobile produisant des sous-ensembles de refroidissement pour moteurs thermiques, hybrides et électriques vous annoncez un investissement de 40 millions d’euros en cinq ans dans un "Tech Center" capable de proposer des systèmes de motorisation pour vélo à assistance électrique. Cette diversification vise-t-elle à compenser la baisse du marché automobile thermique ?

Depuis 25 ans, le groupe connaît une très forte croissance dans l’automobile. Dans le passé, on a voulu diversifier mais l’intensité de la demande était telle que l’on avait déjà du mal à produire ce que l’on avait vendu ! Quand le marché automobile s’est retourné il y a deux ans, on s’est dit qu’il allait stagner, intuition confirmée avec l’arrêt annoncé du moteur thermique. Alors désormais, nous accélérons vers le moteur vélo.

Quelle cible visez-vous à travers cette nouvelle activité ?
Jusqu’ici très peu d’acteurs fabriquent des moteurs pour VAE (vélos à assistance électrique, NDLR), on pense qu’on a une place à prendre. Les ventes de vélos en Europe représentent aujourd’hui en volume 3 millions de VAE vendus par an, avec une prévision à 10 millions d’unités en 2030. Nos produits sortiront en 2024 et s’adresseront au marché des vélos électriques destinés au marché européen. On veut rejoindre le top 5 des acteurs européens sur ces systèmes nouvelle génération.

Comment s’organise cette nouvelle activité ?
Nous créons un service de R & D dédié pour développer ce système de motorisation avec vitesses intégrées, dont le succès passera par un gros enjeu de marketing, de communication, de service après-vente. La mise au point du moteur s’effectuera en Haute-Savoie, dans la Vallée de l’Arve, de même que le marketing, et le service après-vente car la notion de service sera clé. Elle comptera 50 personnes au total au siège. Mais les sites de fabrication seront là où sont nos clients. À ce jour, nous visons les vélos vendus en Europe, mais il est évident que si tous les fabricants de vélos sont en Asie, le moteur sera assemblé sur place, dans notre usine de Shanghai par exemple. Le groupe Bontaz ne cherche pas à tout prix à fabriquer en France, ce serait une aberration.

La vente de voitures neuves ont reculé de 30 % en octobre 2021 par rapport à octobre 2020, selon l'Association des constructeurs européens (ACEA), un chiffre jamais vu depuis la création de l'association. Quelle photographie faites-vous du marché automobile fin 2021 depuis Marnaz, siège du groupe et berceau historique du décolletage ?

Ces chiffres sont cohérents avec la courbe de nos ventes. Sur le papier, les constructeurs automobiles continuent de nous envoyer des commandes "normales", les bons de commandes n'ont pas changé. Mais au moment de payer, les constructeurs prennent finalement 30% de volumes en moins que ce qu'ils avaient commandé. Le plus difficile pour nous, c'est ce manque de visibilité. Le moteur thermique pèse encore 70 % des ventes. On connaît une crise, puisqu'en termes de chiffre d'affaires on sera à -25 % sur 2021, comme en 2020. Et l'année 2022 risque de ressembler à 2021 avec sans doute, je l'espère, un point bas au mois de juin. À la baisse structurelle des ventes depuis plus de 18 mois s'agrège une autre crise plus conjoncturelle : la pénurie de composants électroniques qui, depuis plus de trois mois, affecte nos clients, et donc toute la chaîne amont.

Êtes-vous inquiet devant ce retournement annoncé du marché ?

Je suis vigilant. Aujourd'hui, notre groupe fournit presque tous les constructeurs mondiaux et on assiste à une réaction en chaîne, car leurs clients migrent à 80 % vers l'achat de véhicules neufs électriques. Par conséquent, la plupart des constructeurs nous disent : "C'est le dernier projet de voiture thermique, il n'y en aura plus après". Chez Bontaz, 100 % de nos investissements en bureau d'études sont désormais orientés vers les moteurs hydrogènes et électriques. Dans quatre ans, nous serons dans la même situation, mais cela concernera cette fois la production. D'où la création de ce Tech Center pour adresser le marché des VAE.

Au-delà de cette conjoncture chahutée, la commission européenne parie sur 100 % de voitures électriques en 2035. L’industrie automobile va-t-elle traverser une crise durable ?
L’industrie automobile s’attend à un cap peut-être un peu dur en 2027-2030. Mais cette mutation attendue se réalisera-t-elle ? Il est déjà difficile de trouver du cuivre aujourd’hui, indispensable dans les moteurs électriques. Alors comment ferons-nous demain ? Concernant les batteries, on reste totalement dépendant de la Chine pour les terres rares. C’est ambitieux de programmer des gigafactory en Europe, mais encore faut-il disposer de matières premières. Enfin, il demeure selon moi une double incertitude portant sur la capacité qu’auront les constructeurs à fabriquer ces véhicules et sur la capacité des acheteurs européens à payer 30 000 euros une voiture qui aujourd’hui en vaut 15 000. Je crains que ce marché ne tombe aux mains des constructeurs chinois malheureusement, car pour livrer des voitures à 15 000 euros, l’Asie saura mieux faire que l’Europe.

Comment le groupe Bontaz compte encaisser le choc ?

Concernant Bontaz, et compte tenu de ces perspectives, je reste serein car notre direction innovation prise en main par Yohann Perrot poursuit des développements hors moteur thermique. Nous vendons déjà des sous-ensembles de refroidissement de moteurs, batteries, habitacles de véhicules électriques. Et demain, nous serons aussi tournés vers l’hydrogène avec une business line dédiée aux boucles de refroidissement avec la gestion des fluides.

Que se passe-t-il du côté des 4 000 emplois du groupe ?

Traditionnellement, nous fabriquons 14 millions d’électrovannes et 180 millions de gicleurs par an. Cette production est amputée de -25 % depuis deux ans. Nous avons dû nous adapter, et près de 450 salariés affectés à l’activité usinage et fabrication de composants en Haute-Savoie subissent deux jours de chômage partiel par semaine. Et sur les sites d’assemblages dans le monde (3 500 salariés hors de France, NDLR), on suit le même rythme.

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