Auvergne Rhône-Alpes
Banque de France : "Si une entreprise n'est pas satisfaite de sa cotation, elle peut nous solliciter"
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Christian Jacques Berret directeur régional Banque de France Auvergne Rhône-Alpes "Si une entreprise n'est pas satisfaite de sa cotation, elle peut nous solliciter"

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Comme annoncé en avril 2020, la Banque de France n’a pas suspendu la cotation des entreprises réalisant plus de 750 000 euros de chiffre d’affaires, mais l’a aménagé de façon exceptionnelle. En Auvergne Rhône-Alpes, les chiffres communiqués par l’institution témoignent d’une bonne résistance des 40 500 entreprises et 500 groupes cotés régionaux.

"Les inconnues ne sont pas favorables aux plans et prévisions des entreprises et elles ont raison d’être prudentes", indique Christian Jacques Berret, directeur régional Banque de France Auvergne Rhône-Alpes — Photo : Audrey Henrion

L’une des missions de la Banque de France consiste à attribuer une cotation aux entreprises de plus de 750 000 euros de chiffres d’affaires, constituée d’une cote de crédit (capacité de l’entreprise à honorer ses engagements financiers) et d’une cote d’activité (niveau de chiffre d’affaires). Quels indicateurs livre la cotation 2020 quant à la santé des entreprises ?

Christian Jacques Berret : Nous avons coté 280 000 entreprises en France en 2020, dont 40 500 entreprises et 500 groupes en Auvergne Rhône-Alpes. Nous avons reçu en 2020 8 % de bilans en moins par rapport à l’année précédente. Chaque année, 20 % des entreprises en moyenne subissent une baisse de cotation et environ 10 % voient leur cotation rehaussée. 2019 avait été une bonne année, avec 20 % de décote et 21 % de rehausse. En 2020, nous relevons 19 % de décote en Auvergne Rhône-Alpes et 10 % de rehausse : le mouvement ne tend pas vers une augmentation des décotes, mais vers moins de rehausse. Nous avons voulu éviter de donner une image faussée se basant sur les bons bilans de 2019, tout en prenant en compte à la fois l’effet de la crise et le rebond assez spectaculaire entre les deux premiers confinements. Nous avons aussi pris le temps de recueillir l’avis des entreprises elles-mêmes quant à leur pérennité, car lorsqu’on cote une entreprise en année "n", on envisage aussi ses perspectives sur les trois années à venir.

Certaines entreprises reçoivent ces jours-ci leur cotation pour 2021. Avec cette fois une année pleine de crise, notamment dans les secteurs très touchés comme la restauration, l’hôtellerie ou le tourisme, doivent-elles s’attendre à de mauvaises surprises ?

Pour 2021, nous allons prendre de plus en plus en compte l’aspect qualitatif, avec des entretiens et des questionnaires adressés aux dirigeants. Car l’on sait bien que dans des périodes aussi troublées, il peut y avoir de très mauvaises situations. On essaye d’imaginer avec eux la possibilité de rebond dès que l’activité reprendra normalement.

La cotation se base notamment sur le chiffre d’affaires et l’échelle de risque de l’entreprise par rapport à ses crédits. Est-ce que les entreprises qui ont contracté un prêt garanti par l’État (PGE) peuvent être dégradées ?

Les PGE, qui rentrent en ligne de compte dans les conditions d’attribution des crédits bancaires, n’entraînent pas de diminution de cotation, en tout cas pas automatiquement. En revanche, quand les banques estiment qu’elles courent un gros risque de ne pas être remboursées, elles peuvent déclarer défaut. Mais parce qu’elles estiment ce risque de ne pas être remboursées, pas parce qu’il s’agit d’un PGE. À la Banque de France, on considère quand même ce PGE comme de l’endettement. Cela change un peu les ratios mais le PGE n’interdit pas l’accès aux autres financements. Nous n’avons pas intérêt à décoter tout le monde, nous ne sommes pas là pour sanctionner mais pour garder le "thermomètre" en bon état.

Certains dirigeants qui ont été "décotés" le vivent comme une double peine, une forme de sanction…

Ce sentiment est erroné. S’il y a une injustice, c’est le fait d’être durement touché par cette crise sanitaire, mais la Banque de France n’en rajoute pas. Nous constatons simplement que la vie est plus difficile, que certaines entreprises perdent énormément de chiffre d’affaires et ont des difficultés à remonter la pente. Nous ne disons évidemment pas que les entreprises durement touchées sont hors-jeu. Certaines d’ailleurs trouvent des solutions, de nouvelles activités. Mais nous leur demandons instamment d’accepter le rendez-vous qu’on leur propose par téléphone ou de répondre à nos questionnaires, car nous voulons être sûrs de ne pas mal interpréter les chiffres. Et si le dirigeant est ennuyé par sa cotation, il peut nous solliciter.

En quoi consiste ce questionnaire ?

Les précisions demandées aux entreprises vont au-delà de l’examen de leur bilan et nous permettent de mieux mesurer leurs capacités de rebond. Une enquête leur sera adressée au mois d’avril pour transformer le "qualitatif" en "quantitatif", et nous comptons sur leurs réponses car cela va nous faciliter la tâche. Nous allons aussi échanger avec environ 20 % des dirigeants cette année.

Le couperet "fatal", selon les chefs d’entreprise, c’est de passer de la cote 5 + à la cote 5. Pour quelle raison ?

Il existe un effet de seuil à ce niveau. Entre la cote 5 et la cote 5 +, les banques n’ont plus les mêmes obligations en termes de fonds propres et elles sont plus réticentes à prêter car elles vont payer le crédit plus cher. Si l’entreprise est à un moment charnière qui la fait basculer du côté des "moins finançables" et si elle estime que ce n’est pas juste, que l’on s’est trompé, elle peut demander une explication et se défendre. Mais si elle est en difficulté, ce n’est pas la faute de la Banque de France. On ne va pas juger bêtement des entreprises hors du contexte actuel, ni par exemple baisser systématiquement les entreprises du secteur de l’événementiel, c’est interdit.

Comment jugez-vous l’état de santé des entreprises ?

La photographie de 2020 est honnêtement très étonnante. La trésorerie de l’entreprise va mieux, les défaillances sont en baisse. Il s’agit là de l’effet concret des mesures publiques très protectrices.

Avez-vous eu à traiter davantage de dossiers de médiation du crédit pour les entreprises ?

Nous avons recensé 1 955 dossiers déposés en 2020, dont 1 663 éligibles, ce qui signifie dix fois plus qu’en 2019.

Combien d’entreprises ont contracté un PGE dans la région ?

Mi-mars 2021, on totalise 86 694 bénéficiaires pour 14,779 milliards d’euros accordés. La région Auvergne Rhône-Alpes pèse 13 % en nombre d’entreprises et 11 % en volume de montants. Nous sommes la région la plus consommatrice de PGE, ce qui est un signe de vitalité. Les cotes favorables sont plus nombreuses en Auvergne Rhône-Alpes tandis que les cotes moins bonnes sont moins nombreuses ici que dans le reste de la France. Les entreprises sont solides et plus résistantes que la moyenne nationale.

Êtes-vous optimiste concernant la reprise économique ?

La Banque de France a récemment révisé ses prévisions de croissance de 5 % à 5,5 % cette année. Mais les inconnues ne sont pas favorables aux plans et prévisions des entreprises et elles ont raison d’être prudentes. En Auvergne Rhône-Alpes, les carnets de commandes sont jugés à un niveau un peu plus correct dans l’industrie et le bâtiment que pour la moyenne nationale. Mais on nous dit encore qu’il y a des difficultés à trouver de la main-d’œuvre dans ces secteurs. Par ailleurs, les prévisions d’activité seraient plutôt bonnes s’il n’y avait pas la difficulté à trouver des matières premières. Le bémol porte sur les services touchés par le renforcement des mesures sanitaires. Et les carnets des travaux publics se sont dégradés car il y a des retards sur les marchés publics.

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