Annabel André : "La situation économique demeure tendue"
Interview # Attractivité

Annabel André vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes déléguée à l'économie et aux entreprises "La situation économique demeure tendue"

S'abonner

Un plan de relance d’un milliard d’euros annoncé au sortir du déconfinement et une volonté de sécuriser l’économie régionale tout en faisant le choix de ne pas laisser de territoires de côté. Annabel André, vice-présidente de la Région Auvergne-Rhône-Alpes déléguée à l’économie et aux entreprises fait le point, à l'avant veille de l'annonce du confinement, sur l’état de l’économie régionale tout en concédant un vrai manque de visibilité pour les mois à venir.

Annabel André, vice-présidente de la Région Auvergne-Rhône-Alpes déléguée à l’économie et aux entreprises partage son incertitude sur la situation économique pour les mois à venir — Photo : Région Auvergne-Rhône-Alpes

Le Journal des Entreprises : Quelle est la situation économique dans la région selon les indicateurs dont vous disposez ?

Annabel André : La crise sanitaire a frappé de plein fouet l’ensemble du territoire régional. L’industrie et le tourisme ont été parmi les secteurs les plus impactés. Depuis le déclenchement de la crise, un salarié sur deux a été placé en chômage partiel et 60 % des entreprises ont fait état de problèmes de trésorerie ou en ont encore. La situation économique demeure tendue. Sur l’industrie, il y a des inquiétudes en particulier dans le secteur de l’automobile et de l’aéronautique. Nous constatons un léger redémarrage pour l’aéronautique puisqu’Airbus a l’air de jouer le jeu avec ses sous-traitants de la région. Mais l’avenir est parsemé d’inquiétude. On ne sait pas s’il va y avoir d’autres effets qui viendront s’ajouter aux difficultés actuelles. Pour les acteurs du tourisme et de la restauration notamment, le couvre-feu à 21 heures est un couperet dangereux.

L’épidémie repart ces dernières semaines, craignez-vous les effets éventuels sur le tourisme hivernal ?

Annabel André : Les nouvelles restrictions décidées depuis le début du mois d’octobre interrogent sur plusieurs plans notamment pour les embauches de saisonniers. Pour les activités touristiques hivernales, les entreprises recrutent habituellement à l’automne. Aujourd’hui, elles ne savent pas sur quel pied danser. Doivent-elles recruter des CDD d’un mois ou pour toute la saison ? Pire, on ne sait même pas si elles auront le droit d’ouvrir.

Photo : Région Auvergne-Rhône-Alpes

Quel bilan tirez-vous de l’activité régionale depuis mars, malgré les difficultés ?

Annabel André : Nous sommes la première région industrielle de France avec 500 000 emplois industriels et première région de la sous-traitance dans plusieurs domaines d’activité comme l’automobile, la plasturgie, l’aéronautique et la chimie. On peut compter aussi sur une forte dynamique dans le tourisme et l’agroalimentaire et les produits issus de l’agriculture. Nos territoires disposent également chacun d’une forte spécialisation : décolletage automobile et aéronautique dans les deux Savoie, la plasturgie dans l’Ain, la mobilité à Clermont-Ferrand… Notre écosystème fonctionne autour de leaders, des grands groupes et des ETI, qui se structurent jusqu’aux start-up et laboratoires d’innovations. Ce sont nos forces. De plus, nous avons la chance de pouvoir compter sur un riche terreau d’entreprises familiales qui ont cette volonté de construire ensemble autour du territoire.

Cette dynamique s’est illustrée pendant la crise aussi bien par des repositionnements d’activité que par des collaborations…

Annabel André : Cette crise a mis en avant notre ADN entrepreneurial et révélé la capacité de nos entreprises à se réinventer et à se repositionner. Nous avons de très beaux exemples avec Savoy International, spécialisé dans le décolletage à Cluses (Haute-Savoie), qui a transformé son usine très rapidement pour fabriquer des masques. On a aussi aperçu une forte solidarité entre les entreprises. Plusieurs exemples l’illustrent : Evian a mis à disposition des bouteilles pour le conditionnement du gel hydroalcoolique, des entreprises se sont regroupées pour fabriquer des masques ou des respirateurs. Il y a eu une vraie solidarité économique durant cette crise.

Malgré la crise, la fréquentation touristique a été relativement bonne dans la région. Est-ce un secteur sur lequel s’appuyer ?

Annabel André : Notre région a pu profiter, cet été, d’un fort engouement touristique. On a un territoire très complet et hautement attractif. La filière outdoor a très bien marché par exemple. Les consommateurs se sont tournés vers ce type d’activité et l’achat de matériel de loisirs en extérieur par exemple. Mais on voit que le coût des mesures de protection dans les restaurants entraîne une réduction de leurs marges. Tous les acteurs du tourisme sont dans une incertitude totale sur la manière d’envisager l’avenir. C’est une vraie inquiétude. Cette absence de visibilité sur la fréquentation touristique a également un impact sur l’emploi et se ressent jusque dans les projets de travaux, ce qui impacte le secteur du BTP.

La Région a dévoilé un plan de relance doté d’un milliard d’euros pour soutenir l’économie. Quelle somme a déjà été réellement débloquée ?

Annabel André : Il est compliqué de dire aujourd’hui combien ont été dépensés. Le plan de relance se répartit globalement autour de 330 millions d’euros de "Bonus Relance" pour inciter les communes de moins de 20 000 habitants à engager des investissements et stimuler la commande publique, en particulier dans le BTP. Dans le cadre des Contrats Plan État-Région, nous avons prévu d’engager 100 millions d’euros destinés à créer jusqu’à 300 millions d’euros d’effets de levier. Il y a également 90 millions d’euros qui sont dédiés à renforcer l’économie de proximité et qui s’adressent aux commerçants disposant de projets de rénovation. 335 millions d’euros sont d’ailleurs dédiés au maintien de l’activité en région et aux projets de relocalisations.

Justement, où en sont les projets de relocalisation que la Région accompagne ?

Annabel André : L’objectif est de sécuriser et de créer des emplois en Auvergne-Rhône-Alpes. L’exemple de Vicat qui a relocalisé son siège social à l’Isle-d’Abeau est important. Cela a un effet puissant sur le territoire puisque le donneur d’ordre aura tendance à trouver des fournisseurs, des sous-traitants et des cotraitants proches de son lieu d’installation. On a beaucoup de demandes en cours avec des dossiers encore confidentiels. Hermès a par exemple acté la création de 250 emplois à Riom (Puy-de-Dôme) autour d’un projet de relocalisation. Aledia en Isère va développer son activité de microLED sur notre territoire. Sur ce dossier, nous étions en concurrence avec d’autres pays donc c’est une excellente nouvelle. Texinov (Isère) qui fabrique notamment la matière filtrante pour les masques, se développe aussi chez nous. Un autre très bel exemple, est celui porté par Babolat, Salomon, Millet et Chamatex à Ardoix (Ardèche) qui vont fabriquer des baskets localement.

Pour Annabel André, la crise du Covid-19 "a mis en avant l'ADN entrepreneurial et révélé la capacité des entreprises régionales à se réinventer et à se repositionner." — Photo : Région Auvergne-Rhône-Alpes

Quels sont les secteurs privilégiés pour ces projets de relocalisation ?

Annabel André : Tous les projets de relocalisation qui créent des emplois chez nous sont les bienvenus, bien évidemment. Mais nous devons aussi consolider les entreprises qui sont déjà fortes sur notre territoire, que ce soit sur la sous-traitance automobile et aéronautique, sur la santé, la plasturgie, la chimie ou la mobilité.

Le plan de relance contient 115 millions d’euros destinés à tendre vers une économie plus numérique et plus verte. Qu’est-ce cela recouvre ?

Annabel André : Nous misons aussi bien sur le développement de la filière hydrogène que sur le numérique à travers une approche d’aménagement du territoire. Pendant cette crise, le télétravail a été plébiscité par plus d’un salarié sur deux. Nous devons offrir les conditions d’exercice de l’activité économique partout sur le territoire régional.

Comment la Région compte-t-elle tirer son épingle du jeu en matière d’hydrogène ?

Annabel André : Laurent Wauquiez (le président de Région, NDLR) s’est positionné dès le début du mandat sur l’hydrogène. Nous sommes déjà très mobilisés sur le sujet à travers le plan Zero Emission Valley pour lequel on travaille à la fois sur le déploiement de stations et en même temps sur la mise en place d’une flotte de véhicules hydrogène. La filière a besoin de créer les conditions d’un marché. Ce sont des enjeux économiques mais aussi d’aménagement du territoire pour mailler la région d’infrastructures. Dans ce cadre, on accompagne, par exemple, Iveco pour les amener à avancer sur des véhicules à hydrogène.

Comment les chefs d’entreprise peuvent-ils demander de l’aide ?

Annabel André : La porte d’entrée se fait via notre agence de développement économique, Auvergne-Rhône Alpes Entreprises où 130 personnes sont à l’écoute des entreprises quels que soient leurs projets. Le site Ambition Eco Auvergne Rhône-Alpes est la vitrine de tous nos dispositifs et permet d’entrer en contact avec nos conseillers, déposer des dossiers et suivre leur avancée. La Région a aussi mis en place pendant le confinement un numéro vert qui est toujours ouvert. 25 000 chefs d’entreprise ont été accompagnés depuis son lancement. Enfin, il y a le dispositif Care mis en place avec les chambres consulaires, le Medef, la CPME, la Direccte, Bpifrance et la Banque des Territoires. On travaille main dans la main pour présenter les dispositifs d’aides de l’écosystème régional.

Solvay renonce à s’implanter dans la Vallée de la Chimie, de même que Carbiolice qui reste à Clermont-Ferrand. La région lyonnaise subit de plein fouet la crise Covid. Comment enrayer cette spirale ?

Annabel André : Nous devons, tous, être attractifs et facilitateurs, en étant alignés sur une stratégie d’accueil de projets industriels. Mais il faut se méfier des mauvais signaux, de l’industrie bashing et des positions dogmatiques provenant de ceux qui prônent la décroissance, ne souhaitent pas accueillir d’industrie ou sont opposés aux grands événements. Les investisseurs ont besoin d’être rassurés pour s’engager sur notre territoire. Cela passe par la nécessité de tisser un vrai lien de confiance. On a une région très attractive sur le plan économique avec une qualité de vie indéniable. Ce sont des traits qu’il faut mettre en avant, tout en valorisant notre terreau d’excellence d’universités, d’écoles, de laboratoires de recherche.

Vous parlez de dogmatisme mais le renoncement de Solvay, par exemple, ne date pas du résultat des dernières élections municipales et métropolitaines. N’y a-t-il pas, finalement, une perte d’attractivité de la Vallée de la Chimie tout simplement ?

Annabel André : On a une plateforme industrielle extraordinaire et unique. Dans le Roussillon, on a aussi la plateforme Osiris qui est tout aussi extraordinaire. On détient sur ces sites des compétences très fortes en chimie et en pharmacie. Il y a peut-être une nécessité de communiquer davantage. Je ne pense pas que la Vallée de la Chimie soit moins attractive qu’avant.

# Attractivité