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Les PME alsaciennes voient leur avenir en Scop
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Les PME alsaciennes voient leur avenir en Scop

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À Strasbourg, l’Eurométropole finance une antenne locale de l’Union régionale des sociétés coopératives du Grand Est afin de favoriser le développement des Scop sur son territoire. En Alsace, leur nombre a augmenté de 40 % ces cinq dernières années. Cet essor témoigne d’un changement d’image pour ces sociétés devenues propriétés de leurs salariés.

À Kingersheim, le charcutier Maurer Tempé Alsace affiche fièrement son statut de Scop sur le fronton de son site de production — Photo : Charlotte Stiévenard

Dès ce mois de mai 2022, les salariés qui souhaitent reprendre leur entreprise sauront vers qui se tourner à Strasbourg. L’Union régionale des Sociétés coopératives et participatives (Urscop) Grand Est, dont le siège est à Nancy, y ouvre une antenne locale, financée par l’Eurométropole à hauteur de 180 000 euros en quatre ans.

Strasbourg souhaite développer ce modèle d’entreprise sur son territoire, car "la gouvernance démocratique nous intéresse", indique Pierre Roth, le vice-président de l’agglomération en charge de l’économie sociale et solidaire. Dans ces sociétés, les salariés peuvent être associés et détiennent au moins 51 % du capital. Chaque associé compte pour une voix lors des assemblées générales, quel que soit le montant de son capital.

Des entreprises résilientes

"Ce sont des entreprises résilientes", ajoute Pierre Roth. En témoigne leur taux de pérennité à cinq ans. "Fin 2019, il était de 70,1 % (73 % en 2021) contre 61 % pour l’ensemble des entreprises françaises", souligne l’Urscop. Pour le vice-président de l’agglomération, cela s’explique car "une partie du résultat de ces sociétés est considérée comme de la réserve impartageable et vient consolider les fonds propres". Une autre part revient à tous les salariés sous forme de participation ou complément de salaire et une dernière peut revenir aux salariés associés sous forme de dividendes. Un autre modèle existe aux côtés des Scop, les Sociétés coopératives d'intérêt collectif (Scic) dans lesquelles les associés peuvent aussi être des clients, fournisseurs, bénévoles, mais également des collectivités, associations ou entreprises privées.

34 sociétés coopératives dans l’Eurométropole

L’Urscop et l’Eurométropole veulent ainsi renforcer l’accompagnement d’un mouvement déjà bien présent en Alsace. Ces cinq dernières années, le nombre de sociétés coopératives alsaciennes a brusquement augmenté de 40 %. Après plus d'une trentaine d'années d'existence du mouvement et une cinquantaine de Scop existantes, en cinq ans, une vingtaine de Scop et de Scic sont venues rejoindre le lot. Aujourd'hui, l'Alsace compte ainsi 69 sociétés coopératives sur ce territoire qui représentent 1 885 salariés. 34 de ces entreprises (1 040 salariés) se trouvent spécifiquement dans l’agglomération de Strasbourg, qui n’en comptait que 13 en 2 000. Une goutte d'eau si l'on compare ce chiffre au nombre d'entreprises en Alsace, qui en 2020 s'élevait à 81 894 entreprises en tout, dont 26 283 dans l'Eurométropole de Strasbourg, selon la Chambre de commerce et d'industrie Alsace Eurométropole. Mais peut-être aussi les prémices d'un mouvement de fonds révélant une volonté de gérer l'entreprise autrement mais aussi un moyen d'assurer sa pérennité et l'engagement des salariés.

Parmi les dernières nées se trouve ainsi Quonex Alsatel (CA 2021 : entre 7,2 et 7,3 M€, 56 collaborateurs) à Holtzheim, dans l’Eurométropole. Si l’entreprise a été fondée en 1947, elle est devenue une coopérative en 2018, lorsqu’une trentaine de salariés a décidé de la reprendre à la barre du tribunal, alors qu’elle était en liquidation judiciaire. Parmi eux se trouvait Julien Leroy, aujourd’hui directeur technique de la société : "Après un rachat par le groupe Eiffage en 2007, puis par le fonds d’investissement allemand Quantum Capital Partners en 2016, nous en avions assez d’être rachetés par des groupes".

Si les reprises d’entreprises en difficulté comme Quonex Alsatel sont souvent mises en avant dans les médias, elles ne représentent aujourd’hui qu’une petite part des sociétés coopératives nouvellement créées, soit 4,4 % ces cinq dernières années. 63,8 % du total sont des créations ex nihilo, 15,3 % des transformations d’associations ou de coopératives et 16,5 % des transmissions d’entreprises saines.

Plus de transmissions d’entreprises

"Nous pensons que dans la situation post-Covid, compte tenu de l’âge des chefs d’entreprise en Alsace qui ont souvent plus de 50 ans, beaucoup vont baisser les bras. Nous voulons les rencontrer et les informer qu’une possibilité en matière de transmission d’entreprise est la transmission aux salariés", souligne Pierre Roth de l’agglomération de Strasbourg.

C’est vers cette solution que veut pousser l’Urscop Grand Est, dont Marie-Madeleine Maucourt est la directrice : "Les professionnels de la transmission, comme les experts-comptables ou les avocats ne pensent pas à nous. Ce sont les dirigeant qui viennent vers nous, quand ils cherchent un repreneur parmi leurs salariés", précise-t-elle. Or, selon elle, "une reprise collective est plus confortable. Cela permet de ne pas s’endetter jusqu’au cou et de garder une protection sociale comparable. C’est relativement viable, même si ce n’est pas dans la culture française".

L’Alsace compte, justement, un exemple de transmission réussie de longue date. L’entreprise guebwilleroise (Haut-Rhin) de BTP Mader, est devenue une Scop en 1986. À l’époque, le dirigeant part à la retraite. Il veut éviter, lui aussi, de revendre l’entreprise familiale à un grand groupe. 35 ans plus tard la Scop Mader a réalisé 17,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021 pour 91 collaborateurs. Jean-Marc Kornacker, reconduit PDG de la Scop Mader par les salariés de 1995 à 2021, explique qu’aux débuts de la Scop Mader, ce modèle de gouvernance était encore peu courant, car il avait mauvaise réputation dans l’opinion publique : "Tout le monde disait que c’était un système communiste, que cela ne fonctionnerait pas. Aujourd’hui, c’est reconnu, car il y a de très belles réussites. C’est plus facile d’en parler", explique l’ancien dirigeant. Son fils, Maxime Kornacker, a été élu à son tour PDG en 2021. Il a choisi de mettre en avant le statut de coopérative de la société, au sein même de l’entreprise, avec une journée de formation destinée aux salariés début 2022 : "il s’agit d’entretenir leur motivation, de leur rappeler qu’ils sont propriétaires de leur entreprise. C’est ce qui fait la différence chez nous".

30 ans d’expérience

"Aujourd’hui, nous pouvons porter la véritable image des Scop en nous appuyant sur la dizaine de coopératives qui ont plus de 30 ans en Alsace", complète Hervé Mareschal. Le président de l’Urscop Grand Est est aussi le directeur de Société de travaux publics Mader (STP Mader). Cette filiale de la Scop Mader est elle-même une société coopérative. Elle a réalisé 10,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020 pour 66 collaborateurs. Selon Hervé Mareschal, au départ, "l’image des Scop a été entachée par quelques échecs médiatisés, comme celui de Manufrance". L’entreprise stéphanoise (Loire), spécialisée dans la vente par correspondance, n’avait, en effet, pas tenu cinq ans après sa reprise par ses salariés en 1980. En Alsace, les exemples de réussite sont nombreux. Le président de l’Urscop Grand Est cite aussi la Fonderie de la Bruche, installée à Schirmeck, dans le Bas-Rhin. Transformée en Scop par une vingtaine de salariés à l’issue d’une liquidation judiciaire en 1981, elle a réalisé 22 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021 pour 160 salariés (CA 2020 : 16,6 M€, résultat net 2020 : 2,37 M€).

"Il y a un phénomène d’exemplarité, confirme Marie-Madeleine Maucourt, mais aussi de capacité d’ingénierie et de capacité financière". Chaque coopérative cotise, en effet, à l’union des Scop, ce qui permet d’alimenter à la fois les fonds d’investissement nationaux du mouvement, comme Socoden et Scopinvest, mais aussi un fonds créé spécifiquement pour les sociétés du Grand Est, Aficoop.

Des associés en nombre

Par ailleurs, la directrice de l’Urscop Grand Est distingue une caractéristique spécifique au mouvement alsacien. "Nous avons beaucoup de projets plus collectifs, avec des sociétés de 40, 50 voire 100 personnes". C’est le cas de Maurer Tempé Alsace, à Kingersheim, dans le Haut-Rhin. Le charcutier affiche fièrement son slogan sur le fronton de son bâtiment de briques : "l’entreprise qui appartient à ses salariés".

En 2019, lorsque plusieurs cadres veulent reprendre l’entreprise en difficulté, les banques se détournent d’eux. L’image de Maurer Tempé est entachée par de nombreux plans sociaux. À 103 salariés, ils la reprennent finalement sous forme de Scop avec l’aide des fonds Socoden et Aficoop. Deux ans plus tard, la société a réalisé un chiffre d’affaires de 23,7 millions d’euros en 2021 et vise les 26 millions en 2026 (CA 2020 : 16,6 M€, résultat net 2020 : 2,37 M€).

"Aujourd’hui, être une coopérative est un atout, assure Mathieu Rouillard, le PDG. Cela favorise le développement local, avec des belles PME régionales. Dans un contexte de contrecoup de la mondialisation avec la crise sanitaire, c’est une démarche de bon sens. De plus, cela rencontre un écho très favorable auprès des distributeurs".

Les Scop alsaciennes semblent donc s’affirmer avec le temps. Comme l’indique Maxime Kornacker de la Scop Mader, "le fait d’inclure les salariés dans la prise de décision est dans l’ère du temps", mais peut-être aussi dans la culture du territoire. "Le poids important de l’économie sociale et solidaire n’y serait pas pour rien", laisse entendre la directrice de l’Urscop.

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