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L'énergie solaire déploie ses rayons dans le Grand Est
Enquête Grand Est # Industrie

L'énergie solaire déploie ses rayons dans le Grand Est

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Pour réduire la dépendance aux énergies fossiles, contrecarrer la flambée de leurs coûts et répondre aux exigences du développement des sources d’énergies renouvelables, la filière du photovoltaïque se structure dans la région Grand Est.

Le Bas-rhinois Voltec Solar est le seul fabricant de panneaux photovoltaïques dans le Grand Est — Photo : André KISTER

Diviser le volume de consommation d’énergie de la Région Grand Est par deux d’ici 2050. À travers cet objectif, la région prend la route des économies d’énergie, et pour ce faire a mis en place un Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le SRADDET.

D’ici 2050, le développement des énergies renouvelables devra avoir été multiplié par 3,2 dans le Grand Est. "Dans ce contexte, le solaire a toute sa place puisque le coût de cette technologie a diminué de 80 % en dix ans en raison de l’évolution des technologies", estime Franck Leroy, premier vice-président du conseil régional du Grand Est. Pour l’élu en charge de l’environnement, de la transition écologique, et du SRADDET, "même dans des régions du Nord et de l’Est de la France, le niveau de performance se développe".

En 2021, l’électricité du Grand Est provenait "pour 2 %, d’une source photovoltaïque". Franck Leroy insiste : "en 2050, cela pourrait représenter 20 à 30 %". Au point de s’imaginer des panneaux solaires à perte de vue d’ici 30 ans, qu’il s’agisse de centrales au sol ou sur les toits d’infrastructures privées ou publiques ? Cette révolution énergétique a-t-elle les moyens de se développer en comptant sur une filière industrielle régionale à la hauteur de l’enjeu ?

15 ans de recul en France

Avec environ un millier d’emplois non délocalisables générés actuellement par la filière dans le Grand Est et un potentiel de 4 400 emplois supplémentaires d’ici 2050, les professionnels du secteur commencent à se structurer. La filière est composée en amont de fabricants de panneaux photovoltaïques, de bureaux d’études, de distributeurs, d’installateurs, des services de maintenance et aussi de l’aval avec le recyclage. Selon de premières estimations de la la CCI Alsace Eurométropole, la filière compterait environ 300 entreprises dans le Grand Est dont 140 en Alsace. Hormis le recyclage, tous ces métiers sont présents dans le Grand Est.

Dans l’Hexagone, la filière est relativement jeune. Ses premières impulsions datent d'il y a une quinzaine d’années, lorsque le gouvernement a instauré une obligation d’achat par EDF à des prix élevés de l’énergie produite par panneaux photovoltaïques. Mais, face à l’emballement des projets photovoltaïques, l’État a finalement fait volte face en fin d’année 2010. Un décret a instauré une situation de moratoire concernant les aides publiques fléchées vers cette source solaire, EDF n’étant plus obligé d’acheter l’électricité solaire aux conditions tarifaires de l’époque. Puis le cadre législatif a relancé et facilité l’autoconsommation d’électricité à partir de 2017, qu'elle soit totale ou partielle, individuelle ou collective.

"90 % des entreprises du photovoltaïque ont dû fermer en conséquence du moratoire", pointe Michaël Godet, président de l’association Cap à l’Est des entreprises de la filière. Frédéric Rohmer, président d’Ecosun Innovation, (CA 2021 : 5 M€, 25 collaborateurs), développeur de projets photovoltaïques à Hombourg (Haut-Rhin), se souvient quant à lui de "ce coup d’arrêt en 2011. Le pays a pris du retard mais il a fallu ce passage nécessaire pour que le métier trouve sa voie".

Industrialisation

"L’ensemble de la filière s’industrialise. Il y a de plus en plus de demandes et le volume est là", assure le dirigeant qui souligne avoir toujours défendu l’empreinte locale en privilégiant les composants d’origine européenne "alors que le marché est à 85 % asiatique. On peut produire des installations solaires au plus proche de leur lieu de consommation et le prix du matériel a été divisé par cinq à six en dix ans". Une dynamique que ne contredit pas Voltec Solar (CA 2021 : 55 M€ ; 100 collaborateurs) à Dinsheim-sur-Bruche (Bas-Rhin). Avec ses 450 000 panneaux produits par an, le seul fabricant de panneaux solaires dans la région joue la carte de l’écoconception face à des géants asiatiques qui ont atteint les économies d’échelle par des investissements massifs. "Les panneaux solaires fabriqués ici ont un impact environnemental moindre, critère à prendre en compte dans les appels d’offres français. Le module photovoltaïque chinois ne rembourse pas sa dette carbone", argumente Lucas Weiss, dirigeant de Voltec Solar. Cette année, l’entreprise veut investir 14 millions d’euros et embaucher une centaine de personnes pour doubler ses capacités de production.

Fédérer la filière

Pour accompagner cette dynamique, frémissante depuis 2017 et confortée par le lancement d’un appel d’offres solaire ouvert en 2019, spécifiquement pour le territoire du Haut-Rhin dans le cadre de la reconversion du territoire de Fessenheim après la fermeture de sa centrale, la filière se fédère petit à petit. Pour cela, l’association Cap à l’Est a été fondée début 2021. Soutenue par la CCI et la Région Grand Est dans le cadre du programme Climaxion d’accompagnement à la transition énergétique avec l’Ademe, l’association regroupe pour le moment une quinzaine de professionnels régionaux de la filière. Pour Michaël Godet, président de l’association et directeur commercial d’Enerios (CA 2021 : 5,3 M€ ; 30 collaborateurs), installateur et développeur photovoltaïque à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin) "Cap à l’Est va à la rencontre des donneurs d’ordre -les élus et les industriels - pour démystifier le photovoltaïque".

Besoins en formation

Pour que la filière régionale trouve son rythme de croisière, l’enjeu est donc multiple. Aussi bien en matière de surfaces à équiper en panneaux qu’en matière de compétences humaines. Pour Christine Reinherr, conseillère d’entreprises au sein du pôle salon et relations d’affaires de la CCI Alsace Eurométropole, "la filière en plein essor est confrontée à la difficulté de trouver des gens à former et de mettre en place une formation initiale auprès des jeunes". C’est ce à quoi travaillent d’ailleurs Cap à l’Est, la Fédération du bâtiment 68 et les organismes de formation régionaux. Deux sessions de formation d’installateurs de panneaux ont déjà été lancées depuis 2020. De quoi satisfaire quelques besoins, à l’image de ceux d’Ecosun Innovation. Frédéric Rohmer reconnaît que "le marché est tendu sur les profils techniques. Nous employons 25 collaborateurs et prévoyons de compter 50 collaborateurs d’ici trois ans". Étienne Barilley, président de la section haut-rhinoise de la fédération du bâtiment met aussi en garde : " nous veillons à l’exigence technique et chassons déjà les arnaques à l’isolation. Le photovoltaïque doit pouvoir se doter de réelles qualifications pour éviter les mauvaises surprises ".

Cadre réglementaire

Des évolutions législatives bénéficient aussi, aujourd'hui, au développement de la filière. A commencer par la loi Énergie Climat de 2019, qui oblige toute construction neuve à usage tertiaire ou industriel de 1 000 m² de produire 30 % d’énergie renouvelable en toiture, qu’il s’agisse d’une toiture végétalisée ou de panneaux solaires. Ce seuil va par ailleurs être abaissé à 500 m² en juillet 2023. De plus, depuis octobre 2021 un décret et un arrêté viennent simplifier le cadre réglementaire de l’installation de panneaux photovoltaïques sur des grandes surfaces de toiture déjà bâties en multipliant par cinq la puissance maximale autorisée en tarif d’achat garanti de l’électricité produite (passant de 100 à 500 kilowatts crête de puissance).

De par son caractère industriel, la région compte un potentiel important de friches et de terrains dits "dégradés" que la législation autorise à utiliser pour installer des centrales photovoltaïques au sol. Mais les terrains dégradés seuls ne permettent pas d’atteindre les objectifs du STRADDET, de 5 200 mégawatts crête en capacité installée à l’horizon 2050. Actuellement, cette capacité est de 900 mégawatts crête installés dans le Grand Est depuis 2007. L’objectif est d’installer 120 mégawatts crête par an.

Autoconsommation

C’est là qu’entre en jeu le bâti d’entreprises qui voient, dans le contexte de flambée des coûts de l’énergie, un intérêt pour ces installations solaires, pour une finalité de vente ou d’autoconsommation de l’énergie produite. "Quand on évoque le photovoltaïque, on pense à des installations dans le sud de la France du fait de l’ensoleillement. Pourtant, il existe un dynamisme en matière de toitures industrielles dans le Grand Est ", constate Lucas Weiss, DG de Voltec Solar.

Une illustration de ce dynamisme peut se lire dans les lignes des subventions accordées par la Région Grand Est qui va consacrer cette année 8,5 millions d’euros pour le développement des énergies renouvelables, toutes sources confondues. En 2021, elle a accordé 2,205 millions d’euros de subventions pour 239 projets d’installation de panneaux photovoltaïques (dont 117 projets provenant d’entreprises). En 2019, on comptait 61 projets d’installation de panneaux photovoltaïques (dont 37 projets portés par des entreprises) pour 665 000 euros de subventions.

Convaincus par le solaire face à l’explosion du prix de l’énergie, plusieurs entrepreneurs alsaciens viennent de finaliser des installations. Comme Les sources de Soultzmatt (CA : 11 M€ ; 43 collaborateurs), société qui embouteille eaux minérales et boissons à Soultzmatt (Haut-Rhin). En 2021, elle a installé pour 110 000 euros 700 m² de panneaux photovoltaïques pour autoconsommer l’équivalent d’environ 12 % de sa consommation annuelle d’énergie.

Même constat à l’imprimerie Mack (CA 2021 : 1,4 M€ ; 11 salariés) à Oberhergheim (Haut-Rhin). "On peut réaliser des économies d’électricité en isolant mieux. En parallèle, les besoins en énergie augmentent pour accompagner la hausse de la production pour la croissance de l’entreprise. Dans un contexte d’augmentation du coût du kilowatt, l’autoconsommation s’étudie", explique le gérant Julien Mack. Depuis décembre 2021, l’entreprise dispose de 500 m² de panneaux photovoltaïques sur sa toiture de 2 600 m².

Patrimoine public

Pour développer les installations photovoltaïques, les collectivités locales jouent aussi un rôle à travers des appels d’offres pour équiper leur patrimoine bâti. C’est par exemple le cas de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA). "L'installation de panneaux photovoltaïques est issue d’une réflexion datant de 2019, explique ainsi Estelle Leroy, ingénieure transition énergétique au sein de la CeA. Les élus souhaitaient réduire les dépenses de fonctionnement de la collectivité en réalisant des économies d’énergie et contribuer au développement, localement, d’une filière photovoltaïque. Le budget global de l’opération est de 17 millions d’euros pour équiper, sur cinq ans, une vingtaine de toitures de collèges et de bâtiments publics de la collectivité par an". La Région, en charge des lycées, projette, elle aussi, d’équiper ses établissements.

Hormis les industries et le bâti des collectivités, un autre secteur d’activité pourrait tirer son épingle du jeu dans les projets photovoltaïques, l'agrivoltaïsme, ou le développement du photovoltaïque combiné à une activité agricole (lire par ailleurs).

Une volonté politique ?

Selon le président de Cap à l’Est, "dans toutes les régions où il y a une démarche en faveur des énergies renouvelables, ça aide à déployer le photovoltaïque. En 2020, on a par exemple installé plus de panneaux solaires dans la région Grand Est qu’en région Sud (ex-région PACA)". Une volonté politique qui suit son chemin dans le Grand Est puisque la région a acté mi-décembre 2021 la création d’une société régionale d’investissement pour co-investir dans des projets de développement des énergies renouvelables. Celle-ci sera dotée d’un capital compris entre 10 et 15 millions d’euros avec une participation majoritaire de la Région. L’institution se donne maintenant six mois pour boucler sa forme juridique et son tour de table.

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