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Le déclic numérique des commerces alsaciens
Enquête Alsace # Commerce # Réseaux d'accompagnement

Le déclic numérique des commerces alsaciens

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L’année 2020 a été particulièrement difficile pour les commerces alsaciens. Les confinements, dont le deuxième juste avant les fêtes de fin d’année, les ont plongés dans l’incertitude. Beaucoup ont choisi de se lancer dans un nouveau métier en numérisant leur boutique. Les collectivités et les organisations professionnelles se mobilisent pour accompagner cette évolution.

La boutique associative du Générateur, à Strasbourg, a investi 3 000 euros dans la création d'un site de e-commerce qui lui a permis de récolter 5 000 euros de chiffre d'affaires en deux mois — Photo : ©Fabrice Serrario

Selon la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance (Fevad), la vente en ligne représente désormais 13,4 % du commerce de détail en France, soit 3,6 points de plus en un an. Son chiffre d’affaires atteint désormais 112,2 milliards d’euros, en hausse de 8,5 % en 2020. En Alsace, comme ailleurs en France, les e-boutiques se sont multipliées pendant la crise sanitaire et plus particulièrement avant la période des fêtes.

À Strasbourg, le Générateur a sauté le pas début décembre 2020. "Nous avons mis notre site d’e-commerce en place juste avant les fêtes, explique Ivan Vollet, le directeur de cette boutique associative (CA 2019 : 184 100 euros, 3 collaborateurs) qui compte une quarantaine d’artistes et d’artisans membres. Nous savions que c’était quelque chose de fastidieux, car nous avons de nombreuses références et pièces uniques." "Ce qui a provoqué le déclic, ce sont les confinements et l’arrivée des aides pour la digitalisation", indique le directeur.
"Nous avons travaillé sur l’e-boutique avec le développeur de notre site, car il connaissait bien l’esprit de la boutique. Or, pour obtenir la subvention qui nous intéressait, il fallait travailler avec des sociétés
agréées par la Région Grand Est qui n’offraient pas ce que nous recherchions, notamment la prise de photos", explique Ivan Vollet qui envisageait, début février, de demander d’autres types d’aides. La boutique en ligne du Générateur aura finalement coûté 3 000 euros. En deux mois, elle avait permis de réaliser un chiffre d’affaires d’environ 5 100 euros. Une vente spéciale via le réseau social Instagram a également apporté 1 292 euros. « Elle nous a permis d’activer la communauté et nous avons immédiatement senti les effets sur le site web », se réjouit Ivan Vollet.

Le numérique, un réflexe pour les jeunes commerçants

La crise sanitaire a également précipité la digitalisation de Tchungle. Cette jardinerie, située au centre-ville de Strasbourg (deux cofondateurs ; deux apprentis ; CA prévisionnel : 300 000 euros), a ouvert le 12 mai 2020, avec deux mois de retard en raison du confinement. « Avoir un site internet était la base pour nous, pour afficher nos horaires, nous situer sur les plans interactifs et permettre au client de préparer son achat en amont. Ce que les confinements ont accéléré, c’est la mise en place d’un click & collect », reconnaît Stéphane Baumgartner, le cofondateur, qui prévoyait au départ de lancer le retrait de commandes d’ici deux à trois ans. 70 % de la clientèle de Tchungle est âgée de 20 à 35 ans, une génération tout aussi connectée que les fondateurs, qui ont créé et mis en ligne eux-mêmes leur site. Pour la boutique en ligne, ils ont utilisé un logiciel canadien de gestion d’e-commerce.

Les efforts ont payé puisque la boutique strasbourgeoise a été sélectionnée par les services de Google pour apparaître dans un spot publicitaire diffusé entre novembre 2020 et janvier 2021 en ligne et à la télévision. Le géant du web y fait la promotion de ses outils pour faciliter la vie des consommateurs et des commerçants. Une opportunité inattendue pour Stéphane Baumgartner, qui avait investi dans sa propre campagne publicitaire auprès des annonceurs locaux : « en janvier, le chiffre d’affaires a progressé de 20 % par rapport à nos prévisions. »

Les collectivités locales en soutien

Cette effervescence autour de la digitalisation des commerces n’est pas passée inaperçue. Les collectivités locales ont choisi d’accélérer leur politique en la matière. À Mulhouse, la municipalité a créé un catalogue en ligne pour les commerçants : www.monshopping-mulhouse.fr. Sur cette plateforme web, les utilisateurs sont redirigés vers différentes enseignes, avec leurs horaires, les types de livraison pratiqués. Des liens mènent vers les sites en propre et les boutiques d’e-commerce. Ceux qui n’ont pas encore digitalisé leurs ventes ont la possibilité de créer une boutique en ligne abritée sur la plateforme pour 45 euros par mois. Une autre option permet de prendre rendez-vous en magasin.

Ce site, développé par Keyneosoft, une société de l’agglomération lilloise, aura coûté moins de 10 000 euros. « Nous sommes dans une démarche de valorisation de la demande des commerçants qui se digitalisent », décrit Frédéric Marquet, le « manager » du commerce de la Ville de Mulhouse. Début février 2021, environ 400 commerçants étaient inscrits sur la plateforme, alors que Mulhouse en compte un millier. Pendant le confinement, un partenariat avec la filiale mulhousienne du groupe de transport de colis américain Mail Boxes Etc. a été noué, fixant un prix de livraison de cinq euros dans un périmètre de 30 km.

L’Eurométropole de Strasbourg (EMS) a, quant à elle, privilégié un accompagnement plus global. Dès juin 2020, elle a ainsi mis en place le dispositif Beecome, visant à accompagner la transition numérique des entreprises de moins de 50 salariés. Leur investissement s’élève en moyenne à 4 000 euros et l’EMS prend en charge 50 % des frais de digitalisation à concurrence de 1 500 euros. « Avec ce dispositif doté d’une enveloppe de 300 000 euros, nous envisagions d’accompagner 50 à 100 entreprises. En six mois, nous avons finalement reçu 223 demandes pour des projets de sites internet, d’e-commerce et de réseaux sociaux. 132 dossiers venant de 15 communes de l’EMS, dont les trois quarts à Strasbourg, ont été accompagnés, tous secteurs confondus », explique Arnaud Guittard, responsable économie numérique à la Ville de Strasbourg et à l’EMS. Fin janvier 2021, il recensait déjà une quarantaine de nouveaux dossiers.

« Le digital doit être un vrai projet d’entreprise »

De son côté, la CCI Alsace Eurométropole mise sur son expertise en matière de diagnostic pour aider les commerçants en voie de digitalisation. Elle décline sur le territoire le service Digipilote, lancé en 2019 par CCI France au niveau national. « Le digital doit être un vrai projet d’entreprise, rappelle Maryse Demissy, directrice intelligence économique, information et marketing à la CCI. Nous proposons de mesurer la maturité numérique de l’entreprise. » Le diagnostic est gratuit pour les commerces et TPE de moins de dix salariés. « En 2019, 15 entreprises ont été accompagnées par Digipilote. En 2020, 150 l’ont été et on s’attend à tripler ce chiffre en 2021 », souligne Maryse Demissy. Quand l’entreprise est diagnostiquée, l’EMS ou la Région Grand Est proposent ensuite un accompagnement pour prendre en charge une partie des coûts financiers de la digitalisation.

La Région Grand Est finance, en effet, la création de sites d’e-commerce individuels à hauteur de 3 000 euros pour un diagnostic et 3 000 euros pour le développement (86 dossiers déposés début février 2021, dont 54 pour des commerces), mais elle pousse également à la création de places de marché (marketplaces) en ligne. « Les e-boutiques individuelles ne conviennent pas à tous les commerçants, estime Lilla Merabet, vice-présidente de la Région déléguée à la compétitivité, à l’innovation et au numérique. Le plus difficile n’est pas de créer un site internet, il faut toucher le client, veiller à être référencé, alimenter le site. Cela peut être intéressant pour les commerces qui ont des clients habituels et fidèles par exemple. »

La Région Grand Est propose ainsi une aide à l’investissement de 70 % dans la limite de 70 000 euros pour la création de ce type de plateforme et de 50 000 euros pour l’amélioration de marketplaces existantes. Début février, 21 dossiers avaient été déposés, dont 16 en création. En tout, le programme « Grand Est Transformation digitale » devrait être doté de cinq millions d’euros pour 2021, dont un million d’euros pour les créations de sites d’e-commerce et de marketplaces, sous réserve de validation par la commission permanente de mars.

À Colmar, un "Amazon" local

L’exemple de marketplace le plus abouti en Alsace est certainement la plateforme de l’association de commerçants Vitrines de Colmar (250 membres), lancée en décembre. Selon la présidente, Céline Kern-Borni, qui dirige trois magasins JouéClub (CA : 6 M€, 25 collaborateurs) dans le Haut-Rhin, « c’est une sorte de galerie commerciale à ciel ouvert où l’on peut acheter directement. Ce n’est pas un catalogue qui renvoie vers les sites de vente en ligne des commerçants, car cela supposerait qu’ils se soient déjà digitalisés ». Les commerçants référencés payent 59 euros par mois pour l’entretien du site, la communication et le web marketing.

La plateforme digitale sur mesure aura coûté environ 250 000 euros. Les collectivités ont été au rendez-vous, avec 80 000 euros de la Région Grand Est (cette catégorie de financement avait été augmentée en fin d’année pour favoriser l’apparition de ces plateformes avant Noël), 25 000 euros de la Ville de Colmar, 20 000 euros de l’agglomération de Colmar, 20 000 euros de la Banque des territoires (programme Action cœur de ville), ainsi que 20 000 euros de Mavic Assurances, société privée basée à Colmar. Trois semaines après sa création, la marketplace comptait 25 000 clics, 580 produits vendus, soit 133 commandes. L’association envisage d’aller plus loin en créant une conciergerie pour permettre aux clients de récupérer leur commande.

La société de communication et de marketing multicanal 3ma group (CA 2019 : 25 M€, 200 collaborateurs), dont le siège est à Rouffach, dans le Haut-Rhin, a été chargée de développer cette marketplace Vitrines de Colmar. Elle fait partie de la centaine de développeurs labellisés Transformation digitale par la Région Grand Est. Quelques mois avant la crise, 3ma group avait déjà senti que la digitalisation était l’axe à renforcer. « La crise sanitaire nous a confirmé qu’il y avait un marché », estime Marion Feltzinger, responsable marketing de ce groupe alsacien qui a recruté 15 développeurs, chefs de projets digitaux et intégrateurs en 2020 pour une activité dans le numérique qui a crû de 20 % cette année et représente aujourd’hui 53 % du chiffre d’affaires du groupe.

Des critiques qui subsistent

Malgré l’engouement des consommateurs pour les achats en ligne, certains commerçants restent critiques face au tout-numérique. À Sélestat (Bas-Rhin), Anne Koenig est à la tête du magasin Ambiance et Styles (CA 2019 : 680 000 euros, 4 collaborateurs), une boutique ouverte en 1883 par sa famille et membre de la coopérative du même nom qui commercialise des produits dans le secteur des arts de la table et de la décoration. Dans une vidéo postée sur Facebook début novembre, elle s’est agacée de cette tendance. « Nous avons un site de vente très développé, avec click & collect et livraisons à domicile, précise d’emblée la commerçante afin de clarifier sa position, mais je n’ai pas envie de vendre sur internet et uniquement sur internet. Si j’avais choisi ça, je ne serais pas en centre-ville, j’aurais un dépôt, et je n’aurais pas des conseillers de vente mais des logisticiens », explique-t-elle.

Les institutionnels semblent bien conscients du problème. Jean-Luc Heimburger, président de la CCI Alsace Eurométropole, tempère : « le rôle d’un commerce de proximité est l’accueil, le conseil qualitatif, le service après-vente. La digitalisation doit venir en complément et ne devrait pas représenter plus de 15 à 20 % de l’activité ».

Encadré :

Phytodia aide les esthéticiennes à se digitaliser

Au-delà des institutions, des collectivités et des associations de commerçants, l’accompagnement numérique est également venu de certaines entreprises comme les laboratoires Phytodia. Durant le premier confinement, la marque de cosmétique bio (CA 2020 : 820 000 euros, neuf collaborateurs) basée à Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin) a proposé à ses clientes esthéticiennes principalement situées dans le Grand Est une formation à distance à l’utilisation des réseaux sociaux, aux outils SMS ou encore à l’e-mailing. Au printemps, sur les 70 instituts clients de Phytodia, la moitié avait manifesté un intérêt pour la formation et une douzaine avait signé une charte d’accompagnement. Un moyen de maintenir un chiffre d’affaires malgré la fermeture physique des boutiques en poursuivant la vente des produits, Phytodia notamment. Pour Régis Saladin, directeur des laboratoires Phytodia, il s’agissait « d’une démarche solidaire-opportuniste. Un chef d’entreprise doit trouver le bon compromis entre aider les autres et s’aider soi-même. »

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