Géothermie : La ruée vers le nouvel or bleu passe par l'Alsace

Géothermie : La ruée vers le nouvel or bleu passe par l'Alsace

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Les eaux chaudes du sous-sol alsacien pourraient bien devenir la nouvelle manne énergétique de la région et contribuer ainsi à développer la filière géothermique dans l'Est de la France. Les industriels ont compris les enjeux et se positionnent sur le marché.
— Photo : Le Journal des Entreprises

L'Alsace, filière de la géothermie profonde en France ? Le groupe Roquette, la Caisse des dépôts et ÉS Electricité de Strasbourg viennent en tout cas d'inaugurer une centrale de géothermie profonde à Rittershoffen, une première mondiale à vocation industrielle. Celle-ci alimente, sous forme de vapeur issue de la chaleur de l'eau thermale, le site de production de Roquette situé à Beinheim. Le projet de centrale de géothermie profonde à Rittershoffen aura nécessité un investissement de 55 millions d'euros et la création d'une société porteuse du projet, Ecogi. Les investissements ont été financés à hauteur de 40 % par Roquette (CA 2015 : 3,3 Md€ ; 8.000 salariés dans le monde) à 40 % par ÉS (CA 2015 : 952 M€ ; 1.270 salariés) et à hauteur de 20 % par la Caisse des dépôts. « La société Roquette, spécialisée dans la valorisation de matières premières végétales pour l'industrie pharmaceutique, de la nutrition ou encore de l'alimentation, a pour objectif de couvrir 75 % des besoins en vapeur de son site de production de Beinheim en énergies renouvelables. À l'année, cela représente une économie de 39.000 tonnes de CO2 » explique Édouard Roquette, président de Roquette. À Rittershoffen, les eaux puisées à une profondeur de 2.500 m à 166º sont réinjectées à 70 º dans un réseau de canalisations de 15 km pour alimenter le site industriel de Beinheim. « En 2012 déjà, une chaudière biomasse à bois a été installée. Cela a été une des premières étapes pour mieux maîtriser les émissions de CO2. C'est primordial pour répondre à notre démarche de développement durable. De plus, les enjeux de compétitivité sont importants et de cette manière, nous sécurisons nos approvisionnements en énergie et sommes moins dépendants de l'énergie fossile » argumente Jérémy Loeb, directeur de l'usine Roquette de Beinheim. La fabrication de chaleur nécessaire au fonctionnement de l'usine provient à 75 % de sources d'énergies renouvelables, pour moitié de la chaudière à bois. Les 25 % restants sont assurés par la mise en service de cette centrale.




Des enjeux industriels

Une première mondiale, certes. Pourtant, l'Alsace n'en est pas à son premier coup d'essai. Le site expérimental de Soultz-sous-Forêts, lancé dans les années 1980 par ÉS, a permis au groupe, filiale d'EDF, de développer son expertise et de valider le potentiel géothermique de la région. De là découlent des enjeux sur plusieurs fronts. « La géothermie en Alsace est un site reconnu à l'international. Des chercheurs du CNRS travaillent sur ce sujet, les potentiels industriels existent mais pendant longtemps Recherche et Industrie n'ont pas travaillé ensemble. Les choses changent et l'investissement dans cette filière représente des effets de levier importants » estime Frédéric Bierry, président du Conseil départemental du Bas-Rhin. On peut dire que c'est chose faite depuis la création du laboratoire d'excellence issu des investissements d'avenir en 2012, puis de la chaire industrielle en géothermie profonde de l'Université de Strasbourg, en partenariat avec le CNRS et ÉS. Cette équipe de 50 chercheurs joue, en quelque sorte, le rôle de garant mais aussi de gardien en apportant son expertise en R & D au partenaire ÉS et en oeuvrant comme observatoire indépendant des risques géologiques.




Maîtriser les risques

« Les technologies ont beaucoup évolué, nous disposons d'un certain recul. Si des points méritent encore d'être affinés, il faut tenter et faire les choses avec raison » expose Jean Schmittbuhl, directeur de recherche au CNRS et responsable du Lab Ex de géothermie profonde. Les industriels se partagent donc le terrain, chacun en possession de plusieurs permis de recherche pour sonder le sous-sol. A commencer par le régional de l'étape, ÉS, avec des projets en cours à Wissembourg et à Illkirch, pour des usages mixtes de réseaux de chaleur et d'électricité. La société Fonroche, située dans l'Aveyron (CA 2015 : 100 M€ ; 150 personnes) projette également deux centrales de géothermie profonde produisant de l'électricité et de la chaleur. Les deux projets en cours à Eckbolsheim et à Vendenheim devraient être mis en service d'ici 2019. Actuellement, le photolvoltaïque représente 90 % du chiffre d'affaires de Fonroche, les 10 % restants sont réalisés par le gaz naturel. Pourtant, à terme, la société estime que les activités seront équilibrées à tiers égaux entre le solaire, le gaz naturel et la géothermie. Un enjeu important pour cet acteur français de la géothermie profonde, qui voit dans l'Ecoparc Rhénan en construction sur l'ancien site de la raffinerie de Reichstett « un potentiel de débouchés et la possibilité de fournir en chaleur les industriels qui s'y implanteront » envisage Jean-Philippe Soulé, directeur général de Fonroche. Son argument auprès de ses prospects consiste à présenter cette source d'énergie comme « moins coûteuse que le gaz naturel et équilibrée sur trente ans ». Un bémol cependant, selon Jean Schmittbuhl, pour qui « les prévisions en termes de disponibilité de la ressource sont toutes favorables. En revanche, ce qui manque, c'est un vrai retour d'expérience concernant une centrale de géothermie profonde qui tourne depuis 20 ou 30 ans en Alsace. Cela aiderait beaucoup ».