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En Alsace, le pari de l'Économie sociale et solidaire
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En Alsace, le pari de l'Économie sociale et solidaire

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Alors que l’Économie sociale et solidaire représente 12 % des emplois salariés dans la région Grand Est, certaines collectivités alsaciennes misent sur ce secteur pour qu’il participe à la reprise économique. La crise favorise les alliances avec le monde économique « traditionnel ».

L’association Cresus, fondée à Strasbourg en 1992, vient en aide aux personnes endettées — Photo : Cresus

L’Économie sociale et solidaire (ESS) va-t-elle faire partie des gagnants de l’économie d’après ? C’est la question que se posent nombre d’acteurs dans le Grand Est où le secteur compte 16 500 établissements, qui regroupent près de 200 000 personnes, soit 12 % des emplois salariés. Si cette part est deux points en dessous de la moyenne française, dans la région, l’ESS a obtenu une reconnaissance du rôle qu’elle pourrait jouer pour sortir de la crise. « Début mars 2020, la Région Grand Est a rassemblé toutes les têtes de réseaux pour faire face à la crise. La Chambre régionale de l’Économie sociale et solidaire (CRESS) Grand Est a été intégrée à la task force », rappelle Emmanuelle Beyer, la présidente de la CRESS qui compte 60 adhérents et vise à jouer un rôle de représentation du secteur auprès des pouvoirs publics. Selon elle, l’ESS a des atouts à faire valoir pour bâtir l’économie post-Covid, « mais il faut une implication des politiques régionaux, départementaux et locaux. Un soutien pas forcément financier, mais politique ».

25 000 créations d’emplois attendues à Strasbourg

En Alsace, territoire historique de l’ESS, ce sont les agglomérations qui montent au créneau. C’est notamment vers l’Eurométropole de Strasbourg que se tournent tous les regards. Dans son « Pacte pour une économie durable locale », la feuille de route économique du nouvel exécutif en place depuis l’été 2020, la collectivité s’est fixée pour objectif de doubler le nombre d’emplois dans l’ESS sur son territoire, pour passer de 25 000 à 50 000 postes. Pour y parvenir, l’Eurométropole veut jouer sur plusieurs leviers, comme celui de la commande publique et d’appels d’offres contenant « des clauses sociales, environnementales et genrées dans les marchés publics et en passant par la rédaction d’un nouveau schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables », précise Pierre Roth, vice-président de l’Eurométropole en charge de l’ESS qui compte sur « l’effet multiplicateur » des commandes publiques.

Cette stratégie pourrait être appliquée par exemple dans la collecte de matériel informatique mis au rebut, opérée par des associations de l’ESS telles qu’Envie (CA : 9 M€ ; 180 salariés dont 110 en parcours d’insertion) qui accompagne des salariés en insertion professionnelle depuis 1984. Un autre domaine où cette stratégie de commandes publiques orientées ESS pourrait être appliquée est la rénovation ou la réhabilitation énergétique de 8 000 logements par an dans le parc privé ou public. Elle nécessitera par ailleurs un besoin en formation de 3 200 salariés, des formations pouvant être assurées par des organismes d’accompagnement vers l’emploi, relevant elles aussi du secteur de l’ESS.

L’Eurométropole de Strasbourg n’est pas la seule collectivité du territoire alsacien à vouloir promouvoir ce secteur. Dans le plan de développement stratégique de l’agglomération de Mulhouse (m2A) qui sera finalisé au 1er semestre 2021, l’ESS fera partie des trois piliers principaux, aux côtés de l’industrie du futur et du soutien à l’économie de proximité comme le tourisme. Par ailleurs, tout comme Strasbourg, Mulhouse a décidé de participer à la plateforme locale de cofinancement de projets à impact social Okoté, dont l’opérateur est l’association Alsace Active (18 salariés). Soutenu par AG2R La Mondiale et l’EMS (35 000 euros), ce programme doit permettre d’accompagner des projets du territoire avec le concours de financement de citoyens, d’acteurs publics et d’entreprises privés. À Strasbourg, depuis le lancement de cette initiative, il y a un an, sept projets ont été sélectionnés et trois ont été financés. Alsace Active espère désormais accompagner une vingtaine de projets en 2021 à travers cette plateforme.

Des acteurs multiples

Qu’est ce qui explique ce nouveau regard vis-à-vis de l’économie sociale et solidaire ? D’autant plus que le secteur est pour le moins hétéroclite. « L’ESS compte cinq grandes familles, explique Emmanuelle Beyer, il s’agit à 90 % d’associations, mais il y a aussi les coopératives, les mutuelles, les banques coopératives et les fondations ». Malgré cette diversité, le Conseil de l’ESS, une instance unique en France, créée à Strasbourg en 2010, recoupe quand même certaines caractéristiques comme « un processus de décision démocratique, une finalité d’intérêt général ou collectif, des bénéfices consacrés au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise, un esprit de solidarité, le développement durable local et l’économie circulaire ».

Ces idées ont le vent en poupe. Olivier de la Chevasnerie, président de Réseau Entreprendre, une association qui aide les créateurs et repreneurs d’entreprise, parle même de « lame de fond ». Selon lui, « on dit que les jeunes ont besoin de sens. On est en plein dedans. Je suis dans le monde du travail depuis l’année 1990. C’est la première fois que j’observe un mouvement de cette ampleur. » La crise semble avoir participé à cette évolution, comme en témoignent les acteurs régionaux. Laurent Riche, de l’agglomération de Mulhouse, estime que « la crise sanitaire a impacté fortement toutes les entreprises qui délocalisaient à l’étranger, mais dans l’ESS, les emplois ne sont pas délocalisables ». À Strasbourg, le Conseil de l’ESS estime même que « l’une des caractéristiques de l’ESS est sa capacité de résistance aux crises économiques : ainsi, entre 2008 et 2013, l’ESS restait globalement créatrice d’emplois alors que le reste du privé en perdait ».

Un secteur touché par la crise

Mais en 2020, la crise du coronavirus a été plus violente qu’en 2008 pour le secteur. Dans le Grand Est, elle a provoqué, cette fois-ci, une baisse du nombre d’emplois dans l’ESS, certes moins importante que la moyenne française, estimée à -2,5 % par l’Observatoire de l’ESS, mais tout de même de -2 %. En visite à Strasbourg début février 2021 pour présenter le fonds d’aide UrgencESS doté de 30 millions d’euros, Olivia Grégoire, la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, a estimé que « depuis le début de la crise sanitaire, 10 000 structures associatives ont mis la clef sous la porte en France ».

Les structures ont réagi également de façon variée. Mi-février 2021, plus de 400 acteurs de l’Économie sociale et solidaire avaient demandé une aide du Fonds UrgencESS dans le Grand Est. « Mais avant l’arrivée de fonds dédiés, les associations n’ont pas tellement fait appel aux prêts garantis par l’État, car ce sont des dossiers complexes et lourds, qui demandent beaucoup de temps aux bénévoles à leur tête. Du côté des Sociétés coopératives de production (SCOP) et des Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) c’est différent. Plus de 80 % ont fait appel à ces prêts », compare Emmanuelle Beyer, la présidente de la CRESS.

Coopérer avec le secteur privé

Pour certains acteurs, l’ESS ne peut cependant pas se contenter des aides. C’est ce qu’estime notamment Amaury Grenot, directeur d’Envie Strasbourg, Entreprise nouvelle vers l’insertion par l’économique : « L’ESS ne doit pas vivre sous perfusion de fonds publics mais doit diversifier ses activités avec des appels d’offres et des partenaires économiques ».

C’est cette dernière option qu’a choisie notamment l’Adapei Papillons Blancs d’Alsace. Cette association colmarienne (68), qui compte 1 500 collaborateurs pour 14 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020, s’est alliée, fin mars 2021, à l’entreprise de services du numérique Acesi (CA : 18,3 M€, 80 collaborateurs), à Entzheim (67) pour créer, VIT-EA, une coentreprise sociale qui propose une hotline d’assistance informatique, opérée par des personnes en situation de handicap. Elle devrait compter 12 salariés d’ici à deux ans. Cette nécessité de coopérer avec le secteur privé a été renforcée par la crise sanitaire. « Elle a mis la loupe sur notre besoin de diversification », estime Tania Meyer, la directrice du pôle entreprise adaptée de l’Adapei Papillons Blancs d’Alsace.

Les contrats à impact social

« Il faut travailler avec les acteurs économiques », abonde Jean-Louis Kiehl, président de Cresus à Strasbourg (67), la tête de proue d’un réseau d’une trentaine d’associations, fondée en 1992 et spécialisés dans la lutte contre l’endettement. Pour attirer des investisseurs du secteur privé sur son projet de microcrédits qui doit permettre d’accompagner la réintégration professionnelle des chômeurs, Cresus a choisi de faire appel à un nouvel outil de l’État, censé favoriser les financements publics privés. En février 2021, l’association a répondu à un appel d’offres pour un contrat à impact social sur le thème de l’égalité des chances. Si le résultat est positif, une levée de fonds de 3,5 millions d’euros sera lancée, puis clôturée à l’été 2021. Elle permettra à des acteurs privés (investisseurs socialement responsables) de participer au projet, tout en ayant une garantie financière de rémunération par l’État si c’est un succès.

À Strasbourg, ces rapprochements entre le monde économique et associatif sont également encouragés. C’est ce que montre la démarche du Conseil de l’ESS. Lors de sa session de novembre dernier, il a acté l’idée de s’ouvrir aux représentants du monde économique dit « traditionnel ». Les chambres consulaires et professionnelles et les organisations patronales sont invitées à le rejoindre. À cette occasion, Fabienne Cironneau, conseillère entreprise santé, sécurité RSE au sein de la CCI Alsace Eurométropole a d’ailleurs souligné que « les structures de l’ESS ont à gagner à être identifiées par les entreprises pour le développement d’achats locaux et durables par exemple ». Plus que jamais les valeurs d’ancrage local et d’utilité sociale portée par l’Économie sociale et solidaire font sens, ce qui pourrait déboucher en Alsace sur la création de dizaines de milliers d’emplois. Dans le monde de l’après-Covid, ce secteur a une belle carte à jouer, à condition qu’il ne sorte pas trop dévasté de la crise sanitaire.

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