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En Alsace, la relance passe par un tourisme plus vert
Enquête Alsace # Hôtellerie # Conjoncture

En Alsace, la relance passe par un tourisme plus vert

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Malmenée par la crise sanitaire, la filière du tourisme retient son souffle alors qu'ont débuté les congés estivaux. L’Alsace, terre de tourisme "vert", pourrait bénéficier du plan de relance régional qui met l’accent sur le tourisme durable et tourné vers la nature.

Pour relancer la filière en Alsace, les professionnels du tourisme misent sur un public familial, de proximité et activités dans la nature — Photo : Sylvie Petitdemange - SylviePetitPhotography

Alors que le départ en congés des juillettistes est bien entamé, ces semaines estivales sont cruciales pour la filière du tourisme. La France, pays le plus visité au monde selon les données statistiques du ministère de l’Économie, a en effet accueilli 89 millions de visiteurs internationaux en 2018. En matière de recettes, l’Hexagone se hisse à la troisième marche du podium avec 55,5 milliards d’euros en 2018, derrière l’Espagne et les États-Unis. Une filière cependant très chahutée ces derniers mois en raison de la crise sanitaire.

"Le monde du tourisme pensait avoir surmonté le terrorisme, les plans Vigipirate, les gilets jaunes, les grèves de train, puis a subi la durabilité et la dureté des mesures Covid avec la fermeture des frontières. On pensait que 2020 serait une parenthèse douloureuse mais les conséquences de la pandémie sont brutales et durables", estime Max Delmond, président d’Alsace Destination Tourisme, regroupant depuis 2016 les agences départementales du tourisme du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.

Une fréquentation divisée par deux en 2020

Résultats de la violence de cette crise sanitaire sur le secteur du tourisme, les hôtels ont enregistré une chute de leur fréquentation de l’ordre de 50 % en 2020. Cette tendance nationale s’est confirmée dans les régions. Au sein de la région Grand Est, l’Alsace concentre environ la moitié de l’offre touristique régionale avec un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d’euros et 40 000 emplois directs salariés et non salariés. Alors qu’elle avait accueilli 15 millions de touristes en 2018-2019, l’Alsace a vu elle aussi sa fréquentation touristique diminuer de 50 % en 2020. Les professionnels du tourisme reconnaissent une éclaircie lors de l’été 2020. Cette fenêtre de tir a pu leur permettre de réfléchir à la mise en place de la saison estivale 2021, attendue avec tout autant d’impatience que de prudence.

Une reprise mitigée en 2021

Michelle Kunegel dirige les agences de voyages LK Tours Europa Tours, à Colmar. L’entreprise de 60 collaborateurs a perdu 85 % de son chiffre d’affaires en 2020 (CA 2019 : 31 M€). Elle estime que "l’année 2021 sera timide car elle se résume à un semestre. Les locaux veulent partir en vacances et on sent une clientèle française qui souhaite venir en Alsace. Nous avons également quelques touches avec le Canada et la Belgique. La cheffe d’entreprise préfère se projeter : "l’année 2022 marquera la reprise du marché des groupes, activité qui a du mal à reprendre cette année."

Constat similaire du côté des activités de loisirs. Par exemple, à la Montagne des singes, à Kintzheim dans le Bas-Rhin, le site privé a vu sa fréquentation diminuer de 50 % en 2020, tout comme son chiffre d’affaires. "Un tiers de la clientèle vient de l’étranger, elle n’a pas pu se déplacer et nous accueillons habituellement aussi beaucoup de groupes scolaires", évalue Guillaume de Turckheim, directeur du site (CA 2019 : 3,4 M€ ; 10 permanents, jusqu’à 60 salariés avec les saisonniers). Le dirigeant prévoit "une saison 2021 similaire à l’année précédente. Beaucoup de questions restent en suspens et nous attendons 2022-2023 s’il n’y a pas d’aggravation de la situation d’ici là."

Des réservations de dernière minute

"La tendance des réservations était bonne pour début juillet depuis que les annonces gouvernementales ont redonné une capacité de se déplacer normalement et que les frontières commencent à s’ouvrir", tempère quant à lui Marc Lévy, d'Alsace Destination Tourisme (budget de fonctionnement : 5 millions d’euros ; 48 collaborateurs). Pierre Siegel, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) 67 reste tout de même prudent : "Les perspectives sont différentes selon les types d’hôtels. Pour les établissements situés en campagne, sur la Route des vins par exemple, les perspectives sont bonnes, peut-être même meilleures qu’en 2020." L'élu de l’UMIH, qui gère l’hôtel Best Western de Strasbourg (CA habituel : 2,5 M€ ; CA 2020 : 800 000 euros), constate que "les réservations se font de plus en plus en dernière minute, avec un facteur météo que l’on ne maîtrise pas."

Pour l’hôtellerie de centre-ville, un autre paramètre freine la reprise, celui de l’ouverture des frontières. "Ces établissements dépendent des touristes étrangers qui représentent, pour certains, 50 % de la clientèle. Nous ne les verrons pas cet été, surtout quand il s’agit d’une clientèle longue distance, américaine ou asiatique", regrette Pierre Siegel.

48 millions d’euros pour soutenir la filière régionale

C’est dans ce contexte de préparation de la saison estivale que les élus du conseil régional du Grand Est ont approuvé, fin avril, un plan de relance pour répondre aux enjeux touristiques de l’après-crise. Dénommé "Tourisme durable et numérique", ce plan est doté d’un budget de 14 millions d’euros pour l’année 2021 et d’une enveloppe de 48 millions d’euros pour les trois ans à venir.

Pour accompagner la filière régionale dans cette reprise, ce plan se décline sur plusieurs volets comme l’incitation à la numérisation des acteurs du tourisme, le soutien à l’hébergement, au tourisme fluvial, le développement de l’offre "quatre saisons" dans le massif des Vosges ou encore la promotion de la destination Grand Est. Le tout, en jouant sur l’image d’un tourisme durable et respectueux de l’environnement.

La relance du tourisme dans la région passerait-elle par un verdissement de son offre et par une clientèle de proximité ? Jackie Helfgott était président de la commission tourisme au sein du conseil régional du Grand Est au cours du mandat achevé en juin 2021, il le concède : "Avec les déconfinements, toutes les régions vont jouer la carte de l’environnement. Or, le Grand Est, avec son pack de cinq destinations - Alsace, Vosges, Lorraine, Champagne, Ardennes - est un territoire déjà vert et forestier".

Clientèle locale et "slow tourisme"

Pour Marc Lévy, d'Alsace Destination Tourisme, "l’objectif 2021 sera encore de toucher une clientèle familiale locale, même si ça peut aller vite pour retrouver la clientèle européenne, principalement venant du Benelux. La priorité est de retrouver la clientèle du Grand Est et locale puis reconquérir ensuite plus loin. Nous comptons un bassin de population de huit millions de personnes à deux heures de route de l'Alsace." Le directeur d’ADT souligne aussi "qu’une des conséquences de la situation sanitaire s’est traduite par un engouement pour les activités de pleine nature en 2020". Et le potentiel est là, puisque l’ADT ne recense pas moins de 12 000 kilomètres d’itinéraires pédestres, 2 500 kilomètres d’itinéraires cyclables et 39 % du territoire couverts de forêts en Alsace. À tel point que le prochain plan stratégique de l'agence pour 2022-2026 mettra un accent "plus important encore" sur le tourisme durable, écoresponsable et solidaire.

De quoi redonner des perspectives aux acteurs du tourisme dans les territoires ruraux. "L'Alsace tire son épingle du jeu en proposant des espaces verts et des activités de plein air", abonde Nathalie Zaric, directrice de l'office du tourisme de la vallée de Munster (Haut-Rhin), constituée de 16 communes. L’office du tourisme a lancé une offre d’activités nordiques et de randonnées à thème il y a deux ans. "Nous étions précurseurs et ça a eu beaucoup de succès lors la saison hivernale avec les stations fermées", plaide-t-elle. Le développement de ces thématiques s’inscrit ainsi dans une logique de "slow tourisme", ce "tourisme du temps choisi, garant d’un ressourcement de l’être, peu émetteur de CO2 et respectant l’écosystème du territoire d’accueil", selon la définition donnée par la Direction générale des entreprises. "Une orientation d’autant plus prise par le public en écho à la crise sanitaire", précise la directrice de l’ODT vallée de Munster.

L’envie de nature et d’espaces verts suscitée par le contexte de la pandémie pourrait bien doper l'activité des exploitants des stations vosgiennes cet été. Nicolas Buhl, gérant de la société d’exploitation du domaine skiable du Schnepfenried (45 salariés en hiver, 5 en été ; CA 2019 : 1 M€), dans le Haut-Rhin, se souvient "d’une bonne fréquentation en montagne avec une météo favorable en 2020". Il espère un été 2021 "sur les mêmes traces que le précédent, même si dans l’intervalle, la saison hivernale a été perturbée par la fermeture des remontées mécaniques". Le gérant explique que, depuis la pandémie, "une dizaine d’acteurs de l’offre touristique aux alentours comme les loueurs de matériel, les prestataires d’activités de loisirs, les hébergeurs et fermes auberges réfléchissent à se fédérer pour étoffer l’offre et la rendre plus visible". Selon ce professionnel de la montagne, l’idée existait depuis quatre à cinq ans mais la crise du Covid a accéléré les choses.

Toute la filière est désormais sur le pont pour que la saison estivale 2021 amorce un début de reprise avant de s’atteler à la préparation de la période des marchés de Noël, un autre enjeu crucial pour le tourisme en Alsace.

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