Bas-Rhin
Deux chocolatiers alsaciens remontent aux origines du cacao
Enquête Bas-Rhin # Agroalimentaire # Investissement

Deux chocolatiers alsaciens remontent aux origines du cacao

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Hasard de calendrier, la Chocolaterie Bockel à Saverne et le chocolatier Mulhaupt de Mundolsheim se sont lancés à quelques semaines d’intervalle dans la transformation des fèves de cacao. Une activité pas forcément rentable, mais répondant à une demande des consommateurs de plus de transparence.

En investissant dans un atelier de torréfaction des fèves de cacao, le chocolatier Thierry Mulhaupt a dû revoir l'ensemble de ses process de fabrication — Photo : Adelise Foucault

De nouveaux explorateurs viennent marcher sur les pas tracés par le Strasbourgeois Thomas Riegert, dirigeant des Cafés Reck, adepte des voyages au cœur des plantations de cafés du monde, afin d’y dénicher des grains d’exception… Début octobre, un autre aventurier lui a volé la vedette sur les réseaux sociaux. À l’occasion d’un séjour au Brésil, le chocolatier savernois Jacques Bockel s’est essayé au récit de voyage, en partant à la rencontre de planteurs de cacao.

Alors que les consommateurs sont de plus en plus soucieux de la qualité et de la provenance de leur alimentation, les professionnels de l’agroalimentaire se montrent aussi plus exigeants sur le choix de leurs matières premières. Produit festif par excellence, le chocolat ne déroge pas à cette tendance.

Deux chocolatiers alsaciens – Jacques Bockel à Saverne donc (52 salariés ; CA 2017 : 6 M€), mais aussi Thierry Mulhaupt, à Mundolsheim (25 personnes ; CA 2017 : 2,50 M€) - ont ainsi fait le pari de torréfier eux-mêmes les fèves de cacao. Une façon d’offrir une traçabilité complète à leurs clients, tout en les invitant au voyage par d’adroites storytelling à visées marketing. Et ce dans un contexte où le chocolat rencontre un succès grandissant à l'international : selon le dernier rapport publié par la société Technavio, le marché mondial de l'industrie du chocolat atteindra 8,51 millions de tonnes (Mt) en 2022, contre 4,5 Mt actuellement. Une demande qui serait essentiellement portée par une consommation de chocolat haut de gamme mais aussi plus responsable.

La torréfaction, « une activité non rentable »

Intégrer la torréfaction dans les process de fabrication ne va pas de soi. C’est même selon Jacques Bockel, « une activité qui n’est pas rentable pour le chocolatier ». La filière est aujourd’hui structurée de telle manière qu’acheter les fèves directement au producteur est complexe, du fait de démarches d’importation lourdes, mais aussi parce que la matière première est importée principalement par de grandes multinationales qui se chargent de la transformer en couverture de chocolat – une pâte de cacao qui sert de base à presque tous les chocolatiers de la planète. « Achetée en petits volumes, la fève nous coûte 30 à 40 % plus cher que la couverture de chocolat », indique le chocolatier savernois, qui se lance malgré tout dans l'aventure, convaincu du potentiel "marketing" de cet investissement.

Son atelier de torréfaction, destiné à accueillir du public, est un lieu design et cosy, scénarisé. Il a vocation à accueillir des évènements qualitatifs, comme des soirées de dégustation jazzy. L’occasion d'attirer une nouvelle clientèle à la chocolaterie, l'ensemble de l’atelier étant, par ailleurs, ouvert aux visites et ayant reçu en 2017 déjà près de 8 000 visiteurs.

Cet espace de torréfaction a nécessité une extension de 105 m² de la chocolaterie, représentant au global une enveloppe de 600 000 €. « Notre surface financière nous a permis d’investir sans trop de risque, estime Jacques Bockel. Nous ne nous sommes pas fixés d’objectifs chiffrés », ajoute-t-il. L’outil permettra évidemment de produire et vendre quelques tablettes d’exception – à partir de fèves boliviennes, de Trinidad et du Venezuela, dont du cacao sauvage – mais le chocolatier a choisi de continuer à acheter la couverture de chocolat (110 tonnes annuelles) pour le reste de sa production annuelle.

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Une refonte des process

Si Thierry Mulhaupt s'est aussi laissé tenter par l'aventure, après une longue réflexion et plusieurs voyages, sa stratégie est différente. Celui-ci a décidé de réaliser sa propre pâte de cacao pour l’ensemble de sa production, à partir de fèves qu’il sélectionne par l’intermédiaire d’un importateur néerlandais. 200 000 € ont été investis dans le projet, qui révolutionne l’organisation de cet atelier en profondeur. « Nous avons réorganisé nos flux et nous devons aujourd’hui gérer nos achats différemment », indique Thierry Mulhaupt.

Côté production, il n’est plus possible que de travailler une pâte de cacao à la fois, sachant que les différentes étapes allant de la torréfaction au conchage, en passant par le concassage, le broyage, ou encore le malaxage pour la réaliser, peuvent prendre, à elles seules, plus de deux jours, voire davantage.

L’un des défis était de trouver les machines adéquates, achetées en Inde, au Pays-Bas ou encore en Allemagne. « Depuis la Seconde Guerre mondiale, on ne trouve plus de matériel de torréfaction. Les industriels ont pris la place des petits producteurs. Une ligne comme la nôtre, ça n’existe plus. Nous avons dû chiner pour l’assembler », glisse ainsi Thierry Mulhaupt. Chez le chocolatier strasbourgeois, six mois de rodage auront été nécessaires, une fois les machines livrées, pour en comprendre les subtilités et adapter les recettes, avec un effort particulier autour du packaging retravaillé pour communiquer sur cette révolution auprès du consommateur. Le résultat : une trentaine de variétés de tablettes provenant de 13 origines différentes, sélectionnées aux quatre coins du monde.

En résumé, Jacques Bocket et Thierry Mulhaupt ont adopté deux stratégies commerciales différentes, mais partagent une même volonté : inviter le consommateur à un voyage gustatif, de la fève à la tablette.

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