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Comment le Nord Alsace renforce ses atouts industriels
Enquête Bas-Rhin # Industrie # Attractivité

Comment le Nord Alsace renforce ses atouts industriels

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Plus de 300 millions d’euros d’investissements ont été annoncés sur le territoire de la communauté d’agglomération de Haguenau. De grands groupes internationaux comme l’américain Mars, l’allemand Sew Usocome et bientôt le chinois Huawei y développent leur activité ou s’installent. Ils témoignent d’un attrait renforcé des entrepreneurs pour l’Alsace du Nord, où l’industrie s’est organisée ces dernières années pour mieux faire face aux défis du futur.

Dans la communauté d’agglomération de Haguenau, au nord de l'Alsace, un emploi sur trois est industriel — Photo : Communauté d'agglomération d'Haguenau

Dominique Platz est plus qu’enthousiaste alors qu’il annonce ses dernières projections : "Nous avons potentiellement plus de 300 millions d’euros d’investissements en cours ou à venir dans la communauté d’agglomération de Haguenau". À écouter le directeur du développement économique de la communauté d’agglomération de cette ville du Nord Alsace, "une dynamique est lancée" sur ce territoire. Situé au nord de Strasbourg, dans le Bas-Rhin, il rassemble 5 % des habitants (96 000 personnes) de l’Alsace et 14 % de ses entreprises. "Un emploi sur trois est un emploi industriel", ajoute Dominique Platz, contre un sur cinq dans l’ensemble de l’Alsace.

Des investissements étrangers

Ceux qui investissent dans le nord de l’Alsace sont principalement des grands groupes étrangers comme l’américain Mars Wrigley. La branche confiserie de l’industriel agroalimentaire américain Mars (CA 2021 : 40 milliards d’euros, 135 000 collaborateurs) a annoncé 18 millions d’euros d’investissement sur son site de Haguenau et siège France (900 collaborateurs) afin d’augmenter sa production de M & M’s Crispy. À Brumath, l’allemand Sew Usocome (CA 2021 : 485 millions d’euros, 2 000 collaborateurs) a lancé en 2021 les travaux d’un nouveau site de production de 33 000 m² dédié à l’assemblage de moteurs et motoréducteurs pour 70 millions d’euros. De son côté, malgré un plan de départs volontaires en cours, l’équipementier automobile Schaeffler France (CA 2021 : 571 M€, 1 750 collaborateurs) a choisi Haguenau pour implanter Innoplate, une coentreprise qu’il a cofondée avec le lyonnais Symbio. Cette société devrait recevoir plus de 100 millions d’euros d’investissement d’ici à 2030, où elle atteindra les 130 salariés. À cette liste, on peut ajouter également l’investissement de 15 millions d’euros du groupe franco-allemand d'équipements électriques Hager (CA 2021 : 2,6 Md€, 12 100 collaborateurs) dans de nouvelles presses à injection pour son site de Bischwiller (5 000 collaborateurs) avec 50 recrutements à la clef.

Avec l’installateur d’équipements électriques allemand Siemens, ces quatre industriels sont les plus gros employeurs du territoire de Haguenau. Ils vont être bientôt rejoints par un mastodonte des télécommunications. Le chinois Huawei (CA 2021 : 636,8 Md€, 195 000 collaborateurs) a choisi Brumath pour y installer sa première usine hors de ses frontières. Cet investissement de 200 millions d’euros devrait lui permettre de recruter près de 300 personnes. Un succès pour Haguenau ? "Sur ce type de projets internationaux, ce sont des structures nationales qui assurent la promotion des territoires, justifie Dominique Platz, néanmoins nous avons pu mettre en avant des disponibilités foncières, des infrastructures autoroutières, ferroviaires, numériques et électriques. De plus, nous avons l’habitude de travailler avec des groupes internationaux." Nombre d’entre eux se sont en effet installés dans les années 1970, notamment "beaucoup d’entreprises allemandes, selon Jean-Claude Reverdell, le directeur général France de Sew Usocome, pour qui la proximité géographique, culturelle et linguistique avec l’Allemagne joue, tout comme la bonne qualité de la main-d’œuvre."

Autre atout du territoire d’après Christian Geissmann, référent Alsace du Nord de la CCI Alsace Eurométropole : "Les collectivités de ce territoire ont une culture d’entreprise, elles savent ce qu’est l’économie. Les élus sont très présents".

L’esprit coopératif

Cet esprit de coopération entre les acteurs locaux a pris, il y a quatre ans, une forme plus concrète, lors de la création de Résilian (Réseau d’industriels innovants d’Alsace du Nord), à l’initiative d’industriels locaux dont Schaeffler France, de l'IUT de Haguenau, et avec l’accompagnement de l’Agence de développement d’Alsace (Adira). "Nous sommes tous en compétition mais nous refusons le déclin de l’industrie dans nos territoires et cela passe par la mobilisation", expliquait dans nos pages Marc Becker, alors PDG de Schaeffler. Ce réseau compte aujourd’hui une cinquantaine de membres représentant près de 15 000 emplois industriels. Quatre axes de travail ont été définis : l’innovation, le partage de l’expertise et des moyens industriels, l’attractivité du territoire et les bonnes pratiques environnementales. "Près de 300 personnes sont actives, notamment dans nos groupes de travail autour de différentes thématiques comme la performance industrielle, les finances ou encore l’ergonomie des postes de travail", estime Lionel Enderlin, le coordinateur du réseau. Elles permettent aux salariés comme aux dirigeants d’échanger sur leurs pratiques.

"J’ai pu participer à différentes visites d’entreprises chez d’autres membres du réseau comme Schiller France, BDR Thermea, Walter Tools ou encore Sew Usocome", témoigne ainsi Thierry Mohr, le directeur général ACEA Electronic Manufacturing Services (CA 2021 : 11 M€, 65 collaborateurs), implanté à Gundershoffen. "Même si nous ne sommes pas dans les mêmes secteurs, ce type de visite est intéressant pour un passionné de l’industrie des process", estime le dirigeant. Le réseau Résilian lui a permis, notamment, de se mettre en contact avec le spécialiste des solutions à base de profilés en aluminium Norcan (CA 2021 : 22,50 M€, 115 collaborateurs), dont la société sœur Sherpa Mobile Robotics (CA 2021 : 1 M€, 35 collaborateurs) fabrique des robots mobiles autonomes pour la logistique. "Nous fabriquons aujourd’hui les cartes électroniques pour Sherpa", se félicite Thierry Mohr.

Faire d'un handicap un atout

Ces contacts doivent également faciliter l’innovation, un domaine que le territoire d'Haguenau doit encore développer. "L’industrie y est très traditionnelle", consent Claude Casterot, le dirigeant des assurances du même nom et fondateur de Paddock Academy, un tiers lieu dédié à l’innovation. Créé fin 2021, il compte une vingtaine de bénévoles, experts-comptables, spécialistes du marketing, chargés d’affaires de banque et responsables innovation. Il organise notamment des rencontres entre start-up du nord de l’Alsace et potentiels investisseurs sous forme de concours une fois par mois. S’il n’hébergeait pas encore de start-up à l’heure où nous écrivons ces lignes, un mouvement est en marche selon Claude Casterot : "La Paddock Academy n’aurait jamais pu se lancer il y a dix ans. Ce qui était un handicap, être isolé dans le nord, est devenu une chance. L’agglomération de Strasbourg répond bien à sa fonction de catalyseur autour l’innovation avec des acteurs comme l’incubateur public Semia. Elle permet à des satellites d’évoluer autour d’elle."

Néanmoins, les projets sont encore peu nombreux. D’après Étienne Leroi, le président de Grand E-Nov +, l’agence d’innovation et de prospection du Grand Est, "huit projets d’innovation sont suivis par l'agence dans le nord de l’Alsace sur 122 dans toute l’Alsace et 363 dans le Grand Est." Deux points forts du territoire ont toutefois été identifiés : "la robotique et l’automatisme industriel".

Sur ces secteurs d'activité, l’IUT de Haguenau est un acteur important. L'institut de formation technologique a identifié "une demande de plus en plus importante pour les objets connectés, les protocoles modernes, etc.", décrit Yann Gaudeau, le directeur. L’IUT, qui forme 220 alternants et entre 150 et 200 stagiaires par an, a installé début 2022 une seconde ligne de production dans son usine école, spécialisée notamment dans la robotique, les exosquelettes, la gestion des flux ou encore l’impression 3D. Elle représente un investissement d’1,3 million d’euros. L’IUT possède aussi un "fablab" qui va être réaménagé pour être plus attractif. "En matière d’innovation, ce territoire peut encore s’améliorer mais nous savons que c’est du temps long", consent le directeur.

Afin d’accélérer les choses en matière d’automatisation, les acteurs du réseau Résilian discutent de la création d’un data center pour faire du stockage de données local et souverain. Cette initiative pourrait intéresser bon nombre d’industriels locaux qui modernisent leurs installations, mais elle n’en est encore qu’au stade de la réflexion.

Les limites du recrutement

Pour continuer sur sa lancée, le secteur de Haguenau doit également travailler sur le recrutement. Avec un taux de chômage de 4,8 % au 4e trimestre 2021 selon l’Insee, le territoire est proche du plein-emploi. Il faut donc convaincre les candidats locaux de postuler. La communauté d’agglomération organise, tous les deux ans, l’évènement grand public "Plongez au cœur de l’industrie". En 2022, il a accueilli plus de 5 200 visiteurs, dont 900 scolaires, en deux jours. "Il s’agit d’attirer les jeunes vers les filières industrielles", explique Dominique Platz. Par ailleurs, les membres du réseau Résilian se sont mobilisés autour du stage obligatoire pour les élèves de troisième. Au lieu de faire une semaine dans une société, ils proposent aux jeunes élèves des stages multi-entreprises afin qu’ils puissent découvrir un panel de sociétés du réseau.

En matière de recrutement hors Alsace, Lionel Enderlin, le coordinateur de Résilian, estime que le territoire a quelques cartes à jouer : "Nous avons ici le séminaire de Walbourg, une école internationale qui a été labellisée Baccalauréat international en 2022. Cela peut intéresser, par exemple, un cadre qui travaille en Chine ou ailleurs et qui cherche de la continuité pour la scolarité de ses enfants". Christian Geissmann, de la CCI Alsace Eurométropole, rappelle pour sa part qu’il y a "une bonne accessibilité en train depuis Strasbourg, mais aussi des axes vers les zones d’activités qui ont été bien retravaillés".

Ce qui inquiète bon nombre d’acteurs économiques locaux, c’est évidemment l’arrivée de Huawei. "La crainte avec une entreprise comme celle-ci, estime Christian Geissmann, c’est qu’elle absorbe beaucoup d’emplois." Mais le réseau Résilian travaille également sur les échanges de salariés entre sociétés qui se portent bien et d’autres qui se restructurent. Même si cette pratique est encore embryonnaire, deux à trois automaticiens de Schaeffler, touché par un plan de départs volontaires de 184 postes à Haguenau, travaillent, par exemple, chez Sew Usocome. Concernant Huawei, le réseau Résilian veut au contraire "faciliter l’intégration d’un tel acteur sur le territoire", peut-être en aidant à lui "trouver des sous-traitants", estime Lionel Enderlin. Pour l’instant, le géant des télécommunications chinois contacté par Le Journal des Entreprises ne veut pas encore communiquer sur ses plans exacts. Alors qu’il a obtenu le permis de construire pour son usine de Brumath, son installation sera suivie avec attention par l’ensemble du tissu économique local.

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